J’ai rencontré la Clarice Starling des centres d’appels
Il y a des routes mythiques telle la bien connue 66, qui traverse les États-Unis, ou celle qui fait passer les marins au large du Cap Horn mais… avec l’âge, ce sont les rencontres, tout autant que les sites qui vous marquent.
Lorsque Virginie Sarazin, responsable marketing de Sitel en France, a accepté l’idée que nous lancions la rubrique Femmes de talents, elle ne savait pas, je suppose, que je m’inquiétais un peu.
Depuis 20 ans maintenant, j’ai la chance de visiter des centres d’appels dans le monde, et en mon for intérieur, je craignais un peu qu’une nouvelle visite ne me renseignât plus guère : comme me l’a dit un jour un grand donneur d’ordre (que je ne nommerai pas) les call centers, c’est des gens devant des PC avec un casque sur la tête. Il se trompait. Et je me trompais, en redoutant la lassitude ou d’avoir un œil blasé.Choses vues, entendues, même sans Harley Davidson.
A Sofia, le sac North Face sous le bureau…
Je ne me rappelle plus à vrai dire le nom de la jeune femme blonde, dont l’œil pétille et la silhouette élancée traduit la pratique assidue du sport.
Elle a sous son bureau bien rangé, un sac de sport du genre grand fourre-tout, soigneusement préparé. Tout autour d’elle, on s’active, on entend des phrases dans 4 langues au moins mais Veronika est concentrée sur des indicateurs qui apparaissent à l’écran.
Depuis trop peu de temps à Sofia, je n’ai pas l’habitude des visages bulgares, simplement celle du brouillard qui emballe chaque matin les longues avenues qui mènent aux bâtiments modernes de la zone industrielle. Des cars bien remplis y déversent à flots réguliers des bandes de jeunes emmitouflés, aux bonnets colorés. Veronika n’est pas bulgare, elle vient de Suède, a passé quelques années à Sofia pour ses études et me dit qu’elle a trouvé la ville et le pays accueillant. Et la forêt et les stations de ski très proches… et ce week-end précisément, c’est une randonnée qui est au programme, à deux heures de Sofia. Le sac est donc prêt, sa taille a dû lui éviter le dépôt dans les casiers de l’entrée.
Chaque deux heures, le car s’arrête qui vient du centre de la capitale bulgare et c’est beaucoup l’anglais qu’on entend, dans les ascenseurs mais… Peu de casques Beat, simplement des silhouettes affairées qui dégainent vite leur badge et s’engouffrent dans le plus moderne des bâtiments et s’égayent ensuite dans les étages.
« Dans l’avion du retour, je songe que la voie du salut… n’a pas changé depuis quelques siècles. C’est souvent : Go west, young man. »
Aussi rapide et affairée que Veronika, je croiserai très rapidement plusieurs fois ce jour-là Maya, la directrice du centre, occupée à caler les derniers détails de l’extension du centre qui a déjà préempté plus de 80 % du bâtiment ; ainsi que le directeur Europe du facilities management du groupe américain, venu l’assister pour préparer l’extension du site, dans le respect des consignes groupe.
On pressent que tout est huilé, que des années de métier dans l’outsourcing ont permis au géant américain d’être à la fois puissant et mobile. Agile disent les publicités désormais.
Et qu’au cœur du réacteur, « l’uranium magique » est constitué de centaines de Véronika, Igor ou John qu’une mondialisation affolée a essaimés dans les grandes métropoles. Leur sac North Face sous le bureau, je les ai rencontrés, disposés et heureux de répondre à un client américain, espagnol ou macédonien de telle ou telle marque de casques, chaussures, caméra tendance.
Belgrade : Jovana sélectionne les agents du customer service pour un géant américain du E-Commerce
Les rounds de tests s’enchainent dans un bureau blanc où le papier a presque complètement disparu. Malgré la porte fermée, je suis surpris par quelques mots de français presque parfaits, qu’il s’agisse des locutions ou de l’accent. 3 ou 4 femmes, la trentaine à peine passée, sourient et écoutent avec attention une jeune femme aux cheveux courts qui a du mal à cacher son énergie et commente avec enthousiasme les tests auxquels elle soumet ses concitoyens.
Quelques portes plus loin, au milieu d’un vaste et clair open space, deux équipes majoritairement féminines, enchainent les appels, passant de l’anglais au français… zéro photo autorisée des quelques lignes de process qu’on aperçoit çà et là ou de la marque dont les dernières campagnes publicitaires s’affichent. Peu m’importe, car je suis surtout bluffé par le niveau de langue des salariés au sein de « l’équipe Sales ».
Les géants américains sont les spécialistes du process, de la communication maitrisée, mais dieu merci, ils ne nous empêchent pas encore de converser. Je profite donc de la pause pour élucider le mystère qui m’interpelle : d’où vient qu’à Belgrade, on puisse « produire » un tel niveau de langue, quand, dans quasi tous les centres français, on s’arrache les cheveux souvent à la lecture des mails qui sont rédigés ?
Après quelques cafés « organic » sirotés dans des fauteuils dernier cri, je saisis qu’il n’y a pas de potion magique : Jovana et ses collègues sortent presque toutes des meilleures écoles et universités d’interprétariat, de sciences humaines de la capitale serbe, l’une des plus vieilles cités d’Europe. Elles ont passé des séances de tests qui n’ont rien à envier aux 12 rounds de chez Google… Et je comprendrai mieux plus tard, en visitant les villages entourant le vieux Belgrade ce qu’elles m’ont expliqué à la pause : elles ont fait non seulement de longues années d’étude, mais sont également désireuses de faire quelque chose pour leur pays auquel toutes sont attachées (Sic) ; en rejoignant un grand groupe international, elles ont le sentiment de faire « partie d’une histoire qui s’écrit », au sein d’une entreprise qui les respecte et les fait progresser. Dans le restaurant tranquille où nous partageons le soir le dîner avec quelques membres de l’équipe, je saisirai aussi 3 autres choses : l’attachement de ces femmes à la douceur des soirées dans leur ville, qu’il existe des bons groupes de rock ailleurs que dans les villes américaines, et surtout, en écoutant Jovana, l’une des convives qu’une « Supersonic » en ressources humaines d’à peine 35 ans, fonctionne à plein régime depuis un an ou presque pour doter le site Sitel d’agents très qualifiés… Elle connait tout, a presque tout lu, vu, fait, commis autant de ces boulettes professionnelles (de celles qui tannent le cuir des spécialistes RH) qu’elle a conduit, à terme et positivement, de projets comme, par exemple, l’installation d’une usine automobile dans sa ville !
Je songe à la Clarice Starling du Silence des agneaux, la jeune agente brillante du FBI… à cette scène du début du film où l’on aperçoit celle-ci enchaîner les entrainements. Jusque vers minuit, nous échangeons sur les meilleurs tests, techniques de montées en compétence, ratios de perte et de « no show » dans un sabir qui mêle anglais, français et quelques anglicismes.
Que tous ceux qui n’ont pas essayé de recruter, avec un seul objectif — l’ouverture d’un centre de contacts désigné pour l’excellence opérationnelle — « from scratch », en quelques mois, des équipes d’agents doués expérimentés ou pas se gaussent s’ils veulent, je m’en tape. Dans chacune des villes du monde, une immense chasse et enquête voit les plus grandes agences du monde se battre pour attirer, au terme de tests hyper sélectifs, les meilleurs « experts ». Mais à Belgrade, l’agence Sitel a déjà tout bon : l’agent Jovana est en place. Jack Crawford peut dormir sur ses deux oreilles, même s’il s’appelle Aleksandra Petrovic (Directrice du site).
Suite au prochain épisode…
Par Manuel Jacquinet
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Jovana Andjelic est désormais DRH de Metro Cash and Carry en Serbie.