Franz Fodéré : A Kind of Blue
Voyage dans la Maurienne avec Franz Fodéré, fondateur de Zaion.
Contrairement à sa voisine, la riche vallée de la Tarentaise, la Maurienne aligne, le long de la voie rapide qui mène au Tunnel du Fréjus, des villes endormies mais non sans un charme discret, imperceptible à celui qui oublie de désapprendre. Pas de jolies boutiques de marque ici, de cafés où l’on sert des plats avec des graines. Les devantures des commerces sont quasi toutes fermées, leurs propriétaires ne prenant même plus la peine d’afficher une pancarte à vendre. Tout est à vendre. On y est donc au calme. Il reste des affiches anciennes, le musée Opinel et des arrêts de bus. On peut, dans le silence qu’autorise cette désolation, deviner le passé, en découvrir des vestiges, entendre quelques cris ou rires qui viennent du café du coin. Le TGV amène régulièrement en gare les estivants ou skieurs qui rejoindront ensuite Valloire, Valmeinier ou pousseront jusqu’à Bessans ou Bonneval-sur-Arc. Posées le long des routes qui mènent jusqu’à ces villages ou stations, des églises baroques et des chapelles.
Saint-Jean de Maurienne – © DR
Saint-Jean-de-Maurienne
Été 1991, l’Aiguille du Chardonnet à Chamonix, sa première grande course d’alpinisme.
Si vous vous arrêtez sur la place centrale de Saint-Jean-de-Maurienne, regardez : elle s’appelle la Place François-Emmanuel Fodéré. Ici, dans cette vallée, sans qu’on sache bien si c’est à Saint-Jean ou à Bessans est né voici presque 300 ans un jeune homme qui deviendra le père, dit-on, de la médecine légale. Repéré dès l’école pour ses facultés, le jeune homme quittera le Comté de Savoie, partira étudier en Italie, deviendra un illustre médecin et rédigera quelques traités. Les Fodéré sont donc d’ici. « J’ai passé de longs moments de mon enfance en montagne, ici ou à Chamonix où nous avions une maison de famille. Et comme mes parents sont morts assez jeunes, j’ai désiré maintenir, via cette maison, le lien avec ce passé auquel je suis attaché. » Les aventures professionnelles et militaires de son père amèneront le fondateur de Zaion à vivre à Paris, à l’étranger mais la Maurienne et la montagne et ses sommets sont un point d’attache essentiel.
« J’y suis revenu, lorsque, après quelques années de travail, j’ai demandé à mon employeur de l’époque, Cegelec, de prendre de vraies responsabilités. J’ai toujours voulu entreprendre, être mon propre patron, sans oublier qu’il faut être prêt. Ils m’ont entendu, et envoyé prendre la direction d’une petite société de câblage que le groupe venait de racheter. A 25 ans, je me suis trouvé au cœur du réacteur : des ouvriers à encadrer, des suivis de chantier à assumer, des usines à visiter (la vallée en a compté beaucoup). Et j’avais le chéquier, ça change tout. Après ça, j’ai compris qu’il fallait que j’apprenne ce qu’il faut savoir pour diriger une entreprise. A l’Insead, j’ai bossé intensément et j’ai adoré. A Supelec, l’école que j’avais faite au préalable, on n’apprenait rien à l’époque sur le management, la finance, etc. C’était une pure école d’ingénieurs. » Comme son aïeul, Franz Fodéré vient donc de la montagne et comme de très nombreux mauriennais, il a quitté sa vallée, pour aller à Paris.
Passy-Buzenval, Stan, le BCG
Parisien, FF a trainé ses basques au lycée Passy Buzenval. Y séjourne à l’époque, plus jeune, un certain Maxime Didier en classe avec le frère de Franz.
Le bon élève fait sa prépa à Stanislas, un établissement sérieux et sans surprise où séjournera également un certain Frédéric Jousset. Cap sur Supelec, pas sur HEC. C’est donc un jeune ingénieur qui rejoint le 7ème BCA, les chasseurs alpins, parce qu’il désire lui aussi être officier de réserve comme son père. « J’ai été chef de section de combat chez les chasseurs alpins, ce qui n’était normalement pas possible jusque-là pour un aspirant. J’ai adoré et j’ai même pensé à m’engager avant de me raviser. J’ai besoin d’aventure et je pressentais bien tout de même que dans l’armée, quantité de choses sont encadrées ». Cap sur Cegelec, une entreprise industrielle et de services où il effectue ses premières missions d’ingénieur et de direction de centres de profit. « Ensuite, j’ai désiré voir autre chose, élargir ma vision : je suis rentré au BCG (Boston Consulting Group). C’est vraiment dans le conseil qu’on rencontre les gens brillants, affûtés et que ton champ de vision s’élargit à la vitesse de l’éclair ». Jusque-là, mon cher Franz, tout est logique et planifié, explicable et maitrisé.
Mars 2015, face nord des Droites voie Ginat avec son ami, le guide et himalayiste Yannick Graziani.
Les centres d’appels
« Quitter le monde du conseil pour rejoindre une activité de services, ce n’est pas classique, en effet. Mais ça s’est fait comme ça. Lorsque j’ai rencontré Maxime, sa vision et son projet m’ont plu. Le groupe (B2S à l’époque) était à un moment clé de son histoire, une PME qui avait le projet de grandir et nous avons d’ailleurs entamé une période de rachats d’entreprises. Avec Etienne (Ortega), on était en mission commando. J’ai travaillé comme un fou, essayé de comprendre comment on pouvait industrialiser ce type d’activité en conciliant croissance et rentabilité ». Avec une jeune équipe de consultants et d’ingénieurs, FF passe tout au tamis, calcule, s’engage. Discret, il n’explique pas dans le détail pourquoi son chemin et celui de Maxime Didier se sont séparés mais on entend que ce fût délicat.
« Je me suis un peu perdu à l’époque tellement j’ai travaillé, au point de presque passer à côté de mes enfants. Il s’en est fallu de peu. » En véritable expert des centres d’appels, de leurs technos et des modèles économiques qui sont en jeu dans ce métier exigeant, le quadra crée Miage, une société de conseil qui l’occupera plus de dix ans. Il y accompagnera des assureurs, des banques. Il en parle comme d’une traversée du désert.
« Il m’a fallu du temps ; pour comprendre et mieux me connaitre. Je suis plus serein désormais ». On n’en saura pas plus de la part de cet homme discret, mais le Franz Fodéré qui crée Zaion en 2017 est l’aboutissement de ce long chemin.
A Kind of Blue, la genèse de Zaion
« Il y a trois ans, je me suis trouvé, presque avec étonnement, dans une phase très créative. Tout me semblait plus clair. Zaion est né de ce moment. Permettre avec des callbots, à des marques et des institutions de traiter en mode industriel ce qui peut être automatisé, avoir la possibilité de se concentrer de ce fait sur ce qui nécessité une interaction humaine et enrichie, c’est passionnant. »
Très fréquemment le week-end, le cap est mis, avec sa nouvelle compagne, sur Chamonix ou d’autres lieux où dort un sommet. Il y choisit de faire une course plus ou moins difficile.
A Chamonix, avec l’aide d’un architecte audacieux, le chalet de famille a été complètement détruit pour faire place à une nouvelle bâtisse, pour laquelle l’ingénieur a désiré tout comprendre des modes de construction, de menuiserie fine, etc.
Tous ceux qui ont travaillé avec FF vous parleront de son exigence, qui peut sembler de la dureté (« il vaut mieux avoir le niveau avec Franz et que ta copie soit propre… »).
Kind of Blue, parce qu’il n’y a pas que la montagne dans sa vie…
Mais le fondateur est désormais apaisé. Il est en bas de la montagne, il sait qu’en face d’un sommet complexe, un alpiniste rêve d’ouvrir sa voie, de lui donner son nom. La voie Ginat, par exemple du nom de celle qu’il a faite en 2015 avec un ami himalayiste célèbre : Yannick Graziani. Lui reste à écrire, à parachever avec Zaion ce qui serait son Kind of Blue à lui : « C’est mon disque préféré et un sommet : le génie de Miles Davis qui trace sa propre voie, invente une nouvelle forme de jazz qui libère la créativité et la pureté du son envoûtant de sa trompette. Il y a aussi la perfection du jeu de ses musiciens, les meilleurs dans leur domaine : John Coltrane, Bill Evans, cette symbiose parfaite du groupe pourtant en totale improvisation ».
Un ami de FF, qui travaille dans un grand fonds d’investissement lui a précisé, après la dernière levée de fonds réalisée par Zaion : « Tu rentres désormais dans la partie la plus difficile ». Mais Miles Davis disait : « Vous avez la montre, moi, j’ai le temps. »
Par Manuel Jacquinet
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Photo de une : Franz et une partie de son équipe chez Zaion – © Emil Hernon