Depuis Los Angeles, « Service », l’application magique de Michael Schneider règle tous vos problèmes
« J’ai créé Service parce que j’en avais assez de perdre mon temps à essayer de résoudre mes problèmes de consommateur avec les marques ». En fin de compte, c’est assez simple de révolutionner l’expérience client. Il suffit qu’un « serial entrepreneur » californien connaisse lui-même une mauvaise… expérience, qu’il s’entoure de quelques geeks, de deux-trois fonds d’investissement, et en voiture Simone. « Service », comme l’a très sobrement appelée son fondateur, Michael Schneider, est – bien évidemment – une application (et un site internet : getservice.com ) qui joint pour vous, consommateur américain, mais aussi anglais, chinois ou même français, le service client de l’entreprise qui vous fait des misères. Toute sorte d’entreprise, et toute sorte de misère : les colis pas livrés, les vols qui n’arrivent pas à l’heure, les paires de chaussures aux deux pieds gauches… c’est le « service » universel, au bout des doigts, avec une ENORME base de données d’entreprises et de problèmes courants, et un logiciel qui comprend le langage naturel. Et le plus fort dans tout ça ? Service est gratuit.
Mais comment est-ce possible ?
Quel est votre parcours et qu’est ce qui vous a poussé à créer Service ?
C’est la cinquième entreprise que je crée, la cinquième dans le secteur des technologies. J’avais 15 ans quand j’ai monté la première, je n’ai jamais travaillé pour qui que ce soit, je crois que je me serai vite fait renvoyer : je ne suis pas bon quand il s’agit de faire quelque chose d’une manière autre que celle que j’estime la meilleure… Et puis, je ne suis pas tout à fait d’accord quand on dit que la carrière d’entrepreneur est plus risquée : oui, on a plus de pression, plus de responsabilités, mais au moins, on a un peu plus de contrôle sur son sort ! J’ai créé Service parce que j’en avais assez de perdre mon temps à essayer de résoudre mes problèmes de consommateur avec les marques. Quand on est consommateur, on ne peut faire que deux choses : choisir de ne rien faire ou décider de se plaindre et de résoudre le problème, ou au moins de gueuler pour se sentir mieux.
En tant que consommateur quels sont les problèmes que vous rencontrez qui vous irritent le plus ?
Je voyage beaucoup, donc je suis souvent irrité par les retards, les problèmes personnels, les problèmes dans les aéroports. Dans la vie de tous les jours je suis comme tout le monde, j’ai des abonnements à des chaînes de télévision, des opérateurs de téléphonie, des assurances, notamment de santé, etc. D’un mois à l’autre, vous pouvez recevoir des factures 50% plus chères, et la plupart des gens se disent que c’est la vie.
Comment fonctionne Service ?
Le consommateur va sur notre site internet ou utilise notre application iOS, il choisit l’entreprise avec laquelle il rencontre un problème et il se laisse guider. Un certain nombre de problèmes connus sont répertoriés, mais à chaque étape, le consommateur a un champ de saisie libre : notre logiciel comprend le langage naturel, et en plus des cas connus, il y a beaucoup de machine learning. Cela s’apparente plus au tchat qu’à la navigation entre formulaires. Service n’est donc pas limité aux entreprises présentes dans la base de données, ni même aux entreprises ou clients américains, tout le monde peut l’utiliser, en France, en Australie, à Hong Kong… partout. La seule restriction concerne les organismes publics. On ne travaille pas avec l’IRS (fisc américain) ou la DMV (l’organisme en charge des immatriculations automobiles) parce qu’on sait qu’avec eux, on peut passer 3 heures au bout du fil, ça ne changera rien : il n’y a pas de concurrence, donc pas d’incitation à trouver un terrain d’entente avec le consommateur et à s’améliorer. Il faut comprendre que contrairement à l’adage, pour nous, le consommateur n’a pas toujours raison. Parfois, il est sous le coup de l’émotion, parfois, c’est lui qui est en cause. Nous sommes neutres et nous essayons d’aboutir à une solution juste. Nous sommes un peu la Suisse du service clients.
Avez-vous des avocats dans vos équipes ?
Nous ne sommes pas des avocats, et réglons la plupart des cas avant qu’ils atteignent le stade du procès. La réputation des Etats-Unis, comme étant un pays où tout le monde traîne tout le monde en justice, est un peu exagérée. En fait, tout est dans la communication. Quand vous êtes vraiment en colère, vous laissez parler vos émotions : ça n’aide pas à résoudre un problème, en fait, ça aggrave les choses. Nous, nous filtrons les émotions, nous agissons dans le calme, de matière logique, rationnelle.
Pouvez-vous me relater un exemple de litige sortant de l’ordinaire réglé par Service ?
Une cliente de Hong Kong a eu un problème suite à une visite aux Galeries Lafayette, à Paris. Elle a acheté une paire de chaussures, mais n’a découvert qu’une fois revenue chez elle à Hong Kong, qu’il y avait deux pieds gauches dans la boîte ! Nous avons contacté les Galeries qui lui ont envoyé une nouvelle paire, gratuitement. Ils ont été formidables.
Vous citez Amazon parmi les marchands dont les clients font appels à vous, pourtant, la qualité de leur service client est souvent soulignée. Leur réputation est-elle usurpée ?
En général ils sont plutôt bons chez Amazon. La plupart des grandes entreprises veulent sincèrement faire du bon boulot, et certaines sont réellement centrées sur le service client, comme Amazon. Ce n’est pas le cas avec les compagnies aériennes low-cost ; tout est toujours difficile avec eux : peu leur chaut que quelque chose se passe mal. C’est aussi compliqué avec les compagnies aériennes étrangères (non américaines) et je ne comprends pas trop pourquoi. Quand on a un problème avec American Airlines, on a une compensation dans la journée, avec United, dans la semaine. Mais avec certaines compagnies nationales européennes cela peut prendre des mois. Elles ont une autre attitude face aux réclamations des clients.
Quelles sont vos ressources pour faire fonctionner Service ?
C’est un mélange d’humains et de logiciel. Avec le temps, on veut mettre de plus en plus de logiciel, pour faire des économies d’échelle. Parfois le logiciel résout tout le problème automatiquement, parfois il faut un humain pour prendre en charge le dossier. Nous sommes 12, et la moitié travaille sur la résolution des cas consommateurs.
Et vous êtes tous à Los Angeles ? On n’entend pas beaucoup parler de cette ville en termes d’innovation – y a-t-il un retard par rapport à San Francisco ?
Oui nous sommes tous à Los Angeles. Je suis né et j’ai grandi ici. J’ai fondé toutes mes entreprises ici, et en dix ans, j’ai vu les choses évoluer. Il y a dix ans, il était difficile de faire des levées de fonds quand on venait de Los Angeles. Aujourd’hui, ce n’est plus un problème. Snapchat est ici. Il y a beaucoup de business angels, qui s’intéressent désormais à autre chose qu’à l’industrie du divertissement. Jared Leto, par exemple, est un de nos conseillers. Ce n’est pas difficile de trouver des développeurs talentueux, c’est même plus facile qu’à San Francisco où il y a plus de concurrence, et où les salaires sont devenus indécents. Aujourd’hui, il faut deux fois plus d’argent pour monter un projet à San Francisco qu’il y a cinq ans.
Qui finance le développement de Service ?
Nous avons fait deux tours de table, le dernier a été mené par Founders Fund, avec la participation de Maveron, Eight Partners, et Menlo Ventures.
Comment pensez-vous générer un chiffre d’affaires ?
Nous ne sommes pas une ONG, et un jour, nous réaliserons des bénéfices. Aujourd’hui, j’apprends. Je veux savoir combien de temps on fait gagner aux consommateurs, combien d’argent on fait gagner aux entreprises, par rapport aux canaux de résolution habituels. Il y a une corrélation directe entre le temps qu’il faut pour résoudre une réclamation et ce qu’elle coûte à l’entreprise. Quand votre avion a quatre heures de retard et qu’on vous offre immédiatement en dédommagement 5 000 miles sur votre carte de fidélité, vous êtes content. Quand la compagnie ne fait rien, que vous attendez des semaines, que vous en parlez autour de vous, sur les réseaux sociaux, cela lui coûte beaucoup, beaucoup plus cher de vous apaiser.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet
Article paru dans le magazine En-Contact N°90, février 2016