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« Je déplore une tendance à la banalisation du terme d’«expérience utilisateur» qui revient à le restreindre au digital – il faut s’intéresser à tout le parcours client »

Publié le 01 août 2017 à 13:21 par Magazine En-Contact
« Je déplore une tendance à la banalisation du terme d’«expérience utilisateur» qui revient à le restreindre au digital – il faut s’intéresser à tout le parcours client »
Giuseppe Attoma

Le sujet le mérite : nous poursuivons notre série d’interviews d’experts du design de l’expérience utilisateur.
Cela se voit, cela se sent, cela s’entend : Giuseppe Attoma a beaucoup réfléchi aux concepts d’expérience client et d’expérience utilisateur avant de lancer l’agence qui porte son nom.
Ses analyses tranchent avec celles de ses collègues, notamment au sujet de la relation entre expérience client et expérience utilisateur. Aussi, et surtout, parce qu’il se pose concrètement la question du ROI (retour sur investissement) apporté à ses clients.
Petit avant-goût de son intervention exclusive à la troisième édition d’Expérience Client/The French forum.

Quelle est votre définition de l’UX Design ?
L’expérience utilisateur, c’est comme ça que nous l’entendons, n’est pas uniquement focalisée sur les canaux numériques ; aujourd’hui pourtant, pour beaucoup, ce concept est synonyme de design d’interaction voire de webdesign. Chez Attoma, nous tenons beaucoup à l’expérience client dans sa globalité, c’est-à-dire, à l’attention portée au parcours client, via tous les points de contacts, selon plusieurs canaux, « devices », ou relations humaines directes. Je déplore une tendance à la banalisation du terme d’ « expérience utilisateur », qui revient à le restreindre au digital.

Quelles sont aujourd’hui les principales problématiques du marché, et celles que vous soumettent vos clients ?
L’une des problématiques est d’évangéliser les entreprises à l’expérience client dans son ensemble, pour ne pas penser en silos : le web, l’accueil, le courrier, la relation client, etc. Il faut repenser l’ensemble. C’est un enjeu de maturité, et le processus est… un peu long. Cela ne répond pas à l’organisation des entreprises, qui sont souvent égocentrées, et pas toutes structurées autour de problématiques de relation client. Les clients qui viennent nous voir sont ceux qui souhaitent innover, en cassant leurs silos, en développant.
Pour beaucoup d’entreprises, l’enjeu est celui de la transformation. En préliminaire, on réalise beaucoup d’études. On passe beaucoup de temps à observer les utilisateurs et clients et on est surpris du nombre d’entreprises qui sont déroutées parce qu’elles ne connaissent plus leurs clients, leurs usages, leurs dispositifs… De ce fait, il est difficile pour eux de développer une stratégie. Il y a un gros manque de connaissance des utilisateurs. C’est un paradoxe étant donné le nombre de tiroirs pleins d’études quantitatives, mais cela s’explique par le fait que les entreprises manquent de clefs d’analyse.
Vous pouvez avoir toute la connaissance que vous voulez, big data et small data sur les utilisateurs, vous n’aurez aucune information sur les motivations des utilisateurs par exemple, ou sur ce qui va provoquer un abandon : c’est là qu’il y a de la valeur à créer. Très peu d’entreprises savent valoriser la big data. Il faut savoir croiser les données de typologies différentes, identifier des canevas inattendus qui peuvent donner des pistes pour créer de la valeur. On en est encore loin.

Quelle est la relation entre UX Design et Expérience Client ?
La différence est intéressante… L’utilisateur n’est pas forcément un client, il n’y a pas forcément une relation commerciale, contractuelle. Tout usage n’y aboutit pas forcément. Cela part d’un différent niveau cognitif. En revanche, on a souvent oublié que le client est l’utilisateur. L’objectif n’est alors plus de faire une relation d’usage mais de vendre. Dans le secteur financier, il y a encore beaucoup de sites de banques en ligne qui sont pensés pour les clients, pas pour les utilisateurs. On leur impose un jargon, des canaux, ils n’ont pas d’autonomie, pas de plaisir. Dans un autre domaine, le site de la RATP est plus performant pour proposer des itinéraires, mais Google est préféré parce que Google Maps est intégré aux usages courants. Les entreprises se disent : c’est mon client, et développent trop souvent des logiques propriétaires.

Que représente aujourd’hui le marché français de l’UX Design ?
Personne ne peut déterminer précisément la taille du marché ; il y a beaucoup d’ambiguïtés entre agences web, stratégie digitale, puis webdesign… Le marché est très opaque. Mais il grandit très vite car les entreprises se sentent menacées car elles réalisent qu’elles sont en retard. Par rapport à d’autres pays, oui, il y a un retard, un problème de compréhension de la valeur. Dans la culture de beaucoup d’entreprises, c’est perçu comme une sorte de vernis. Il est difficile de prouver un ROI, car les métriques du client ne correspondent pas à celles de l’utilisation, et l’évaluation est un grand sujet : comment évaluer des objectifs de performance ? Je suis un peu dubitatif…
Il y a une analogie pertinente avec le marché de la SEO, dans la façon d’aborder des problématiques d’abord maîtrisées par des prestataires, mais qui ont été par la suite été complètement intégrées aux entreprises, en interne.

Quelles sont les formations possibles pour devenir un véritable expert ?
Toutes les écoles de « design », entre guillemets, forment des UX designers : ce sont des pros qui savent très bien faire de l’interface… Mais l’UX Design c’est plus complexe que ça, il faut une vraie compréhension de l’utilisateur, être formé à l’écoute, à l’étude. Il faut aussi s’intéresser au reste du monde, pas seulement aux écrans, et comprendre les enjeux business. En France, les formations design sont orientées du côté artistique, ce n’est pas tout à fait équilibré par rapport aux attentes du marché. Il faut aussi apprendre à travailler de façon collaborative. Personne n’est plus capable de penser la complexité de l’UX tout seul, il faut savoir être humble, travailler en atelier.

Quelle est la différence de maturité entre les Américains et les Français en matière d’UX Design ? Tant au niveau du marché, qu’au niveau des professionnels ?
Il y a clairement une différence. La maturité implique une internalisation croissante de l’UX dans l’entreprise. Les prestataires externes changent de statut, deviennent des artisans facilitateurs, des catalyseurs. On est de moins en moins dans une relation donneur d’ordre-agence. La nouvelle posture des designers, c’est de se présenter comme des consultants. Mais peu parviennent à le devenir.

Est-il aujourd’hui possible de s’imposer comme un « pure player » de l’UX Design, face aux agences web généralistes ?
Nous pensons que les agences web historiques sont encore dans leur culture com’ : elles arrivent avec des propositions, ce qui est totalement contraire aux exigences UX. Il y a de plus en plus d’entités UX dans les entreprises, qui demandent aux agences d’externaliser les équipes. Beaucoup commencent à le faire. Dans les prochaines années, cette figure de l’agence « pure player » de l’UX aura de plus en plus de sens, et c’est que nous vivons déjà chez Attoma.
Nous pouvons accompagner la définition du projet en maîtrise d’ouvrage, pour définir le besoin, faire de la veille, mener une mission projective… cela permet au client de réduire son risque. Notre « livrable » sera une préfiguration du service dans son service, pour savoir s’il y a un intérêt à aller de l’avant. Après, si une capacité industrielle est nécessaire on peut faire appel à une agence généraliste.

Par la rédaction d’En-Contact
Paru dans le N°87 d’En-Contact, septembre 2015

Retrouvez notre entretien avec Jean-Louis Fréchin, Designer les relations client ou en parler ?


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