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Designer les relations client ou en parler ?

Publié le 14 juin 2017 à 09:35 par Magazine En-Contact
Designer les relations client ou en parler ?

Qui a dit ?

“Devialet est une boîte française caractéristique, elle est flamboyante, avec un design au sens primaire du terme : c’est une jolie boite. Le problème, c’est que leur technologie est incompréhensible et que l’interface est la plus mauvaise du marché.”

En matière d’expérience client et utilisateur (UX Design), les propos lénifiants succèdent aux incantations, à grands coups de tribunes sponsorisées ou de white paper un peu partout. Pourtant, certains spécialistes n’hésitent pas parfois à proposer des visions plus tranchées, à faire part de leurs convictions, fondées sur une véritable expertise. C’est l’un de ces trouble-fêtes qu’En-Contact est allé interviewer ce mois-ci, trois mois avant la cinquième édition de Expérience Client – The French Forum©, où les questions de l’expérience utilisateur seront abordées. Un designer capable de dire que Devialet mériterait de s’intéresser à l’expérience client mérite un peu d’attention, surtout lorsque le travail de son agence a été primé plusieurs fois au Consumer Electronic Show de Las Vegas. Jean-Louis Fréchin, c’est un peu le Hubert-Félix Thiéfaine de l’expérience utilisateur, le Gérard Manset du design

Jean-Louis Fréchin

En-Contact : Vous avez publié dans les Echos du mardi 6 mars une tribune intitulée « La relation client a besoin de design ». Qu’est ce qui dans votre quotidien d’entrepreneur, de citoyen, de client vous incite à adresser ce message fort ?
Jean-Louis Fréchin : L‘histoire des entreprises : il y a trente ans, il y avait peu de produits différents et donc tout le monde les achetait. Par la suite la difficulté a consisté à les vendre. Il a fallu renouveler leur esthétique, inventer leur design et renforcer le rôle des marques, mais cela n’a pas suffi non plus. Il a donc également fallu intégrer les marques au produit et intégrer les aspects de fabrication. On a compris que communiquer en média (et non pas dans les médias) était important et que les entreprises étaient des espaces permanents, holistiques : le design à l’intérieur se voyait à l’extérieur. On a alors appliqué la marque au logiciel mais sans penser à l’expérience des logiciels. Pourtant, la vie du client après la vente fait partie de l’expérience globale, et le design permet de la construire. Si l’entreprise est une réplique de la société en silos, alors le design interface, met en contact, des personnes qui sont à des moments différents de l’entreprise pour en faire une même chaine de valeur.
Ensuite, il ne faut pas oublier que dans de nombreux secteurs, le verbe demeure plus important que l’analyse fonctionnelle. La communication et le marketing sont des métiers très valorisés, on voit à quel point les rois de la publicité Havas et Publicis pèsent comme un déterminisme sur les entreprises, plus que le « faire » qui reste « sale ». Or dans ces choses « molles » que sont les relations clients il faut passer par des points fonctionnels, qu’on peut analyser et qui donnent des réponses objectivables. C’est après seulement que l’on peut faire du romantisme, et raconter des histoires grâce au marketing. 

Que se passe-t-il dans les entreprises françaises, notamment les grandes, omniprésentes dans notre quotidien (banques, gestionnaire de HLM, opérateurs télécom, syndics de copropriété ou encore mutuelles), mais qui nous font vivre des expériences clients souvent bien éloignées de leur promesse publicitaire ?
Pour améliorer l’expérience client, il faut considérer qu’elle fait partie du produit, exactement comme dans les années 80 lorsque marque et produit ont été associés. Ce d’autant plus qu’à l’époque du numérique, l’entreprise est globale et délivre une relation continue avec le client. Il n’y a pas, en effet, tant d’entreprises européennes et françaises championnes dans ce domaine.

Pourtant certaines essaient ! Que pensez-vous de Devialet lorsque Quentin Sannié, son co-fondateur dit : « On est les champions du design » ?
Devialet est une boîte française caractéristique, elle est flamboyante, avec un design au sens primaire du terme : c’est une jolie boite. Le problème, c’est que leur technologie est incompréhensible et que l’interface est la plus mauvaise du marché. En design ce n’est pas un exemple du tout, ils ont un bon produit mais pas de relation clients : leur produit n’est pas terminé. C’est typiquement français, on veut imiter Apple mais pour être Apple il faut intégrer un logiciel de qualité, du service et ne pas vendre que de la technique.

Mais alors, comment intégrer à la fois le design et la relation client dans le même produit ?
On s’est toujours préoccupé de la relation client dans les transports aériens et les grands hôtels mais aujourd’hui on le fait également dans les produits industriels. Le premier point de cette révolution du consommateur, connecté en permanence à ses marques, est l’invention de néo-objets, des objets qui deviennent des services. On peut considérer qu’il existe un nouveau secteur économique, qui n’est plus secondaire ou tertiaire mais quaternaire. Il faut penser la relation client non pas sur le mode de la prospection, mais comme une relation de confiance et d’assistance, jusque dans la résolution des problèmes. L’ancien patron de Texa en Belgique disait à ce propos « il faut considérer le prospect ou le client comme une personne et si tout va bien, elle deviendra un client ». Par exemple, lorsqu’on appelle le service client Nespresso, on a au bout du fil quelqu’un de calme, de poli, d’éduqué qui va tout faire pour trouver une solution. Comme le produit est également un service, ils ont intégré cette partie by design comme élément structurant de leur offre depuis le départ. Mais quand il faut changer de culture, c’est évidemment plus compliqué.
Autre exemple positif : lorsque Air France a connecté son compte Twitter à son système Oracle et Adobe pour faire de la relation client 24h sur 24h, ça a révolutionné le service client et créé de nombreux ambassadeurs. Avant, on téléphonait et le résultat n’était pas toujours très concluant, désormais on est pris en charge tout de suite. C’est cela qu’on peut appeler le design : une offre de bout en bout.

 

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Malgré les difficultés rencontrées par les marques, on lit beaucoup de beaux discours sur l’expérience client sur Internet. Comment expliquer ces difficultés ? Les marques auraient-elles trop de silos à casser ? Sont-elles mal accompagnées ou sommes-nous de charmants et éternels râleurs ?
Ces discours sont certes agaçants mais ils sont porteurs d’espoir. Quand on se promène sur Twitter ou sur des forums sur la relation client, les CRM 2.0 ou les ressources humaines 2.0, on constate qu’il y a une volonté de changement et des cadres qui aiment leur entreprise et ont des solutions à proposer. Le problème majeur, c’est que les chefs d’entreprise qui tiennent les cordons de la bourse pensent souvent que c’est trop cher et pas important, qu’une fois que le produit est vendu, la suite n’est pas de leur ressort. Oui, il y a des silos, mais c’est une question de priorité d’entreprise. Pour devenir le nouvel Amazon, il ne faut pas prioriser le design visible, en surface, mais tout le fond et ce qui permet d’interconnecter des boutiques supplémentaires et d’héberger des sites. En d’autres termes, il faut privilégier les éléments d’infrastructure. Le bon design c’est celui d’Amazon : chez eux, lorsqu’il y a un problème il faut annuler et recommander. Certes, ça agace certaines personnes mais c’est un choix et ça fonctionne dans toutes les situations.

En quoi, comment une agence comme celle que vous dirigez, souvent primée, peut-elle aider une entreprise à faire du bout en bout ?
Notre agence travaille avec 50% de start-up, et notamment pour préparer leur futur. Lorsqu’on aborde ces sujets avec eux, on leur parle tout de suite de l’après-vente, de la réparabilité des produits, du changement des pièces. On intègre ces stratégies dans la conception du produit, et on met en place une grille de relation client, une grammaire et une syntaxe. Finalement, nous ne sommes pas tant des designers classiques que des sages-femmes qui font de la maïeutique pour les porteurs de projets. Ce qui facilite également ce process, c’est qu’on a la chance de pouvoir choisir et qu’on tisse avec eux des liens presque affectifs, des relations denses sur un temps long. Nous sommes une agence engagée.
Mais on peut évoquer un autre exemple, lié à notre collaboration avec un grand groupe : pendant cinq ans je me suis occupé des grands salons automobiles pour Renault. C’était du design de situation, basé sur une conjonction temps/espace/évènement. Concrètement, l’enjeu c’est que les visiteurs ne restant que quelques minutes sur le stand, les vendeurs devaient réussir dans ce temps court à présenter les produits et véhiculer une image de marque. Nous les avons formés. Ce fut un succès, les visiteurs espéraient même retrouver cette hospitalité dans l’acte d’achat.
Pour résumer, le plus important pour une entreprise, c’est d’avoir un patron ayant une culture du produit, et non pas un simple manager gestionnaire. Carlos Tavares pour Peugeot et Jean-Marc Janaillac chez Air France en sont de bons exemples.

Se souvenir des belles choses dit le poète … quelle expérience vécue dans un centre d’appels vous a acquis à une marque, vous a fait changer d’avis et d’humeur ?
Apple ne me déçoit jamais. J’ai par exemple un ami qui n’avait pas souscrit l’assurance Apple Care mais qui a quand même appelé le service client lorsque son chargeur de téléphone a arrêté de fonctionner. Ils lui en ont renvoyé un gratuitement.

En France quels sont vos concurrents estimables ?
W&Cie avec Gilles Deléris qui disait « la relation client c’est l’épreuve de la marque ». On partage cette philosophie : le design, ce n’est pas uniquement des jolies choses mais des bonnes choses, qui fonctionnent.

Propos recueillis par la rédaction d’En-Contact

 

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