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« Il y a aujourd’hui un biais technologique qui nourrit tous les discours sur le CRM et surpondère l’importance des technologies »

Publié le 11 janvier 2012 à 11:27 par Magazine En-Contact
« Il y a aujourd’hui un biais technologique qui nourrit tous les discours sur le CRM et surpondère l’importance des technologies »

David TARGY  – Directeur d’études – Xerfi – Precepta

Au terme de cette étude (ndlr Les marché du CRM en France – Marketing relationnel, solutions et services IT, data-management et externalisation : analyse du jeu concurrentiel et des facteurs de mutation, voir notre encadré), quelles sont les conclusions principales que vous avez retirées et quels étonnements quant aux enseignements de cette étude ?
Je tiens, avant de répondre à cette question, à rappeler que l’objet de l’étude sur les marchés du CRM était de dresser un panorama des métiers, des secteurs et des acteurs impliqués dans le CRM au-delà de la vision limitée aux technologies, au conseil et à l’intégration de solutions. Nous avons étudié huit secteurs : le conseil en marketing relationnel, le conseil en management de la relation client et en technologies, l’édition et l’intégration de solutions de CRM, le data management, la gestion de programmes de fidélité et, pour finir, l’externalisation de la gestion de la relation client.

Il y a plusieurs conclusions marquantes à retenir à l’issue de cette étude. La première est que les activités de CRM sont dynamiques et le resteront dans les prochaines années. La crise économique de 2008/2009 a eu étonnamment moins d’impact que celle de 2001/2003 sur l’activité et les marges des acteurs. Un bémol toutefois concernant les agences de marketing relationnel, confrontées à une banalisation de leurs prestations et dont les marges baissent de façon inquiétante depuis le milieu des années 1990.

La deuxième source d’étonnement est, selon moi, l’instabilité de l’environnement concurrentiel et ce pour l’ensemble des secteurs du CRM. Les facteurs de déstabilisation de la concurrence sont nombreux : la réglementation sur l’utilisation des données personnelles, le cloud computing, la dématérialisation probable des cartes de paiement et de fidélité, la montée en régime des technologies d’automatisation de la relation client fondées sur la reconnaissance et la synthèse vocales, et je pourrais en citer d’autres… Toutes ces évolutions ont ou auront potentiellement un fort impact sur l’activité et la structure concurrentielle. La technologie et les tendances s’emballent obligeant les acteurs à se remettre en cause de manière permanente.

Une autre conclusion importante de l’étude est l’importance du coût comme élément structurant des offres : la meilleure manière de vendre du CRM, c’est de promettre une baisse des coûts, car c’est bien là la problématique centrale des entreprises clients. Face à la multiplication des canaux ou médias relationnels et à la hausse des volumes de contacts clients qui en découlent, leur priorité est de canaliser les dépenses de gestion de la relation client. Certes, on peut penser que le CRM devrait être envisagé comme un investissement, non comme une dépense. Mais il y a deux facteurs qui vont à l’encontre de ce principe : si le CRM est un investissement, alors il devrait être possible de le valoriser. Or, dans la plupart des secteurs, le CRM est un élément de différenciation faible parce qu’il ne permet pas, en tout cas à l’heure actuelle, une augmentation des prix. Par ailleurs, est-il prudent d’investir trop lourdement dans un client que toutes les études présentent comme de plus en plus volatile ? Sommes-nous en mesure d’affirmer que les entreprises qui dépensent le plus dans la relation client ont un taux d’attrition plus faible que leurs concurrents ? Une rentabilité plus forte ? Il n’y a aucune certitude sur ce point.

Les coûts engendrés par les programmes CRM et de vraies démarches en ce sens semblent donc insupportables aux établissements ou du moins sans perspective de retour sur investissement ? Pourquoi y a-t-il une différence entre celles qui démarrent à partir d’une page blanche et les autres ?
Les entreprises qui ont une histoire et qui gèrent simultanément plusieurs canaux de vente sont confrontées à la difficulté de traiter l’information-client, souvent dispersée dans des bases de données différentes. Il existe des solutions logicielles pour exploiter des données issues de systèmes différents, mais ces solutions n’offrent pas les mêmes avantages qu’une base de données clients unique renseignée par l’ensemble des canaux d’interaction. Les entreprises qui ont une histoire ont des systèmes d’information complexes et dépassés, constitués par couches successives. Le coût de transition vers une base unique est élevé et, pour tout dire, dissuasif – c’est un investissement qui se chiffre en million d’euros. Mais le problème est souvent ailleurs. Il ne faut pas le ramener à sa dimension technologique : dans la plupart des cas, les faiblesses dans la gestion de la relation client proviennent de l’organisation et de la culture de l’entreprise et non de ses outils. Quand une entreprise a une culture produit, il est très difficile de l’amener à avoir une culture client – c’est pour reprendre l’expression de Louis Gerstner comme faire danser un éléphant. Cela dit, posséder le meilleur service client n’est pas forcément la panacée : il n’y a pas de « one best way ». Apple s’en sort très bien, il me semble.

En 2000, la question du CRM était celle du moment et l’objet de toutes les conférences, tous les salons etc. A-t-on progressé ? D’où viendront selon vous les prochaines évolutions, transformations ? Des outils, d’une prise de conscience que le ROI est au bout du chemin, de la capacité des outsourceurs à accompagner leurs clients dans cette démarche… ?
Le CRM redevient un terme en vogue et comme tout terme à la mode, il est polysémique. Chacun y met ce qu’il veut. La différence avec le début des années 2000 – autant que je puisse en juger – ce sont les associations d’idées qui vont avec le mot CRM. Aujourd’hui, lorsque l’on dit CRM, on pense immédiatement au cloud computing et au social CRM. Nous sommes dans une ère de fascination pour les technologies et pour les changements que ces technologies opèrent dans la relation aux autres. Pour le dire autrement, il y a aujourd’hui un « biais technologique » qui nourrit tous les discours sur le CRM et surpondère l’importance des technologies par rapport au contenu même des relations.

On peut penser que la relation client passera de moins en moins par le téléphone et de plus en plus par les réseaux sociaux, comme Facebook ou Twitter, ou des applications mobiles ou des agents virtuels. Tout est imaginable. En réalité, l’incertitude est absolue : l’usage des réseaux sociaux et leur nature même ne sont pas stabilisés. Et qui sait si Facebook existera encore dans cinq ans ? Le réseau commence à perdre des membres dans les premiers pays où il s’est implanté : les USA, le Canada, la Grande-Bretagne… Il me semble que l’important pour les entreprises est de donner un contenu à leur stratégie relationnelle, une empreinte leur permettant de se singulariser. Les technologies, les médias ne sont que des moyens à mettre en œuvre autour d’une stratégie relationnelle.

Le discours ambiant en matière de relation client, c’est d’être présent sur tous les canaux, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Entre parenthèses, voilà encore un discours centré sur les moyens et non sur les fins. Je trouve personnellement cette injonction étrange : les marques devraient s’organiser pour être accessibles à tout moment, en tout lieu et au travers d’une pluralité de canaux, cela bien entendu gratuitement pour le consommateur. Si telle est la façon de concevoir l’avenir de la relation client, alors nous irons vers une automatisation et une dégradation toujours plus grande de la relation client. En réalité, il y a de fortes chances pour que l’on voit apparaître des niveaux de service différenciés selon le prix payé par le client et/ou, parallèlement, des restrictions de service pour les clients préférant bénéficier d’un prix plus bas plutôt que d’un meilleur service d’accompagnement.

Un mot sur les outsourceurs : leur rôle est évidemment d’être à la pointe des attentes de leurs clients en matière de relation client et de s’adapter aux évolutions technologiques. Leur priorité aujourd’hui est cependant de diversifier leur portefeuille de clients, de segmenter leur offre, d’évoluer vers des prestations à plus forte valeur ajoutée. Ils doivent innover et accompagner l’innovation par un travail d’évangélisation du marché, ce qui constitue pour eux un changement de culture managériale et commerciale.

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