Zuora, nouvelle star de l’économie virtuelle du logiciel… à l’américaine
Les Américains ont bien retenu la leçon de la première bulle internet. Aujourd’hui, pour ne pas se planter, ils investissent massivement… dans des entreprises non cotées en bourse. Comme ça au moins, le temps que la valorisation monte jusqu’à des montants indécents, personne ne vient regarder ce qu’elles gagnent vraiment, et comment fonctionne concrètement leur business model. Et puis si ce business model finit par se planter… c’est pas grave, puisque de toute façon, ces investisseurs investissent tous les uns dans les entreprises des autres. On va appeler ça une logique de portefeuille bien ordonnée.
Prenons Zuora.
Son capital est aujourd’hui abondé par les fonds Wellington Management Company LLP, Blackrock Inc., Passport Capital, Benchmark Capital… et des particuliers comme Dave Duffield, cofondateur et président du conseil d’administration de Workday, ou Marc Benioff, Président et CEO de Salesforce. La start-up a fait une entrée fracassante dans les colonnes des journaux économiques les plus sérieux en annonçant le 11 mars une levée de fonds de 115 millions de dollars. Soit en tout 250 millions de dollars de levés depuis la création de l’entreprise en 2007, alors que des entreprises françaises autant sinon plus méritantes comme Sellsy plafonne à 2 millions d’euros par levée. De quoi payer les meilleures agences de presse et de marketing dans tous les pays qui intéressent peu ou prou les investisseurs, et faire courir des bruits totalement déraisonnables sur la valorisation de l’entreprise – même les Echos s’y sont fait prendre, qui évoquent une valorisation qui « dépasserait le milliard de dollars ». Sans citer aucun résultat financier ni aucune source. Il faut dire que Zuora avait déjà fait la connaissance des journaux comme le FT ou le Guardian… en tant que clients, puisque l’éditeur est spécialisé dans les logiciels dédiés à l’économie de l’abonnement, entre CRM, facturation, relances et recouvrement.
Si aucun journal n’a pu avoir le chiffre d’affaires de Zuora… Zuora connaît celui de tous ses clients. En tant qu’entreprise, nous avons essayé de devenir clients de Zuora – ben oui, nous aussi on a des abonnements à gérer. Et dès les premiers échanges, lors d’un appel téléphonique mené à l’américaine, le représentant de Zuora nous a demandé notre chiffre d’affaires. Le commercial, basé au Royaume-Uni (comme indiqué en signature de ses courriels : Mobile +44(0)797939xxxx, Office : +44(0)20364xxxxx, 25 North Row – Mayfair, London – W1K 6DJ ), nous a fait comprendre qu’on ne pourrait pas avoir de devis sans communiquer cette information.
Sollicitée par nos soins, l’agence de presse en charge de Zuora en France nous assure pourtant que « la prospection du marché français se fait principalement depuis la France ». Et se garde bien de répondre à notre question, pourtant simple : peut-on interviewer leurs clients français ?
Pas de réponse. Ce qu’on attend d’un journaliste, c’est de relayer la mirifique levée de fonds, et de ne pas poser de questions.
Bref, de ne surtout pas ouvrir la boîte noire avant l’entrée en bourse. Par respect pour le story telling.
Charles-Henri Fondras et Manuel Jacquinet