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« Un service client de cette taille, ce n’est pas Disneyland »

Publié le 07 décembre 2020 à 13:12 par Magazine En-Contact
« Un service client de cette taille, ce n’est pas Disneyland »

Notre métier ? Trouver le meilleur compromis entre de multiples contraintes.

Vous dirigez le service clientèle d’AOL France, l’un des FAI (Fournisseur d’Accès à Internet) majeurs en France ; l’entreprise a parallèlement beaucoup fait parler d’elle lors de l’installation de son centre de contacts à Marseille qui reste l’un des plus importants dans son domaine d’activité. Quelle est la principale difficulté que doit assumer le directeur d’un centre de contacts ?
Le métier du centre de support consiste en réalité à trouver le meilleur compromis entre de multiples contraintes, on pourrait même parler de tensions. La première est liée à la différence, on pourrait parler de grand écart, qui existe entre la complexité, la richesse des services que procure par exemple l’offre ADSL et la naïveté technique du grand public auquel nous nous adressons sans que le terme soit péjoratif. Notre message marketing se résume à Vous pouvez tout faire ou tant de choses grâce à l’accélération technique qui s’est opérée mais nos interlocuteurs sont en réalité assez novices en technologie voire ‘technophobes’. A cette première tension s’en ajoute une deuxième, caractérisée par le fort niveau d’exigence des clients : on souhaite être dépanné en deux minutes, que l’incident soit résolu lors du premier appel. La dernière est liée à l’exigence de rentabilité omniprésente chez les FAI et sur laquelle il n’est pas besoin de revenir. Elle est très simple à comprendre : le centre de contacts est vécu comme un centre de coûts.

Comment résoudre cette équation ?
Premièrement, disposer de vrais professionnels. Ces éléments posés, on comprend bien la difficulté du métier de technicien qui doit combiner expertise technique, aptitude relationnelle et sens pédagogique. Au niveau de l’entreprise, la priorité est de bâtir un service si bien étudié, délivré, qu’il ne génère pas de panne. Le meilleur service, c’est quand on n’appelle pas. Ceci relève des options stratégiques : améliorer les process, les bêta-tests afin qu’on puisse aboutir à un réel plug and play. Et éduquer notre client, lui apprendre les 5 % de rudiments technologiques nécessaires qui l’amèneront à réaliser du self care (savoir utiliser un réseau local, savoir importer une photo numérique…). On s’oriente très certainement vers un schéma qui pourrait à terme se décrire, s’imaginer comme suit et qui serait un véritable contrat de confiance. Au premier niveau, l’internaute, l’utilisateur réalise un autodiagnostic, ce n’est qu’au terme de cette étape, si elle a échoué, qu’il contacte le service AOL pour une assistance à distance. Enfin, un troisième niveau peut et doit s’imaginer : nous lui enverrons un technicien à domicile et nous engageons à résoudre l’incident sous trente minutes par exemple (trente minutes équivalent à la durée d’une visite à domicile).

Vous dites doit s’imaginer ?
En effet, je considère que l’évolution technologique actuelle s’effectue à un rythme bien supérieur aux capacités d’adaptation de notre public.

Comment cette importance de service client se traduit-elle dans l’organisation de l’entreprise ?
En tout premier lieu, je suis membre du comité de direction France. Pour ce qui est des États-Unis, le service clientèle y est désormais appelé Member Development ; il est complètement intégré à la division commerciale qui a pour vocation de développer le nombre de membres d’AOL.

En sus de ces évolutions stratégiques, quelles dispositions l’entreprise a-t-elle pris à l’égard des techniciens ?
Il n’y a pas de recettes magiques mais un constat bien réel. Le premier levier sur lequel agir est le facteur humain et si notre installation à Marseille a été tant médiatisée, ce n’est pas uniquement en raison de son caractère géographique. Nous avons tout d’abord recruté, sans exigence de diplôme mais en recourant à un process d’évaluation des compétences. Nous avons utilisé la méthode de recrutement par habiletés même si nous l’avons un peu tordue en trois. Nous y ajoutons systématiquement un test, assez complexe, destiné à identifier les capacités de raisonnement. Les candidats qui passent avec succès ces tests bénéficient ensuite de formations initiales et continues régulières, intensives (nous y consacrons 1,5 % de notre budget) et notamment délivrées par des psychologues : PNL, reconnaissance de l’émotion du client sont quelques-uns des thèmes abordés, étudiés.

Christophe Famechon à gauche – © Emil Hernon

 

Cette attention apportée aux process d’évaluation initiale, à la formation continue ensuite garantit-elle un succès systématique ?
Reste à savoir où l’on place le curseur : 15 à 20 % des candidats recrutés nous quittent le premier mois ; peut-être parce qu’ils découvrent un métier qu’ils n’imaginaient pas ainsi qu’un niveau d’exigence réel et ambitieux de la part de l’entreprise. Pour ceux qui restent et évoluent, le portrait sociologique est loin d’être uniforme. La moyenne d’âge est de 27 ans mais avec un grand écart type (certains ont 50 ans). Certains sont étudiants, d’autres déjà diplômés et côtoient d’anciens militaires comme d’anciennes mères au foyer ou des personnes en pleine reconversion. Derrière ces profils très hétéroclites se profilent en réalité des capacités communes : connaissances techniques (qui ont pu être dispensées par la formation), capacité à gérer leur stress et celui du client, à se remettre en cause, sens du service, niveau de langage (précision, courtoisie, élégance). En résumé, je dirais que notre process de recrutement est très ouvert mais également sélectif, que notre investissement formation est réel, largement supérieur aux obligations légales et fait largement appel au savoir-faire de psychologues et d’intervenants qui ont construit avec nous des outils spécifiques.

Avec le recul dont vous disposez, identifiez-vous ce qui a moyennement fonctionné dans l’ouverture du site et son fonctionnement ensuite ?
Ouvert à proximité des quartiers populaires, dans une ville hautement symbolique, le centre de contacts d’AOL fut très remarqué. Nous avons un peu construit le centre de contacts modèle à Marseille en recrutant des jeunes, des chômeurs de longue durée et n’avons, à l’époque, rien oublié des attributs de l’entreprise moderne : terrain de Beach volley, campus, pratiques très américaines. Nous avons créé beaucoup d’attente, peut-être trop, car un service client de cette taille et traversé par les contraintes que j’évoquais auparavant, ça n’est pas Disneyland. Les promotions ne sont pas systématiques, il ne faut pas être en retard, apprendre à ne pas couper la parole. Peut-être, avec le recul, serions-nous un peu moins ambitieux dans notre communication externe de recrutement.

Venons-en à votre parcours, à vous-même, comment accède-t-on à la fonction de Directeur Général d’A0L Member Services Europe ?
Après des études supérieures de commerce, j’ai travaillé pendant cinq ans en Amérique du Sud sur la création d’un projet. J’ai bifurqué ensuite vers les services clientèle en prenant la direction de Havas on Line qui dépendait à l’époque de Vivendi. J’ai ensuite « atterri » chez AOL.

Les directeurs de services clients, de centres de contacts d’une certaine taille disposent en majorité de formations généralistes de bon niveau. Cela est-il absolument nécessaire ou faut-il surtout disposer de certaines qualités humaines pour cette fonction de dirigeant ?
Je crois, en effet, que la complexité des problèmes rencontrés dans de tels postes nécessite un bagage intellectuel réel ainsi qu’une expérience dans le maniement des hommes, des chiffres, etc. Mais dans le tiercé des qualités nécessaires pour réussir dans la fonction, je citerais plus volontiers, dans le désordre : le leadership (être un meneur d’hommes), la vision stratégique et le fait d’aimer les gens.

Propos recueillis par Manuel Jacquinet
En-Contact N°24, février 2005

Qui parle ?

Christophe Famechon, à l’époque de cette interview, était Directeur des Services Clients d’AOL. Il exerce aujourd’hui des fonctions quasi similaires chez Fnac-Darty, une entreprise qui a confié la gestion de ses centres de contacts à Comdata.
La photo sur laquelle apparait Christophe Famechon (à gauche) est la photo officielle de la 7ème édition d’Expérience Client/The French Forum, une manifestation qui se tient chaque année à La Baule.

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