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La régulation médicale bientôt sauvée par des chercheurs français ?

Publié le 09 mai 2018 à 15:51 par Magazine En-Contact
La régulation médicale bientôt sauvée par des chercheurs français ?

La défaillance d’analyse et l’erreur de diagnostic humain lors de la gestion d’un appel d’urgence peuvent être évitées grâce à deux applications logicielles, françaises. Des décès tels que ceux de Naomi Musenga, la jeune femme de 22 ans dont l’appel au SAMU Strasbourg aurait été mal géré par un ARM (auxiliaire de régulation médicale), pourront donc bientôt être évités : des technologies d’analyse de la voix et des éléments clés de la conversation existent, et ont été créées par des chercheurs français de l’Ircam et un spécialiste du parcours patient. Fondées sur des logiciels d’analyse des éléments de la prosodie, de « roughness » de la voix, elles permettent de déterminer et mesurer l’enjeu de l’appel, sans biais de perception. Elles peuvent donc “rappeler à l’ordre” le répartiteur si celui-ci est soit trop ému ou dans l’incapacité de distinguer ou d’entendre ce qui est dit et suggéré.
Lors de la récente présentation de leurs travaux à l’Ircam, En-Contact a rencontré les créateurs de ces deux solutions logicielles.
Un ancien urgentiste français les utilise déjà pour la formation des ARM. D’autres études et tests ont abouti à un constat édifiant. Un professionnel de santé est parfois plus influencé par des biais de perception qu’un agent expérimenté de centre d’appels. Dit de façon plus intelligible, sa prise en charge du patient est altérée parfois alors que la conduite d’appels est gérée de façon efficace par un hotliner technique.
Les précédents rapports de l’Igas et de la HAS, qui datent de 2011 (voir extraits joints) indiquent que la gestion des appels en régulation est parfaitement normée : prise en charge de l’appel, dimensionnement des équipes, risque juridique lié à ces appels critiques, tout était précisé et étudié en 2011. Déjà.
Le parcours patient, un sujet clé pour lequel l’apport des spécialistes des centres d’appels est possible.

Extraits de « Modalités de prise en charge d’un appel de demande de soins non programmés dans le cadre de la régulation médicale »
Mars 2011

(…)

5 Délai de réponse à un appel
Le délai de réponse à un appel se définit par une durée de temps débutant lorsque l’appel est initié. Cette période est intitulée « ti » pour « temps initié ».
Il convient de distinguer trois phases dans le cheminement d’un appel vers un centre de régulation médicale :

1/ Le « temps de réponse », incompressible, temps que met un appel initié avant d’être présenté sur le poste de régulation médicale. Ce temps est tributaire des spécificités techniques de l’opérateur de télécommunication et éventuellement d’un message vocal de l’autocommutateur du centre de régulation.

2/ Le « temps de sonnerie » concerne les appels décrochés (ne prend pas en compte les appels perdus ou les abandons). C’est le délai entre le temps t de présentation de l’appel et le t de son « décroché effectif » par une personne physique. Il reflète la rapidité de prise en charge des appels par le centre d’appels.

3/ Le « temps d’attente » est la somme du « temps de réponse » et du « temps de sonnerie » : c’est le délai entre l’heure de l’appel initié et l’heure de l’appel répondu qui correspond à la prise en charge effective par un ARM ou un serveur vocal interactif.

Pour les usagers des centres de régulation, le premier critère de satisfaction est la rapidité de réponse entre la composition du numéro et la prise en charge effective de l’appel par une personne physique. Il apparaît comme une évidence que la partie appel (temps d’attente au téléphone) du dossier doit faire l’objet d’une attention particulière. Derrière chaque appel se cache potentiellement une urgence vitale (35).
Tout appel reçu au centre de régulation médicale est donc susceptible d’être un appel pour une urgence vitale que le centre de régulation s’attachera à identifier. Un des premiers critères de qualité de ces centres est donc la capacité à décrocher rapidement les appels afin d’en faire le tri.
Dans le rapport d’information sur la PDS du député P. Boënnec, il est noté que les appels sont décrochés en moins d’une minute à l’hôpital de Nantes. Ce délai lui semble raisonnable. Pour le territoire national dans son ensemble, une modernisation des matériels est en cours depuis trois ans (2007 à 2010) (34).
De même, SAMU de France fixe comme objectif que 99 % des appels soient décrochés dans la minute avec au moins l’écoute de la demande (2).
En 2009, le référentiel de performance des centres d’appels AFNOR NF 34523 a établi les règles de certification de la marque NF service pour les centres de relation clients. Parmi les critères de qualité dits obligatoires, le décroché est le premier. Le client doit pouvoir accéder au service du centre de relation clients dans un délai de 20 secondes pour 95 % des appels, une situation inacceptable serait un centre inaccessible pendant plus de 10 minutes (36).
Lors du chantier MeaH cité plus haut, une des questions posées était : « Quelles pratiques organisationnelles permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité de la régulation ? » L’amélioration de la rapidité du décroché a été une des dimensions de la qualité globale de la prise en charge, la plus quantifiée par les équipes du chantier. Le pourcentage de décrochés en moins de 60 secondes a été la mesure de base pour construire des indicateurs (37).

(…)

6 Présence permanente du médecin régulateur
Dans un article paru dans la revue de la Société de réanimation de langue française (SRLF) en novembre 2009, « la régulation médicale est un acte médical pratiqué au téléphone par un médecin régulateur d’un centre d’appels, en réponse à une demande concernant un patient se trouvant à distance en situation d’urgence ».
L’acte de régulation médicale commence par un interrogatoire médical conduit avec méthode et dans le délai le plus rapide, par le médecin régulateur. Au terme de ce dialogue, le médecin régulateur établit une ou des hypothèses diagnostiques et pronostiques et évalue les risques de la situation en regard des bénéfices attendus des différentes prises en charge possibles : conseil médical, aide aux gestes de premier secours, prescription médicamenteuse, intervention médicale auprès du patient, orientation et transport du patient…
L’acte de régulation médicale aboutit à la prescription du juste soin. Il se poursuit par la mise en œuvre de cette prescription, l’assistance aux éventuels intervenants, l’anticipation de chaque étape et le suivi de la prise en charge du patient, le temps nécessaire à la prise du relais par une autre structure de santé. La régulation médicale est une des composantes de la médecine d’urgence, de la télémédecine et de la médecine de catastrophe (27).

(…)

11 Prise en charge des appels
Il apparaît nécessaire de rappeler ici un principe fondamental décrit par L. Verna dans la revue de l’American Family Physician, dans un article traitant des facteurs de réussite des centres d’appels. Il écrit que tout appelant doit avoir accès à un centre d’appels indépendamment de son statut d’assuré, de son niveau socio-économique ou de problème de communication. Par ailleurs l’appelant doit pouvoir connaître le statut de la personne du centre d’appels qui lui répond (38).
Il convient de souligner à nouveau la différence entre l’AMU et la PDS dans le cadre de la régulation médicale. En effet la réponse apportée en termes d’effecteur médical n’implique pas les mêmes obligations. Selon la Fédération des médecins de France, l’AMU est définie par une réponse médicale à la demande d’un patient dans un délai compris entre 20 minutes et 2 h, et comprend certains actes nécessitant une compétence particulière. La PDS est, quant à elle, définie par une réponse médicale dans un délai compris entre 2 et 8 h (51).
Une étude menée en 2001, par J. Marc et M. Amalbert sur la contribution individuelle dans un but de sécurité pour la collectivité, a étudié le fonctionnement de la régulation du SAMU-Centre 15. Ils décrivent les contraintes de la prise en charge des appels auxquelles le SAMU-Centre 15 doit faire face. Soit :
– des contraintes de production : obligation de moyens, le SAMU-Centre 15 se doit de traiter chaque appel qu’il reçoit ;
– des contraintes organisationnelles : permanence 24 h/24, avec des périodes de relève souvent asynchrone entre ARM et médecins ;
– des contraintes contextuelles : volume d’activité peu prédictible ;
– des contraintes liées aux appelants : obligation de s’adapter à l’interlocuteur, informations manquantes, dialogue typiquement expert-usager ;
– des contraintes administratives : gestion partagé des dossiers avec de fortes interférences médecins-ARM, nécessité de clôture correcte des dossiers pour satisfaire aux critères de facturation et d’archivage légal (52).

11.1 Étapes/modalités
La prise en charge d’un appel en centre de régulation repose sur une « démarche » qui doit permettre d’apporter une réponse rapide, adaptée et parfaitement claire pour l’appelant.
Waynes J. insiste sur la nécessité de directives écrites pour permettre d’éviter qu’« un temps précieux [soit] gaspillé ». Il propose cinq éléments incontournables pour rendre efficient un centre de régulation :
– la disponibilité 24 h/24 du centre d’appels ;
– un décroché au bout de quatre sonneries maximum ;
– une attitude un langage et courtoise en permanence c’est-à-dire même en période de stress ;
– adopter un réflexe de tri avec priorisation des appels, certains pouvant être longs ou sans gravité seront alors mis en attente ;
– il ne faut pas forcément s’évertuer à renseigner tous les items informatiques (53).

(…)

14.5 Risque juridique
L’importance du risque médico-légal dans la régulation est mal connue. Le risque médico-légal devient statistiquement plus important avec l’augmentation du nombre d’appels et il est rappelé que le nombre d’appels a triplé en 10 ans. Ainsi le Sou Médical – Groupe MACSF a recensé, en 2006, 16 sinistres dans le cadre d’une activité de régulation, dont 13 font l’objet d’une plainte pénale alors que sur une période de 6 ans (1994 à 1999), 5 sinistres seulement avaient été enregistrés pour cette activité.
Le médecin hospitalier est rémunéré par l’hôpital. Sur le plan pénal, il bénéficie de la protection juridique des agents publics : article 11 de la loi du 13 janvier 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa rédaction issue de la loi du 16 décembre 1996 aux termes duquel « la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans les cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère personnel ». Il convient de noter la responsabilité pénale des personnes morales, consacrée par le nouveau Code pénal de 1992. À ce titre, les hôpitaux et associations concourant à la régulation médicale peuvent être poursuivis pénalement et condamnés.
Pour le médecin libéral, la loi du 6 janvier 1988, article 4, définit les SAMU-Centres 15 et énonce que « le fonctionnement de ces centres est assuré avec les praticiens représentés par les instances départementales des organisations représentatives nationales ou les organisations ou associations représentatives au plan départemental à des conventions approuvées par le représentant de l’État dans le département ». Selon l’article 2 du décret n° 87-1005 du 16 décembre 1987, ayant pour propos « la participation des médecins d’exercice libéral au centre de réception et de régulation des appels médicaux », prévoit que la participation de ces médecins est déterminée par convention. L’avenant n° 4 à la convention nationale des médecins libéraux approuvé par arrêté du 26 mai 2005 (JO n° 126 du 1 er juin 2005) prévoit une rémunération sur la base de 3 C44 de l’heure. La circulaire ministérielle DHOS/01 n°2 006-470 du 10 octobre 2006 45 indique que « les médecins libéraux peuvent bénéficier de la qualité de collaborateur occasionnel du service public lorsqu’ils participent aux régulations intégrées au SAMU-Centre 15 ou situées dans les locaux des SAMU-Centres 15 ». Cette qualité, consacrée par le Conseil d’État, place sous un régime spécifique de responsabilité les médecins libéraux qui, sans être agents publics, ont participé au service public à la demande de l’administration. En effet, la responsabilité de l’administration est engagée sans faute à l’égard de ce collaborateur occasionnel pour les dommages qu’il aurait pu subir. La responsabilité de l’administration est également engagée à l’égard des victimes pour les agissements du collaborateur dans le cadre du service public, ce dernier étant, le cas échéant, couvert des condamnations prononcées contre lui pour les dommages qu’il aurait pu causer. L’activité de régulation de l’accès des patients à la permanence de soins, dont l’organisation est confiée au SAMU-Centre 15, constitue une activité de service public prise en charge par l’administration.

 

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