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Quand l'IA devient une interférence. L'écrivain vs Copilot de Word

Publié le 06 novembre 2024 à 11:00 par Magazine En-Contact
Quand l'IA devient une interférence. L'écrivain vs Copilot de Word

Gaspard Koenig raconte avec ironie et inquiétude son expérience de mise à jour du logiciel Word, qui a introduit de force Copilot, l’intelligence artificielle générative de Microsoft. 

Attaché à cet outil qu’il considère comme un véritable compagnon de travail, façonné selon ses besoins d’écrivain, il redoutait cette mise à jour, craignant qu’elle ne vienne perturber son processus créatif. Sa crainte s’avère fondée : dès le redémarrage de son ordinateur, il découvre que Copilot l’accompagne désormais dans chaque ligne qu’il écrit, lui suggérant de déléguer l’écriture et de lui faire confiance. Cette intrusion forcée dans son travail d’auteur le scandalise, au point qu’il la qualifie de « sacrilège ».

Koenig élargit ensuite son propos à une critique plus large de l’intelligence artificielle et de son impact sur notre autonomie intellectuelle. Selon lui, en habituant les individus à déléguer leurs décisions et leurs efforts à des machines, on risque de les priver de leur libre arbitre et d’appauvrir leur pensée. Il cite l’exemple des chauffeurs VTC qui, en suivant passivement les indications de leur GPS, voient s’atrophier la zone de leur cerveau liée à la prise de décision. De la même manière, Copilot est, pour lui, une sorte de « Waze de la pensée », qui enferme les auteurs dans des formulations prévisibles et les pousse à abandonner l’effort nécessaire à la création d’un style personnel.

Copilot symbolise selon lui une homogénéisation de la pensée

Loin d’être une aide précieuse, Copilot symbolise selon lui une homogénéisation de la pensée. Il rappelle que l’écriture est un travail minutieux, où chaque mot est pesé, chaque virgule méditée, chaque répétition traquée. C’est dans cet effort laborieux que se forge un style unique, et non en cédant à la facilité de suggestions automatisées. Or, l’intelligence artificielle repose sur des algorithmes qui s’appuient sur des corrélations statistiques et finissent par ramener chaque production vers une moyenne impersonnelle. Pour un écrivain, être forcé d’avoir un « copilote » bavard est une insulte à l’acte même d’écrire.

Au-delà de la question de la création, Koenig dénonce également la dimension économique et politique du déploiement de Copilot. Microsoft impose cet outil sans laisser d’option claire pour le désactiver, tout en augmentant le prix de l’abonnement pour financer son développement. Ainsi, non seulement les utilisateurs paient pour une fonctionnalité qu’ils ne désirent pas, mais ils contribuent également, bien malgré eux, à entraîner l’IA en fournissant gratuitement leurs propres textes. Ce procédé constitue, selon lui, un pillage de la propriété intellectuelle et une violation de la confidentialité des données personnelles.

Pour Koenig, Word représentait autrefois un symbole de liberté et d’émancipation dans l’univers du numérique. Il évoque avec nostalgie l’époque où, enfant, il découvrait la frappe sur Macintosh et où ses parents abandonnaient les ciseaux, le Scotch et le Tipp-Ex pour la souplesse du traitement de texte. Aujourd’hui, il perçoit au contraire l’arrivée de l’IA dans Word comme un asservissement progressif des esprits.

Face à cette menace, il en appelle aux décideurs réunis au Sommet mondial sur l’IA pour qu’ils prennent conscience du danger et défendent la liberté de choix des citoyens. Il suggère qu’au lieu de jouer les promoteurs des start-up technologiques, ils devraient garantir que l’intelligence artificielle reste une option et non une obligation imposée. Son plaidoyer se termine par une demande simple et symbolique : qu’on lui rende son « petit marteau », c’est-à-dire la possibilité d’écrire sans qu’une IA ne vienne constamment interférer dans son processus créatif.

Publié dans Les Echos, le 11 février 2025

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