LinkedIn m’a tuer*
Roland Garros, le festival de Cannes, la visite à la grand-mère, la pause déjeuner consacrée au surfing sur les sites de directours.com, misterfly.com ou booking.com… Les sollicitations ne manquent pas dans la vie des cadres, des décideurs encore plus à l’approche de l’été. Où faut-il être, une trop grande visibilité médiatique est-elle préjudiciable à votre carrière, faut-il vraiment déconnecter ? Voilà les questions essentielles qu’on est allé poser ce mois-ci à Philippe Amiel, à sa sortie de sa loge VIP à Roland…
Matthieu Timmerman : Les réseaux sociaux sont-ils des bons outils pour les recruteurs ?
Philippe Amiel : Le travail de recruteur ne s’y résume pas mais pouvoir rechercher des candidats dans tout LinkedIn sans restriction fait partie de nos moyens d’identification. Nous utilisons LinkedIn, Twitter et Facebook à la fois pour identifier des candidats et pour observer leurs sujets d’intérêt, certains comportements, etc…
Quand on parle de comportement, il faut bien préciser que cela dépend du poste occupé ou recherché par quelqu’un. Un community manager très réactif sur Twitter, c’est évidemment très positif. Pour ce qui est des personnes qui n’ont pas à être en permanence sur les réseaux sociaux (ou sur internet) et qui semblent l’être, l’évaluation est un peu plus délicate. Comment en effet départager entre le travail véritablement effectif et le salarié qui passe (perd ?) son temps sur Facebook ou sur Twitter ?
Les réseaux sociaux sont donc devenus très importants pour le processus de recrutement, ils font désormais partie intégrante du profil d’une personne.
Y a-t-il des réseaux sociaux plus dangereux que d’autres pour les salariés ?
Facebook bien sûr. Facebook provoque une irruption du privé dans le monde professionnel, ce qui peut être assez dangereux pour un salarié. Nous avons d’ailleurs tous en tête un exemple de ces personnes malades ou absents pour une raison x ou y que l’on retrouve souriant sur une plage, à faire la fête ou que sais-je encore ? Pour ce qui est de LinkedIn, c’est un peu différent. Les gens le maîtrisent plus et il est assez facile de bloquer les internautes qui souhaitent regarder votre profil. Il y a donc assez peu de soucis avec ce réseau.
Je vais vous raconter une interview récente d’un candidat. Je reçois une personne à la recherche d’un emploi et lui demande pourquoi elle a quitté son poste précédent. Sa réponse : elle a été licenciée… pour faute grave. Après quelques questions, je découvre que son entreprise lui reprochait son temps (trop important !) de connexion. Ses objectifs étaient atteints, son comportement ne posait aucun problème mais elle avait signé une charte lors de son embauche stipulant que le temps de connexion dans le cadre de son travail était limité. Elle a donc été licenciée sans avertissement préalable. Le cas est évidemment très marginal (c’est honnêtement la première fois que je vois ça). L’entreprise a dû connaître des problèmes à ce niveau pour adopter de telles mesures. Je n’en sais pas plus mais cela montre peut-être à quel point le temps de la connexion peut devenir un enjeu au sein des organisations.
Un temps de déconnexion est-il souhaitable ?
Vous parlez de la déconnexion professionnelle ? Oui évidemment. Dans les contrats de travail, il est d’ailleurs stipulé que le salarié doit avoir un temps de connexion raisonnable hors des horaires de travail (Le projet de loi Travail El Khomri comporte un chapitre intitulé Adaptation du droit du travail à l’Ère du numérique. Dans le chapitre III article 25 du projet de loi, il est prévu des modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer des temps de repos et de congés. Cet article n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2018). Cela est nécessaire pour opérer une coupure. Tout le monde ne le fait pas mais c’est bien sûr souhaitable. Pour ce qui est de la déconnexion durant le temps de travail, c’est pratiquement impossible (hormis pour des cas très particuliers).
A titre personnel, je déconnecte en écoutant assez régulièrement la radio pendant ma pause repas ou les chaines d’information (intelligentes).
Propos recueillis par Matthieu Timmerman
*Allusion à l’affaire Omar Raddad, condamné pour le meurtre de Ghislaine Marchal. Le seul indice laissé à l’époque (1991) était une inscription faite par la victime avec son sang : Omar m’a tuer.
Depuis que LinkedIn a permis de remplacer, pas tout à fait gratuitement, les services des recruteurs sans talent, Roland Garros commercialise beaucoup moins bien ses loges auprès des chasseurs de têtes (executive search). Mais les organisateurs en vendent désormais à LinkedIn et aux plateformes de recrutement. Rien ne se perd, rien ne se crée.