Les studios Pathé-Marconi/ EMI. A Boulogne-Billancourt, un studio d'enregistrement de légende
Rencontre avec des fantômes, au Franprix du 62 de la rue de Sèvres, à Boulogne-Billancourt.
Cinq fois de suite, les Rolling Stones viendront enregistrer ici, à Boulogne-Billancourt, dans ce magnifique studio équipé selon les meilleurs standards et où les Beatles, Téléphone, Gérard Manset et tout le gratin du rock français et anglais est passé. Une supérette Franprix a pris la place de ce temple de la musique dont il ne reste nulle part d'archives visuelles, d'images.
David Gilmour, le guitariste des Pink Floyd, y enregistrera son 2ème album solo. Pour le premier, c'est à Berre-les-Alpes, à Super Bear qu'il séjourna. Préalablement, c'est au Château d'Hérouville que Pink Floyd enregistra Obscured by Clouds qui deviendra la BO de La Vallée. Lorsque j'ai demandé à Barbet Schroeder (qui collabora deux fois avec eux) quels souvenirs il a conservés de sa collaboration et de ces sessions, il m'a répondu: “C'était bien”, indique Manuel Jacquinet, auteur et éditeur du livre.
Ci-après, l'article de Pierre Lafitan sur les studios Pathé Marconi.
La France a vu naitre et disparaître de sacrés studios d'enregistrement de légende.
Les murs du 62, rue de Sèvres, à Boulogne-Billancourt, sont vibrants de souvenirs et d’actualité. Le passé et le présent s’y mêlent en une drôle de complainte, pour qui sait écouter. Combien d’artistes ont vécu ici les affres de la création... Cet instant à la fois délicieux et terriblement angoissant lorsque la lumière rouge s’allume et qu’il faut « y aller ». Chanteurs, chantez. Batteurs, battez. Le studio Pathé-Marconi bat comme un cœur. Nuit et jour. Depuis 25 ans. Il frise l’infarctus à 45 tours minute. Pas étonnant : il est bâti dans une coque. Tel un vaisseau. Ils ne manquaient pas de bon sens les architectes des années 50. Ils ont creusé afin d’aménager une structure parfaitement protégée des bruits extérieurs. Résultat : ce studio (un des plus anciens de la capitale) est un des mieux isolés aujourd’hui.
Premier coup de pioche en 1958
C’était le temps (quasi mythique) où chanteurs et musiciens enregistraient, dans le même élan, deux titres en trois heures. Cordes et cuivres (une bonne quarantaine) s’entassaient autour des micros. Les producteurs avaient la signature facile. Pathé-Marconi lançait déjà des disques à l’autre bout de la planète, concoctés dans des studios de fortune. Une fortune, précisément. D’où l’idée d’investir dans un studio où les artistes « maison » seraient priés d’enregistrer, afin de limiter les frais. Le studio Pathé-Marconi se distingue, dès sa création, par la qualité du matériel. Les premiers Telefunken stéréo sont installés au 62, rue de Sèvres. Puis, plus tard, les premiers Telefunken 4-pistes 1 pouce ; suivent les 8-pistes Telefunken 1 pouce ; les 16-pistes Studer et les 24-pistes Studer. René Vanneste, maître des lieux depuis le début, aujourd’hui à la retraite, a gardé un exemplaire de chaque type de magnéto. Excellent pour déchiffrer les bandes qui déroulent l’histoire du showbiz.
En 1959, le 62, rue de Sèvres, comprenait trois studios, dont deux de grandes dimensions, du fait, encore une fois, de la taille des orchestres des années 50. Depuis, un de ces studios a été supprimé. Pathé dispose aujourd’hui d’un « 1 » de 250 mètres carré (cabine 50 mètres carré environ) et d’un « 2 » de 100 mètres carré, spécialisé dans les travaux de mixage. La conception d’ensemble et l’acoustique sont dues aux techniciens d’EMI (Electric Musical Industrie), la maison-mère.
Actuellement, les studios sont équipés en magnétophones Studer 24 pistes. Pour ce qui est des consoles, René Vanneste et son équipe technique ont fait confiance à Neve. L’informatique entre en scène avec le remixage automatique Neecam. Un must ! Question effets spéciaux, le studio Pathé est tout à fait bien placé : une chambre naturelle, une AKG BX20, une EMT 140, deux EMT 440 numériques. Originalité : tous les micros d’époque (U 47, M 49, etc.) ont été conservés ici. Certains groupes, tels les Rolling Stones, affectionnent les anciens micros à lampes. S’ils viennent ici, c’est en grande partie du fait des micros.
Autre atout de Pathé : la gravure. Depuis plusieurs mois, le studio de la rue de Sèvres est équipé en « gravure directe cuivre ». La « mère » est gravée directement, ce qui supprime l’opération intermédiaire de gravure de la laque acétate. Appellation de ce nouveau système de gravure, qui permet de passer directement de la bande à la mère : le « DMM ». Avantages : meilleure qualité et gain de temps (suppression de quatre opérations). On pourrait croire que le studio Pathé-Marconi (sponsorisé par la maison de disques du même nom) n’a cure de la publicité. Eh bien non : Pathé se place aussi en tant que prestataire de services et accepte de plus en plus de clients extérieurs (35% environ, contre 25% il y a une dizaine d’années). Pour attirer et fixer ces clients, il convient d’améliorer sans cesse les équipements.
Studio pro
Ainsi, la cabine du « 2 » (le studio fétiche d’Yves Duteil) vient d’être repensée acoustiquement et agrandie. (Nouvelle superficie : 35 mètres carré.) à la disposition des artistes Pathé (Gilbert Bécaud, Franck Pourcel, Jacques Higelin, Richard Dewitte, Karim Kacel, etc.) et des autres : une équipe disponible et motivée, drivée par Bernard Ray, précédemment assistant de René Vanneste. Claude Wagner, Roger Ducourtieux, Daniel Michel, Pierre Saint (ingénieurs du son), Bernard Camus, Bernard Rey, Claude Pothet (maintenance et service technique), Jean-Claude Pellé, Louis Baroux (graveurs), Guy Peter (master-duplication), Roland Faure (travaux copies et remise en état des anciens documents), Driss Joual (régie), Aline Bounon (secrétariat). Outre les installations de Boulogne, Pathé-Marconi possède un studio, aménagé dans une pièce de la Salle Wagram et doté d’une console EMI-Neve 32 x 24 et d’un magnéto numérique 2 pistes Sony. Car Pathé donne aussi dans le classique.
Source : Guitare et Clavier, Pierre Lafitan, 1986
L’esprit créatif des studios Pathé
Quand Pathé inaugura son studio de Boulogne, en 1960, l’événement était tel que le ministre de la Culture se déplaça pour la cérémonie officielle. Si les Anglais ou les Américains avaient déjà construit des bâtiments conçus par des architectes et des acousticiens pour l’enregistrement, aucun équivalent n’existait encore en France. Le premier véritable studio venait de naître !
Saviez-vous que, juste après la seconde guerre mondiale, on se contentait encore d’écouter 3 minutes de musique par face sur des 78 tours ? Heureusement, dès le début des années 50, le microsillon bouscula les techniques. Sa qualité sonore se révélait excellente et l’on pouvait désormais écouter, sur chaque face, jusqu’à 30 minutes de musique. Une révolution !
C’est à cette période que Pathé, entreprise créée en 1890, quitta son hangar de la rue Pelouze pour s’installer rue Jenner, dans les anciens studios cinéma de Jean-Pierre Melville. « On passait au rang supérieur. Une quinzaine de personnes y travaillaient, il nous arrivait de croiser des acteurs comme Alain Delon, Mireille Darc ou Brigitte Bardot », se souvient l’ingénieur du son Alain Butet. Le studio était équipé de chambres d’écho naturel en sous-sol tandis qu’une atmosphère pour le moins champêtre régnait dans la salle... Son traitement acoustique avait en effet été imaginé... en empilant des ballots de paille ! Les enregistrements s’effectuaient en mono et la plupart des grandes vedettes du moment y défilait : Tino Rossi, Édith Piaf, Yves Montand… Claude Wagner, qui commença comme assistant d’Alain Butet avant de devenir ingénieur du son au studio de Boulogne, se rappelle cette époque : « Les assistants étaient en blouses blanches et j’ai été l’un des premiers à refuser de porter cet uniforme de technicien qu’on imposait dans la maison ! »
Pathé rassemblait les marques La Voix de son Maître, Columbia, Ducretet-Thomson, Odéon et l’on gravait et pressait les disques à l’usine de Chatou. Pathé fabriquait également dans son usine du matériel audiovisuel, électrophones, télévisions...
« On entrait chez Pathé comme on entrait dans les ordres »
En 1960, Pathé quitta Melville pour Boulogne. C’était la première fois que des architectes et acousticiens concevaient en France un bâtiment entièrement dédié à l’enregistrement. Le nouvel ensemble disposait de quatre studios, de six chambres d’écho naturel et employait jusqu’à six ingénieurs du son, six assistants, une équipe de maintenance, un directeur… On considérait alors le studio comme un outil de création sans impératif de rendement ! « J’ai consacré des centaines d’heures à de nombreux enregistrements qui n’ont jamais été commercialisés ! », témoigne Claude Wagner. Lorsque commença à se poser le problème des coûts du studio, on décida dans un premier temps de fermer l’une des cabines, avant de totalement démolir le bâtiment en 1991. « A Boulogne, j’ai eu la chance d’enregistrer Gloria Lasso, Luis Mariano, Bourvil, Franck Pourcel… témoigne Alain Butet. Nous connaissions notre emploi du temps une année à l’avance, il était fonction des sorties d’albums annoncées chez Pathé. » Parmi les anecdotes racontées par Alain Butet, l’une est particulièrement révélatrice du climat maison. « On entrait chez Pathé comme on entre dans les ordres, si bien qu’il n’était pas toléré que les employés aillent voir comment se déroulaient les enregistrements ailleurs, analyse Alain Butet. J’avais pourtant pris l’initiative de visiter les studios anglais d’Abbey Road où je découvris que l’on utilisait des consoles Neve 24 voies et des magnétophones 8-pistes alors que nous ne possédions que des magnétophones 4-pistes… ». La maison mère de Londres considérait le studio de Boulogne comme une succursale ; ce dernier en était le parent pauvre et récupérait le matériel dont les studios anglais ne voulaient plus ou achetait d’occasion à d’autres studios français. « à Londres, j’eus aussi le privilège d’observer les Beatles en train d’enregistrer, continue Alain Butet. Mais à mon retour, on m’apprit que je ne travaillais plus au studio, pour avoir enfreint la règle sacrée de ne pas aller voir ailleurs. Le soutien de mes collègues et des musiciens me permit heureusement de regagner ma place. »
Crise de nerf pour Chats sauvages…
À l’inverse, les Beatles sont venus une fois dans les studios de Boulogne. En janvier 1964. Le groupe était à Paris pour se produire à l’Olympia et la filiale allemande Odéon du groupe E.M.I. souhaitait des versions allemandes de certains tubes. « Lorsque leur producteur George Martin se présenta au studio, les Beatles n’y étaient pas », raconte Mark Lewisohn dans son ouvrage The Complete Beatles Recording Sessions (Hamlyn-E.M.I.). Il attendit plus d’une heure avant d’appeler les quatre musiciens à l’hôtel George V. « Ils dorment, et ne veulent pas se rendre au studio », lui répondit-on. Furieux, George Martin sauta dans un taxi pour aller les chercher. « Surpris autour d’une tasse de thé, ils me regardèrent, ahuris, avant de disparaître comme des élèves fuyant devant l’arrivée du professeur ! raconte le producteur. Je hurlais et quelques minutes plus tard, nous étions en route vers le studio…»
« Nous les attendions avec des perruques imitant leurs cheveux longs ! », se souvient Claude Wagner qui poursuit : « L’arrivée des groupes rock & pop nous a fait changer de statut. On devenait un autre membre du groupe, choisi par les musiciens. Une grande liberté nous était offerte pour trouver des sons nouveaux et nous livrer à toutes les expériences sonores imaginables. » Les musiciens étaient souvent très jeunes et pas toujours au fait de leur instrument… On raconte que le preneur de son Jean-Paul Guiter, spécialiste de jazz qui s’occupait aussi de Dick Rivers et de ses Chats sauvages, piquait de véritables crises de nerfs lorsqu’il montait un solo de guitare à partir des dizaines de prises effectuées… « Les problèmes se posaient aussi avec les groupes français qui nous demandaient de leur fabriquer un son particulier inspiré des modèles anglo-saxons, se souvient Claude Wagner. Lorsque le batteur de l’un de ces petits groupes me demanda pourquoi il n’avait pas le son de Billy Cobham en utilisant la même batterie, je lui ai répondu : « Tu sais, j’ai le même vélo qu’Eddy Merckx mais je n’ai jamais gagné le Tour de France. »
Pathé, si proche d’Abbey Road
Créée vers 1890 par les frères Pathé, l’entreprise devint, en moins de 20 ans, l’une des plus grandes sociétés de production et d’équipement cinématographique au monde. Parallèlement, elle était aussi un important producteur de disques phonographiques. Dans les années 30, cette production de disque fut absorbée par le groupe anglais E.M.I. particulièrement connu pour son studio londonnien d’Abbey Road.
Source : Tous les témoignages de cet article sont extraits de Soundcheck, hors-série, 1991, reproduit dans “Studios de Légende, secrets de nos Abbey Road français”.
Studios de Légende, secrets et histoires de nos Abbey Road français
Beau livre enrichi de photographies exclusives. 352 pages. Poids : 1,3kg !
Publié par Malpaso-Radio Caroline Média.
45 euros.