“Les gendarmes nous ont demandé de fermer le centre d’appels. Puis la préfecture nous a confirmé qu’on pouvait le garder ouvert…”
La folle semaine de Denis Akriche et de quelques autres professionnels des plateformes téléphoniques.
Après 30 ans de métier, il pensait avoir tout vu, connu : le fondateur et président d‘Armatis-LC, Denis Akriche, se rappellera certainement la semaine du 16 mars 2020. Installée dans de très nombreuses agglomérations de France et souvent notamment dans des préfectures (Auxerre, Bordeaux, Poitiers, Caen, Nevers, Châteauroux, Calais, Boulogne sur Mer, etc.), l’entreprise qu’il continue de diriger avec doigté et en bon gestionnaire a gagné et conservé la confiance des plus grandes marques françaises : Edf, Engie, la BNP, Nespresso, Orange, etc. Un petit virus et les annonces de confinement arrivant par petits bouts auront suffi à créer le tumulte et le tracas dans l’esprit de ses salariés, certains, et dans l’ordonnancement de sa production. Un comble dans ce métier qui exige une sacrée planification des activités et des flux de contacts à gérer.
Mardi 17 mars : Le centre d’appels doit fermer, saison 1
(Avec l’aimable participation des Gendarmes de Tauxigny)
A Tauxigny, mardi, c’est la saison 1 de la série Plus belle la vie dans mon call center qui est tournée : les gendarmes interviennent sur site et indiquent au directeur qu’au regard du nombre de salariés qui sont employés sur place, plus de 100, il faut fermer le site. Les gendarmes désirent protéger la santé des salariés et faire appliquer le confinement annoncé un jour avant par Emmanuel Macron. “Nous gérons sur le site et sur nos sites en France, les services clients de banques, d’EDF, d’Engie et quantité d’autres acteurs qui sont utiles à la bonne marche de l’économie”, indique Denis Akriche. “Fermer un site de 800 personnes, informer et avoir l’accord de nos clients donneurs d’ordre sur le fait que nous n’allons plus traiter sur place les demandes de leurs clients ne s’improvise pas”. Il réagit donc, sans céder à la panique.
Mercredi 18 mars: Le centre d’appels peut rester ouvert, saison 2
(Avec l’aimable participation du préfet d’Indre et Loire )
Mercredi 12h, la presse locale est là, les caméras également quand soudain, 20 minutes avant l’échéance fixée et l’heure limite, l’appel de la préfecture et la confirmation par mail surviennent, comme dans un vaudeville où l’amant est retrouvé dans l’armoire : Les activités gérées sur site relèvent bien des activités nécessaires à l’économie. Le centre d’appels peut continuer de fonctionner. Dans les épisodes qui suivent, à Tauxigny comme sur d’autres sites en France de l’entreprise (elle est quasiment le plus gros employeur en France de téléconseillers et télévendeurs, avec 6000 salariés), Armatis aura dû, en moins de 3 jours : adapter ses effectifs à des flux d’appels qui n’ont fait que baisser, sans que quiconque ait pu en planifier le volume; répondre à l’inquiétude légitime des agents, qui craignent d’être contaminés ; organiser tout ce qui peut l’être en télétravail, dans le respect des consignes précises et nombreuses des donneurs d’ordre. (La norme PCI DSS, par exemple, qui s’impose lorsqu’on prend des paiements par téléphone, nécessite des sites dédiés et sécurisés et ne peut donc s’improviser avec des postes en home office).
Vendredi 15H17 : La CIA avait-elle tout prévu ? saison 3
3 jours après qu’on l’a appelé, ce président qu’on avait sollicité pour recueillir son point de vue après les premiers articles parus en presse régionale nous retourne notre appel. “Au Portugal où nous sommes installés, c’est la même chose. A Tunis, idem mais avec un couvre feu à 18H. On a donc cessé toutes les campagnes d’appels sortants ; dans ce pays, on pratique surtout de la télévente et de la prospection par téléphone et donc, très vite, on s’est dit que ce n’était pas trop la période. La semaine a été un peu folle pour tenter de concilier tous les impératifs sans faire n’importe quoi. Vous savez Manuel, les contraintes de qualité de service, d’efficacité, de qualité de l’expérience client sur lesquels les conversations de nos collaborateurs et l’entreprise sont jugées auditées, benchmarkées, ne prévoient pas de mode dégradé. Or on sait pas ce que peuvent produire des salariés travaillant dans un nouveau contexte, sans animation et les services qu’ils ont d’habitude à proximité.”
On a demandé à cet homme discret et qui parle assez peu aux médias ce qu’il retenait de cette semaine : “Les flux ont baissé en moyenne de 50% sur toutes les activités. Le déploiement du télétravail se poursuit. Et dans nos centres de contacts, finalement restés ouverts quasiment partout, travaillent et viennent deux fois moins de collaborateurs. Ils sont donc dans les conditions adéquates pour ne pas trop se toucher ou frôler. Pour ceux qui étaient affectés à des missions de télévente, nous les avons mis en chômage technique. Les centres de contacts permettent à l’économie de continuer de fonctionner, aux livebox d’être dépannées, aux banques de gérer les opérations en banque à distance. Nous renseignons sur les livraisons pour les commandes passées sur des sites de e-commerce, etc. Mais cette facette là, l’utilité économique et sociétale de notre métier n’intéresse décidément personne. C’est dommage.”
Comme on sait que ce fils de commerçants est également un homme lettré et réfléchi, on lui a demandé si rien d’autre ne le questionnait : “On m’a partagé les extraits d’un livre dans lequel tout ce qui nous arrive a plus ou moins été prévu : une pandémie qui bloque comme ça l’économie mondiale. Le livre s’appelle Le nouveau rapport de la CIA, présenté par Alexandre Adler. Il faut que je vérifie qu’il ne s’agit pas de fake news, mais si c’est vrai, pourquoi ne parvient-on pas à planifier, s’organiser ?”
Un peu partout en France cette semaine, les concurrents et collègues de Denis Akriche ont dû également gérer ces mêmes injonctions contradictoires (Webhelp, Teleperformance, Euro CRM, etc.). Les confinements annoncés au Maroc, en Tunisie, à l’Ile Maurice ou à Madagascar vont probablement endommager la qualité de service dans de nombreux services clients de grandes marques. Mais en parcourant le chapitre deux -qui suit- on découvrira que bon nombre de ces entrepreneurs ont du poil aux pattes, si vous nous permettez l’expression. Ils vont s’adapter. Et poursuivre le dialogue entamé, via leur syndicat, le SP2C, avec les donneurs d’ordre pour ériger ou adapter les bonnes pratiques constatées ou espérées.
Par la rédaction d’En-Contact