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« Il faut disposer du ou des bons micros et parfois de 8 roses »

Publié le 07 mai 2019 à 15:45 par Magazine En-Contact
« Il faut disposer du ou des bons micros et parfois de 8 roses »

Zach Hanoun, Studio de la Grande Armée (ou du Palais des Congrès)

Lorsqu’il revient des États-Unis en cet été 1990, chargé de quelques matériels d’enregistrement bien spécifiques, Zach Hanoun est un jeune musicien, guitariste de session qui a fait en Californie des emplettes ciblées : convaincu que certains grands bonds technologiques ne sont possibles que si l’on dispose du matériel adéquat, il entend bien les proposer aux studios d’enregistrement de la place parisienne et convaincre ces derniers.
Son expérience lui a permis, malgré son jeune âge, de constater que certains de ces établissements ont trépassé souvent parce qu’ils n’ont pas pu ou su prendre les bons virages technologiques.
Voilà donc Zach lancé dans une petite campagne d’appels de prospection ciblée, d’appels qualifiés aux patrons des studios Ferber, Davout, Guillaume Tell, Mega, ceux-là mêmes qui tiennent le haut du pavé en cette fin des années 90. C’est celui qu’il va passer à Jean-Claude Dubois, le fondateur du Studio du Palais (des Congrès) qui va donner un tour différent à sa vie professionnelle. « On s’est rencontrés et tout de suite bien entendus et compris ». Jean-Claude Dubois est harpiste, musicien de la Garde Républicaine et il a créé cet endroit, très vite reconnu par ses pairs et le milieu, initialement en haut de l’avenue de la Grande Armée, avant de déménager en-dessous du Palais des Congrès, un lieu qui amènera les gens à parler très vite et encore du Studio du Palais. Il y dispose d’une structure unique, composée de 3 studios, vastes au point qu’il y est possible de faire jouer un orchestre de 96 musiciens, dans de très bonnes conditions de travail et d’acoustique (une salle de 250 mètres carrés).
En 2001, c’est donc naturellement que Zach H. devient propriétaire du studio du Palais, après que son fondateur a désiré prendre sa retraite et céder son affaire.

Mick Jagger en 1976 – © DR

 

Manuel Jacquinet : Pourquoi des studios meurent-ils, alors qu’ils ont eu leur heure de gloire ?
Zach Hanoun : Un studio, ce n’est pas qu’un lieu équipé, c’est la combinaison d’un lieu, d’une équipe et de moyens technologiques qui vous permet d’offrir à des musiciens, des groupes parfois très exigeants la solution adéquate pour les recevoir, de façon personnalisée et adaptée. Si vous parvenez à réaliser cette performance, à faire que des albums importants y soient enregistrés et que des groupes y reviennent plusieurs fois, sur une longue période, c’est peut-être que votre studio peut entrer dans le club des grands studios. Et ça ne relève pas du hasard. Nous avons eu la chance d’enregistrer depuis 17 ans des groupes tels qu’Inxs, Mick Jagger, Francis Cabrel ou Gérard Manset, qui sont tous des grands professionnels qui ont possédé parfois leur propre studio, comme Gérard Manset. Tous ont leurs attentes et ça ne rigole pas (sourires).

Par quoi cela commence-t-il ?
Très souvent par exemple par un rider, c’est-à-dire une liste de prérequis sur le matériel qui est demandé par le groupe ou le musicien mais qui ne s’arrête pas là. On peut y trouver une marque de bouteilles d’eau minérale très particulière, exigée par le musicien ou son staff, voire un nombre de roses spécifiques que votre client demande. Le staff appelle avant la venue du musicien, rappeur et s’il manque un seul item, l’issue et la sanction est : studio pas prêt. Mon métier peut donc consister à trouver, en urgence, ceci ou cela, à dénicher ces objets, fleurs ou cet ampli considérés ou ressentis comme indispensables. A me les faire livrer en 48H chrono. A savoir que tel ou telle grande star qui est en concert a l’habitude de passer après son concert pour travailler la nuit. On n’est pas dans l’industrialisation du service mais dans l’extrême écoute, personnalisation et discrétion.

Discrétion ?
Oui. Si Mick Jagger vient jouer ou répéter la semaine prochaine, c’est une erreur de le faire savoir à la terre entière sur Twitter dans la demi-heure. Ce genre de mésaventure m’est arrivée une fois et j’ai retenu la leçon. Je ne me rappelle plus comment mais l’info était arrivée jusqu’aux oreilles de quelqu’un, qui l’a posté sur le web. Toujours est-il que cette personne était suivie sur les réseaux sociaux par un journaliste spécialisé. Ça n’a pas loupé : dès le lendemain, le staff des Stones m’appelle et annule la session ! Il m’a fallu des années pour faire oublier cet impair qui ne m’était pas imputable. Merci Lenny Kravitz qui a pris le temps de l’expliquer aux Rolling Stones.

The Black Keys – © DR

 

La technologie permet de faire un album chez soi, pourquoi vient-on encore en studio, les loue-t-on alors que ça coûte et que les moyens sont partout réduits ou limités ?
Bien sûr vous pouvez faire tout ceci chez vous mais l’essence du métier de musicien, c’est aussi la rencontre avec d’autres musiciens et talents. Il y a eu beaucoup de grands ingénieurs du son, un peu connus, qui décident d’installer une cabine chez eux, en songeant qu’ils vont ainsi éviter de louer un endroit. Très souvent, après qu’ils ont vécu et tourné avec leurs connaissances ou leur carnet d’adresses, leur studio s’étiole. On va en studio pour faire également des rencontres, trouver du matériel ou un environnement précis. Et parfois si la chance est là, quelque chose d’unique se passe, ce qu’on peut appeler l’heure magique. Ça arrive sans prévenir, un matin, un soir, après des heures de session ou pas. Tout le monde se regarde après une énième prise de son. On sent que quelque chose vient de se passer, qu’on vient de mettre sur une bande quelque chose de particulier.
Il y a également une chance que nous avons et qui s’appelle Paris.
La ville est sur le chemin et le programme de n’importe quelle tournée d’un grand groupe et attire également beaucoup de visiteurs grâce aux évènements, manifestations telles que la Fashion week. Quantité de groupes prévoient toujours, au cours de leur tournée, quelques sessions en studio et se mettent donc en quête du lieu ad-hoc. Parfois même avant ou après leur concert. J’ai le souvenir d’un musicien (que je ne citerais pas en raison de la discrétion que j’évoquais plus haut) qui était encore présent dans notre studio une demi-heure avant le début de son concert.
Paris continue d’attirer quantité de monde, cette ville nous place sur le chemin de ces passages et c’est tant mieux. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut rester dans Paris intra-muros.

Par Manuel Jacquinet

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