“Je reste admiratif des entrepreneurs”, Guillaume Cornu, spécialiste du restructuring chez EY
Peut-on être l’un des spécialistes français du restructuring, sympa et surfeur ? Oui ! Qu’on en juge par l’interview qui suit.
« Un médecin de famille aime les gens. Je suis à la fois un urgentiste et un médecin de famille. » Le carnet de rendez-vous du Dr Guillaume Cornu est bourré de rendez-vous car cet Associé au sein du cabinet EY est directeur de l’activité Restructuring/Cash management. Un vrai métier, d’actualité.
Sans discontinuer depuis quelques mois, assisté d’une équipe étoffée de spécialistes de la burette et de la prise de températures diverses, il opère à la Clinique Réparatrice du Haut de Bilan et de la dette restructurée. Pour redonner vie et assurer à ses clients une deuxième partie de vie heureuse. Son planning de rendez-vous n’apparait pas sur Doctolib, parce que personne ne doit trop savoir qui il voit et quelles données ses patients lui ont confié. Rendez-vous ce mois-ci avec un urgentiste qui se prépare, avec son équipe, à une année bien chargée.
Corporate Restructuring Leader, France Growth Markets Leader. Ne fuyez pas si vous ne maitrisez pas ces acronymes, sachez simplement que le professionnel que nous interviewons ce mois-ci ne chômera pas en 2021, pas plus qu’il n’est resté inactif, avec son équipe, sur la fin d’année 2020.
En-Contact : Guillaume, derrière tous ces noms compliqués, quel est votre métier ?
Guillaume Cornu : Après avoir exercé des fonctions similaires chez Deloitte pendant 23 ans, je suis en charge au sein d’EY, que j’ai rejoint en 2010, d’une part de l’activité de restructuring et d’autre part, j’ai la chance d’animer de manière transversale, tous métiers confondus et sur l’ensemble du territoire, le segment « Entrepreneurs » qui couvre chez EY des start-up aux ETI réalisant jusqu’à 3 milliards de dollars de Chiffre d’Affaire. En plus clair et intelligible par des néophytes, en ce qui concerne le restructuring, j’assiste des entreprises à un moment critique de leur vie, celui qu’elles peuvent rencontrer quand le contexte des activités devient délicat, que le cash fait défaut et qu’il convient d’envisager de restructurer pour ne pas mourir et au contraire, reprendre goût à la vie et y croire. Les emmerdes, comme disait Jacques Chirac, ça vole toujours en escadrille et la vie d’une entreprise peut tout à fait refléter souvent cette maxime, comme en cette année 2020. Tout d’un coup, l’activité s’arrête, les charges continuent de courir ; les dettes et la température montent, ainsi que la tension. Dans les faits, tout se cristallise alors généralement autour de la trésorerie, qui vient à faire défaut. En réalité, j’accompagne plus des entrepreneurs et leurs équipes que des entreprises. Leurs caractéristiques : la capacité à s’adapter aux nombreuses difficultés, défis qu’ils ont rencontrés de nombreuses fois par le passé et qu’ils vont continuer de rencontrer. Mais parfois, ceux-ci peuvent devenir plus complexes, se cumuler et surtout s’accélérer. Par ailleurs, le dirigeant peut ne pas les avoir identifiés assez tôt ou avec suffisamment de clairvoyance ; il peut même les nier parfois. Le point de convergence et la résultante bien que chaque situation soit unique, est une tension sur la trésorerie et une perte de confiance plus ou moins généralisée de l’environnement : banques, fournisseurs, assureurs crédit, salariés, clients, etc.
Quel est alors votre rôle et l’ordonnancement de votre intervention ?
La première consiste le plus souvent à sécuriser le cash. En effet, la trésorerie devient plus que jamais le nerf de la guerre et l’urgent est « d’acheter » du temps. Notre premier rôle va donc consister à donner une visibilité sur la situation de trésorerie à court terme (souvent à 13 semaines) et à conseiller le dirigeant sur les mesures d’urgence à mettre en œuvre pour arrêter l’hémorragie. Nous évoquons aussi bien sûr les procédures et outils législatifs à actionner pour se protéger, dont les procédures amiables -comme le mandat ad’hoc ou la conciliation- qui ont démontré leur succès en France et que nos voisins européens nous envient parfois. Je dis souvent qu’en situation de crise, il faut essayer de préserver son indépendance, sa liberté, et ne pas subir. Il faut être riche en trésorerie de manière à pouvoir se poser et préparer l’avenir et le rebond. Une fois la situation stabilisée, il y aura lieu alors de faire le bon diagnostic, qui constituera la base de la réflexion et le support des négociations avec les stakeholders de l’entreprise. Nous allons donner de manière indépendante une vision claire et fiable des informations financières sur l’état réel de l’entreprise. Les partenaires de l’entreprise doivent pouvoir disposer d’un check-up rigoureux de l’état de l’entreprise, d’un diagnostic complet couvrant tous les aspects : marché, business model, opérations, endettement, trésorerie, etc. ce diagnostic se nomme une IBR (Independant Business Review). Ces deux outils permettent de comprendre de combien de temps l’entreprise dispose et ce qu’elle doit et peut faire pour se redresser et reprendre le chemin de la croissance. Nous sommes des urgentistes, si je peux m’exprimer ainsi, parce que la première chose que je vais faire est de poser un garrot, pour arrêter l’hémorragie. Ceci effectué, je fais appel aux spécialistes, dans les différents métiers qui vont être nécessaires et là, c’est plutôt comme un médecin de famille que j’agis. L’étape suivante en effet consiste à travailler sur la valeur de l’entreprise, sur les actions, le repositionnement stratégiques, l’identification des leviers opérationnels d’amélioration de la rentabilité, les réductions d’effectifs ou d’investissement qu’elle doit opérer pour restaurer ou développer sa valeur. C’est la grande force d’EY : cette capacité que nous avons -grâce à la taille du groupe et aux acquisitions de cabinets ou d’activités de conseil récents- de pouvoir mobiliser les compétences et expériences acquises dans tous les domaines : stratégie, opérations, juridique et fiscal, reporting, cash management, etc. Nous disposons à cet égard d’un véritable « hub restructuring », dans lequel nous allons puiser pour faire appel aux bons spécialistes internes. L’une de mes missions est d’animer ce hub, de le sophistiquer pour le rendre toujours plus opérationnel.
Il ne s’agit pas que de chiffres donc ?
Non, même s’ils sont essentiels, mais je parle souvent de confiance. Dans toute situation de crise, comme en matière de management ou de leadership, la confiance est clé car c’est elle qui va permettre d’embarquer tout le monde. Il faut aller vite et sûrement mais en s’adaptant à un contexte particulier et en aidant à prendre les bonnes décisions, souvent difficiles et complexes et dérouler les différentes séquences dans le bon ordre. C’est ce qui fait le savoir-faire d’un groupe comme EY et de la double casquette que j’ai la chance de porter. Nos bureaux en région et partout en Europe sont déjà souvent en contact avec les entrepreneurs que nous accompagnons, dans leur croissance (EY organise chaque année le Prix de l’Entrepreneur de l’Année, dans diverses régions, au niveau national et international). Nous sommes proches des entrepreneurs, dans tous nos métiers. Le monde du retournement est un écosystème où nous nous connaissons presque tous, qui réunit des spécialistes des situations complexes, dont les meilleurs sont généralement ceux qui ont le plus d’expérience, comme souvent en « médecine » : mandataires de justice, avocats spécialisés, banques d’affaires, affaires spéciales des banques, managers de transition, pouvoirs publics (dont le CIRI, comité interministériel de restructuration industrielle qui a un rôle dans les restructurations les plus importantes).
Le succès de ces opérations de restructuration repose sur plusieurs éléments clés : la capacité à constituer une équipe complémentaire, une task force sous un mode « commando », dont les membres ont l’habitude de travailler ensemble, parfois de « faire la guerre ensemble », ça rapproche ! Un autre aspect important est la confiance comme évoqué ci-dessus et la capacité de chacun d’entre nous de développer avec le chef d’entreprise et ses équipes, une relation de confiance, tout en gardant notre indépendance ; elle est notre bien le plus précieux, car c’est grâce à elle que nous conseillerons au mieux le chef d’entreprise qui n’a pas toujours envie d’entendre la vérité. C’est humain. L’aspect psychologique est donc déterminant. Une fois la confiance gagnée, l’équipe est forte et peut tout affronter. Le restructuring est une leçon de vie dans chaque nouveau dossier. Nous apprenons en permanence les uns des autres.
Vous n’allez donc pas manquer de travail en 2021. Quel plan de bataille est-il prévu, comment recrute-t-on des consultants ou profils dans cette activité : s’agit-il essentiellement d’experts comptables, d’hommes du chiffre ou de consultants ?
Oui, nous nous préparons à une ou des années intenses, comme tous les acteurs de ce marché. L’activité avait repris après le premier confinement, dans de bonnes proportions mais le deuxième confinement et l’arrêt de 70% des activités, dans quantité de secteurs, augurent d’un marché qui va être très animé. J’ai déjà recruté plusieurs profils seniors, très opérationnels, dont je suis très heureux. D’autres suivront. Ce que nous attendons d’eux est évidemment une connaissance précise et poussée du monde de l’entreprise mais surtout une qualité qui est essentielle dans notre métier : il faut aimer les gens, ne pas être simplement un technicien. Le monde est rempli d’experts… Notre métier consiste à aider une équipe, un entrepreneur. Certes, nous facturons des honoraires mais il faut prendre et avoir du plaisir à aider les gens, une dimension essentielle. Le chirurgien urgentiste, pour reprendre cette image, va s’appuyer -si nécessaire- et envoyer son patient vers des spécialistes mais souvent, s’il consent aux sacrifices que nécessite son métier -des horaires à rallonge, des déplacements etc.- c’est parce qu’il aime ceux qu’il soigne. Aimer les gens et disposer d’une intelligence émotionnelle, relationnelle, situationnelle et collective sont aussi essentiels dans mon métier que la trésorerie dans une ETI, que l’oxygène ou le sang dans le corps humain !
Vous n’aurez pas besoin malheureusement de prospecter dans l’année qui s’annonce mais, comme évoqué, d’autres acteurs existent sur ce marché et EY peut ne pas être connu de tous sur l’activité que vous pilotez. Comment et avec quel outil de CRM magique sollicite-t-on, rencontre-t-on des prospects, quand Roland Garros, les cérémonies de remise des prix, les raouts qui facilitent ces rencontres physiques, n’existent plus ?
C’est une bonne question et ce n’est pas une question d’outil de CRM mais, comme toujours, de la façon dont on le renseigne et surtout dont on partage l’information. Chez EY, tout existe et nous avons des forces incroyables : une base clients exceptionnelle, des expertises à forte valeur ajoutée, des implantations régionales puissantes. Nous sommes donc en mesure de nous appuyer sur la connaissance fine du terrain et de l’ensemble des spécialités dont le groupe dispose. Mais le plus important est d’être le plus en amont possible des situations. C’est comme cela qu’on aidera le mieux l’entreprise et qu’on trouvera plus facilement des solutions. Donc notre challenge collectif est de rester bien informés en permanence, de manière à agir au plus vite. Disposer de l’information très en amont procure un avantage indéniable : mais j’ai la conviction que la clé du succès repose sur le partage, le jeu collectif, comme en sport, et plus que jamais en situation de crise, où les gens peuvent parfois avoir tendance à s’isoler. C’est parce que nous partageons nos informations et mutualisons nos expériences au sein d’EY et des associés que nous sommes et serons encore plus efficaces. J’y travaille quotidiennement. Enfin, pour ce qui est des nouvelles affaires qui nous sont confiées, une chose demeure et est encore plus vraie dans cette activité. Même si le cabinet et sa taille constituent un atout incontestable, ce n’est pas uniquement la marque EY qui est achetée, sollicitée, par nos clients ; c’est l’homme ou la femme, l’individu lui-même. L’entrepreneur en posture difficile appelle à ses côtés un individu, une personne. L’analogie avec la médecine est pertinente. Mais ce que je dis ne concerne pas que le restructuring, elle concerne selon moi tous les métiers de conseil, donc tout EY. C’est la raison pour laquelle je dis souvent que ce qui fait et fera la force d’EY, c’est sa capacité à conjuguer la superbe et prestigieuse marque EY avec l’ensemble des marques individuelles de nos associés et collaborateurs, connus et reconnus pour ce qu’ils sont sur le marché, et tout ça au profit… du collectif !
Ses toutes premières fois
Vous souvenez-vous de la première mission de restructuring que vous avez menée, et de ce qui a permis de la mener positivement à son terme ?
Dans la première, comme dans la dernière, c’est le travail d’une équipe et dans une équipe qui fait la différence. Personne ne peut prétendre dans ce métier qu’il a sorti un dossier ou un deal tout seul. Il peut y avoir un leader, un chef de file, un coordinateur, mais c’est un travail à plusieurs, avec l’avocat, les conseils ou consultants, l’auditeur, le mandataire, etc.
Quelle expérience, évènement vous a appris quelque chose d’essentiel dans la pratique de votre métier ?
J’ai débuté au cours de la crise des années 91 et j’ai souvent œuvré dans le secteur du retail, du textile. J’ai eu l’occasion de conseiller des chefs d’entreprise qui avaient donné leur caution personnelle, ou encore leurs propres biens mobiliers ou immobiliers en garantie. J’ai assisté et accompagné des entrepreneurs incroyables, admirables, quand bien même ils avaient probablement commis de nombreuses erreurs. Mais ce que j’ai appris là et ensuite et dont je me suis depuis toujours inspiré tient en deux choses : quelles que soient les situations, les entrepreneurs et certains d’entre eux se caractérisent par le fait que d’une part ils ont leur rêve, leur passion pour leur « bébé », leur entreprise et que d’autre part ils ne se résignent jamais, même s’ils sont au plus bas. C’est ce qui m’a toujours le plus impressionné mais aussi le plus séduit : cette combativité, cette détermination d’un autre monde. Je vous l’ai dit : ce sont des leçons de vie à chaque fois, dont on sort généralement épuisé, car on met nos tripes sur la table, mais tellement plus riches, plus forts, notamment sur le plan humain. Et nous, consultants, nous devons réaliser humblement, que même si nous donnons beaucoup, nous contribuons à la recherche d’une solution en permanence, « at the end of the day », c’est bien le chef d’entreprise qui fait la différence parce qu’il parvient à inspirer confiance, à faire adhérer ses partenaires, ses salariés, son environnement à son histoire ou sa vision, à son rêve. Sans aucune prétention de ma part, je pourrais écrire, comme d’autres, un bouquin avec plein d’anecdotes amusantes sur nos missions et si on s’y mettait à plusieurs, il y en aurait plusieurs tomes. Mais si je devais retenir une phrase qui m’a marqué de la part d’un entrepreneur, car c’est une leçon de vie, c’est la suivante. Il m’a dit : « Guillaume, quand tu as un problème dans la vie, commence par le partager, ça deviendra également le problème de ton interlocuteur. »
Avez-vous parfois été dupé dans les chiffres ou le récit des faits et de la réalité d’une situation d’entreprise dont vous avez dû vous occuper ?
Tout le temps, et pas toujours intentionnellement. Aucune entreprise n’a une vision très claire et fiable de la trésorerie ou du cash dont elle dispose vraiment. Peu d’entreprises sont équipées en outils de pilotage pour faire face à une crise, en particulier comme cette crise sanitaire exceptionnelle. Nous sommes en permanence amenés à construire de l’information qui n’existe pas ou qui ne répond pas au besoin immédiat. Ensuite, il faut souvent convaincre nos interlocuteurs de la nécessité de ne pas se raconter des histoires, de mettre tout à plat, de faire une vraie opération vérité. Il faut profiter des situations de crise pour régler définitivement et de manière pérenne la situation, et éviter toute forme de rechute, même si en réalité il y en a beaucoup car la vie n’est pas un long fleuve tranquille et que tout ne peut pas se prévoir. Mais partons du principe qu’un restructuring est comme un fusil à un coup.
En conclusion, je vous dirai que j’ai beaucoup de chance de faire ce métier et de travailler en permanence en équipe avec plein d’autres restructureurs de grande qualité. Il existe de belles personnes dans la famille du restructuring. Mais le mot de la fin est un vrai MERCI, en majuscules, aux entrepreneurs, dont je reste admiratif.
NB: Message de l’éditeur : pour une fois, aucune relecture, si ce n’est sur la validation d’expressions techniques, n’a été demandée par notre interlocuteur. Ces relectures sont l’objet d’escarmouches ou de conflits fréquents désormais entre les directions de la communication des entreprises sollicitées et les médias. C’est souvent pour ça, chers lecteurs, que le contenu de ce que vous lisez vous tombe des mains. Merci Guillaume.
Par Manuel Jacquinet