Le Discours de la méthode
Entretien avec Brice Rabourdin, Manager chez Pagamon.
Votre cabinet (Pagamon) intervient dans les secteurs automobile, industriel, optique. Constatez-vous que l’univers B2B s’ouvre aux questions et aux réflexions sur la customer experience ? Et si oui, pourquoi ?
Brice Rabourdin : 1 700 000 fans Facebook sur la page de Maerks Line, compagnie maritime danoise, 200 000 fans sur la page Facebook de Caterpillar, 12 000 fans sur Twitter pour AGCO spécialisée dans le matériel agricole, 212 000 fans sur la page Facebook de Schneider Electric… Toutes ces entreprises investissent dans les réseaux sociaux, et pourtant elles s’adressent à… d’autres entreprises ! Suite à la crise économique de 2008, le secteur du transport maritime de marchandises s’est retrouvé en surcapacité et est entré dans une guerre des prix. Une entreprise comme Maerks Line a vu dans l’amélioration de l’expérience client et la digitalisation de ses processus un moyen de sortir de cette situation en se différenciant vis-à-vis de ses concurrents. Suite à un programme d’amélioration de son Net Promoter Score (NPS), la marque a également réalisé qu’une augmentation de 4 points du NPS entraînait une augmentation de 1% des volumes chargés par les clients.
Pourquoi des entreprises du B2B s’intéressent à l’expérience client ? Le concept pourrait paraître réservé aux activités B2C, dont les clients sont considérés comme plus émotionnels. Mais à l’heure du digital et du big data, les points de contacts avec la marque sont multipliés et les entreprises B2B, qui ne connaissaient pas suffisamment leurs clients directs et encore moins les utilisateurs finaux de leurs produits, ont maintenant la formidable opportunité de combler ce déficit et de personnaliser leur offre.
Dans les projets menés, constatez-vous un fil conducteur ou des éléments récurrents ?
Oui, notamment parce que le B2B est caractérisé par des paramètres récurrents : un environnement hétérogène, des processus de décision souvent complexes et longs, et centré historiquement autour du commercial. On distingue ainsi généralement le B2B de grande diffusion où le client direct sera le plus souvent un distributeur (ex : fournitures de bureau), le B2B récurrent qui se caractérise par une relation client continue et souvent contractualisée (ex : équipementier et constructeur automobile) et le B2B de projet, où la relation client est souvent ponctuelle et caractérisée par un appel d’offres (ex : agences de communication). Il faut également distinguer les secteurs où il est possible d’identifier l’utilisateur final, qu’il soit extérieur à l’entreprise cliente (le B2B2C ; ex : équipements de bâtiments), ou un employé de cette entreprise (le B2B2E ; ex : restauration d’entreprise). Dans le B2B, il est fréquent que les processus de décision soient longs et comprennent de multiples décideurs situés à plusieurs niveaux, voire dans plusieurs fonctions. La prise de décision est plus rationnelle qu’en B2C, essentiellement basée sur les enjeux « qualité, coûts, délais », même si dans bien des cas l’émotion entre aussi en ligne de compte. Traditionnellement, le commercial occupe un rôle central dans le B2B, cumulant souvent les activités de prospection, de construction de l’offre, de négociation, de vente et de suivi après-vente.
Quel impact a eu le digital sur ces environnements ?
Grâce au développement du digital, le client B2B a désormais accès à plus d’information en amont de l’acte d’achat, voire en amont du contact avec un commercial. Dans de nombreux secteurs, il peut ainsi se renseigner sur le produit, s’appuyer sur des témoignages laissés par d’autres utilisateurs, comparer d’autres offres ou tout simplement prendre sa décision d’achat sans passer par un commercial. Aujourd’hui, près de 60% des acheteurs B2B ont déjà pris leur décision avant d’avoir vu un commercial, ce phénomène étant particulièrement marqué pour les produits relativement simples, par exemple dans le B2B de grande diffusion. L’expérience du client B2B, historiquement très polarisée par les contacts avec le commercial, s’est donc complexifiée et diversifiée, les points de contacts s’étant multipliés sur les canaux physiques et digitaux.
Comment mettre en œuvre ce type de projets ?
Tout d’abord en adaptant son contenu Web et sa présence sur les réseaux sociaux ! Une entreprise comme GE est très présente sur les réseaux sociaux (2 millions de « likes » pour sa page Facebook, 300 000 « abonnés » sur Instagram). Elle propose un site Internet fluide et orienté pour le client (accueil sur une barre de recherche « What can we help you to find ? ») et des vidéos sur Youtube à destination de ses clients professionnels, décrivant ses solutions techniques (ex : tutoriel sur les turbines à gaz). Ensuite, comme en B2C, en utilisant les outils du Big Data pour structurer et mieux partager la connaissance client. L’enjeu n’est plus ici tant l’efficacité du marketing de masse que la personnalisation de la relation client-fournisseur. Par exemple, les équipes B2B de Bouygues Telecom s’appuient sur Linkedin Sales Navigator, Bypass, etc. pour mieux cibler leurs prospects et les contacter au meilleur moment avec un discours sur-mesure. Ces outils délivrent même des « histoires à raconter » au client en s’appuyant sur son actualité, sur les réseaux sociaux (articles où le prospect est cité, derniers tweets, pages suivies sur LinkedIn…). Les approches de télé-marketing et d’appel « à froid » sont donc complétées par un contact ciblé et personnalisé sur un nouveau canal. Ceci a permis à Bouygues Telecom d’augmenter de 20% le nombre de rendez-vous pris pour les commerciaux. Dans certains secteurs, les équipes B2B utilisent des outils récents comme la réalité augmentée ! C’est par exemple le cas chez L’Oréal Professionnel : les commerciaux peuvent démontrer en direct le rendu du merchandising proposé dans l’environnement du salon de coiffure. Enfin, en formant ses équipes commerciales de manière continue à ces nouveaux outils. Si le rôle du commercial va s’amoindrir sur une partie des produits simples, il reste déterminant sur les produits complexes ou nécessitant des prestations complémentaires (installation, maintenance, formation…). Le commercial devient d’ailleurs l’un des principaux utilisateurs des outils de gestion des leads, de personnalisation des clients, de simulations en direct…Mieux encore : Xerox propose aux forces de vente de ses clients des outils et des formations pour adopter la démarche de social selling.
Il y a-t-il des points de passage obligés en ce qui concerne l’expérience client en B2B ?
Il y a une première étape : comprendre son expérience client et analyser non pas uniquement les clients mais aussi les utilisateurs finaux. Veolia a ainsi su se différencier auprès de ses clients premiers (opérateurs d’eau et d’énergie, mairies, gestionnaires d’habitats, communautés de communes). L’entreprise a compris que les consommateurs finaux étaient à la recherche de simplicité d’utilisation et d’une assistance client. Elle a développé l’application HomeFriend qui permet un accès simple aux contrats et factures, un suivi et une analyse des consommations, la possibilité de contacter un plombier en quelques clics et même la mise à disposition de conseillers pour répondre aux questions des consommateurs ! Une expérience consommateurs ainsi personnalisée et améliorée renforce la position de Véolia vis-à-vis de ses clients directs. Il faut ensuite segmenter le client et les personae, avant de définir un ou plusieurs parcours clients et d’écouter le client afin d’identifier des pistes d’amélioration. Enfin, il ne reste plus qu’à mettre en œuvre ce qui a été ainsi défini.
C’est presque un Discours de la méthode ?
En effet, et si j’en juge par la croissance du nombre de sollicitations que nous recevons, le B2B se réveille, tout le monde a envie de découvrir Descartes.
Propos recueillis par Manuel Jacquinet
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