Conversations sur la considération
La prise en considération de la voix du client est-elle soluble dans l’intelligence artificielle, la chicorée digitale ? La considération va-t-elle s’installer comme l’uranium de l’expérience client ?
« J’ai vraiment apprécié votre travail ! ça vous dirait de prendre le café chez moi ? », (Brèves de verbatim n°3), by Erdil, dont l’objectif est de renforcer le lien entre l’entreprise et le client. Au moyen de l’humour, à défaut d’amour, car on en est presque là en matière d’expérience client, si l’on en croit les frères Lartisien (Ivan et Rouslan) : « On ne dit pas non à un client ! », proclament-ils. Sous-entendu, à un client Grand Luxury (voir ci-après), spécialisé dans le « service » de luxe. D’ailleurs, à ce niveau, il ne faut plus parler de « service », ni « d’expérience ». Ces mots sont galvaudés et ne veulent plus rien dire. Et si on appelait-cela « considération » ? C’est le nouveau mot (magique) sorti du chapeau d’un gentil publicitaire…
De Danone à Roland Berger, on s’en occupe
Le Club Med (voir page suivante), qui entame une nouvelle mutation – après le sauvetage réussi, il y a dix ans – vient d’y consacrer une conférence, organisée au siège du Cabinet de conseil Roland Berger, avec l’intitulé suivant : « Démontrer la création de valeur de l’économie de la considération ». Ce qui suggère que le but principal est de créer de la valeur et non de s’intéresser vraiment, sincèrement, honnêtement, à la satisfaction du client, que nous sommes tous un jour ou l’autre. Nous y étions. Mais avant d’aller plus loin, reconnaissons qu’en France, pourtant la première destination touristique au monde, nous sommes « orientés client » de façon aléatoire et disparate. Comparé aux États-Unis, par exemple, où les employés sont systématiquement notés, via Trip Advisor, comme dans un épisode de Black Mirror, ou les citoyens chinois, depuis peu. Tellement nuls qu’on a eu besoin de créer une Académie du Service (expérience humaine et digitale), sise boulevard Haussmann, à Paris ! Thierry Spencer, Customer Experience Storyteller (sic !), qui était présent à la table ronde sur la considération, a rappelé que ce (nouveau ?) concept est basé sur celui de la « symétrie des attentions (70 % des clients apprécient que les entreprises traitent bien leurs employés) ». Alors que, selon une étude, seulement 4 % des entreprises ont une approche (qui s’intéresse à son objet dans sa globalité, ndlr). Toutes les parties doivent être intégrées, y compris des sujets comme celui de l’environnement. Ce qu’a (enfin) bien compris Danone (25 milliards de chiffres d’affaire), représenté par Laurence Peyraut (secrétaire générale France) : « Nous existons depuis 100 ans et nous savons que nous sommes sur un marché potentiellement décroissant. C’est pourquoi nous nous sommes donnés la date de 2025 pour être totalement inclusif. Nous travaillons à encourager une agriculture plus responsable, avec des emballages recyclables, pour aller vers le tout Bio et protéger l’écosystème, parce que c’est ce que les consommateurs désirent. Plus de 100 000 « danoneurs » sont sur le terrain pour mieux répondre à cette tension du consommateur, qui a besoin de transparence ». Les premiers efforts sont concrets. Nouveaux slogans : One voice/One action, One planet/One health. Sur le site www.jesais.danone.fr, Danone détaille toutes leurs recettes, avec la liste des ingrédients, en répondant aux questions : comment sont-ils fabriqués ? Quels ingrédients les composent ? Et à quoi servent-ils ? Notamment tel ou tel additif a priori suspect. « C’est notre manière de participer à l’économie de la considération, afin de garder une longueur d’avance et de rester une référence », conclut « Mamie Danona ».
De l’intérêt de la rencontre, de la conversation ou de la surprise personnalisée
Chez Airbnb, la considération concerne à la fois l’hébergé et l’hébergeur. « Nos hôtes ne s’attendent pas à bénéficier d’une marque d’attention, si ce n’est d’affection, puisque chacun se note mutuellement », explique Emmanuel Marill (directeur général France & Belgique). « C’est la plateforme qui est le produit. Notre but est d’en faire des « Supers Hôtes », notés 5/5 à chaque fois. Nous les invitons à nous rencontrer et ça les touche. » La rencontre, des rencontres, la voilà peut-être, la grande affaire, le signe attendu de la considération. Grand Luxury (150 000 clients triés sur le volet, depuis 10 ans) a justement récemment organisé une soirée au Ritz, où des GEM (Guest Experience Manager) ont pu rencontrer les clients dont ils s’occupent depuis des années… à distance. « C’était émouvant de les voir se prendre dans les bras », confesse Ivan Lartisien co-fondateur de l’entreprise. « Un GEM est une sorte de super concierge, à mi-chemin entre le G.O et le fidèle majordome de Batman… à une différence près : Bruce Wayne connait parfaitement celui qui l’a recueilli après la mort de ses parents, alors que les fameux GEM ont plusieurs clients à chouchouter. En réponse, les frères Lartisien et Julia Bary (general manager) assurent que la passation de « pouvoir » (de service, en fait) se fait en douceur. Chez Grand Luxury où l’on répète à l’envi les mots « authenticité », « sincérité », « vérité », « affect », « éthique », « personnalisation », « dimension humaine », on a travaillé sur un nouveau contenu dévoilé en juin. Dans le marché des croisières, notamment, qui n’a pas bonne réputation, il n’est plus question de proposer de faire la chenille à la queue leu leu, lors de fiestas bruyantes, ni de proposer la énième bouteille de champ’, qu’on ne boira pas, mais d’adapter les escales aux clients (gastronomie, culture, découverte géographiques, etc…). L’essentiel de la clientèle se transmet le bon tuyau de bouche-à-oreille, tout simplement parce que la prestation a été quasi parfaite, voire surprenante (visiter une boulangerie typiquement parisienne, à 6 h du matin et repartir muni de croissants chauds, pour assister au lever du soleil, en bateau sur la Seine, ça peut le faire !).
Quid de la formation des professionnels de la considération ?
« Ce sont les gens qui font revenir les gens », déclare une grande professionnelle de l’hôtellerie, passée par l’Asie et désormais en charge d’un établissement de luxe sur les hauteurs de la vallée de Joux. Car ce sont bien les voituriers, garçons de café, téléconseillers ou maitres d’hôtels, attentifs et prévenants, réellement à l’écoute qui vont faire qu’on va se sentir mieux. Ici qu’ailleurs. Et que le client aura envie de revenir, bref d’être fidèle (c’est le but), jusqu’à devenir « ambassadeur », prescripteur. Chez Grand Luxury, la DRH sélectionne les meilleurs concierges des plus grands palaces mais ailleurs ? « La difficulté des entreprises est qu’une fois après avoir déterminé une expérience cible (exemple : mon enseigne se veut conviviale), il faut la transformer en gestes, en postures concrètes, verbales ou non », commente Stéphane Legal (directeur de développement de l’Académie du Service). « Nous permettons de l’expérimenter en situation, comme un entraînement de sport, de faire et refaire bien. C’est subjectif, car l’essentiel est d’être sincère : ça commence par accueillir mes visiteurs avec le sourire et aller vers eux. Ça parait évident mais nos formateurs ont des techniques pour que ce geste devienne une seconde nature. C’est de la facilitation. Et ça peut se traduire par ce qu’on appelle des jeux de rôle, en situation. Il faut que ça devienne une culture, une seconde nature, une manière d’être, non forcée ».
Deux typologies d’acteurs co-existent sur ce secteur (les formateurs) : les spécialistes du ‘face à face’, de personne à personne, et ceux du ‘en ligne’ : « On peut éventuellement la « jouer » décalé, en utilisant l’humour, même en chat », reprend Stéphane Legal (affable et loquace). « Le fond reste le même, c’est le mode d’expression qui va varier. Les acteurs du conseil (en relation client) viennent assister à nos formations et en restituent une partie à leurs employés nouvellement recrutés. » Ce qui compliqué, vraiment ? C’est de recruter ! « Paradoxalement, malgré les taux de chômage, le marché de l’emploi étant tendu, le recruteur est quasiment autant choisi que le recruté. Les gens ne veulent plus faire « n’importe quel boulot ». Il n’est pas évident de trouver le bon profil compétent. Le job doit être intéressant, avec des perspectives motivantes, afin d’être épanoui, donc à l’aise avec le client. Et lorsque vous avez trouvé la « perle rare », que vous avez pris le temps de la former à vos méthodes, transmis les standards de votre enseigne, de votre marché, vous courez le risque qu’elle parte et vous voilà revenu au point zéro. Tout recommencer avec quelqu’un d’autre. »
La considération interne, celle des managers pour leurs employés
« Ce turn-over est le hiatus du métier. Il faut à la fois fidéliser le client et l’employé. Et pour cela rien de tel que le supplément d’âme. Le produit doit être différent, voire évanescent… immatériel (sic !) : c’est très subjectif. C’est ce qui va faire que dans un monde où tout le monde zappe, je distingue clairement que j’ai été mieux été accueilli à droite plutôt qu’à gauche. Au point d’avoir envie d’inviter ses amis, sa famille, via les réseaux sociaux, à venir chez tel ou untel. C’est ce qui alimente la réputation de la marque ». Ce qu’on a bien compris chez Critizr. Cet éditeur de logiciel de la relation client, cofondé par Nicolas Hammer, permet d’améliorer sa e-réputation. L’objectif principal étant de permettre aux responsables des points de vente de savoir ce qui se dit en local, sur son magasin : « On favorise la conversation pour permettre à tous les collaborateurs d’une enseigne, du siège au point de vente, d’être impliqué dans cette démarche d’écoute client », décrypte Caroline Matz (communication-marketing), rencontrée au salon Stratégie Clients, porte de Versailles. « L’objectif, in fine, pour les grandes enseignes qui nous contactent est de pouvoir identifier ce qui agace, irrite, voire enchante les clients en magasin, selon la région ». La plateforme est ainsi déployée au sein d’entreprises issues d’une vingtaine d’industries différentes. Simples magasins, garages auto, agences bancaire ou encore salles de cinéma : 48 % des utilisateurs s’y connectent plus de trois fois par semaine, ce qui fait de Critizr l’une des solutions au Top 3 des outils de pilotage quotidien des managers de points de vente.
Les chiffres de la considération
• 86% des consommateurs sont disposés à payer un supplément pour une expérience de meilleure qualité.
• 51% estiment que l’acquittement des impôts en France, par une marque ou entreprise, est un critère essentiel dans leur choix.
• 70% sont plus fidèles à une marque qui se distingue par le bon traitement de ses salariés.
• 42% sont incapables de citer une marque avec laquelle ils entretiennent une relation privilégiée.
• 69% vont recommander une marque s’ils se sentent considérés par elle.
• 66% seraient prêts à cesser la relation s’ils ne se sentent pas considérés.
• 4% seulement des entreprises ont une approche holistique de la considération.
• 57% des entreprises sont encore uniquement centrées sur le pilier client.
(Sondage réalisé pour Roland Berger, auprès de 1 400 personnes).
Par Jérôme Beauregard