Les conférenciers stars du service client
La relation client – et plus récemment, l’expérience client – c’est leur affaire. A tel point qu’ils en vivent. Non pas parce qu’ils la pratiquent au quotidien pour de grands groupes – mêmes si certains en ont fait l’expérience – mais parce qu’ils en parlent. Mais peut-on vraiment parler d’un marché du conférencier en relation client ? Nous menant de Paris à Saint-Louis, Montana, en passant par Londres, notre enquête nous montre des réalités nationales bien différentes entre la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
Lorsqu’on pense aux conférenciers de la relation client, le premier réflexe est de considérer leurs clients potentiels : organisateurs de salons, d’événements, de galas qui animent la profession, il leur est essentiel de faire intervenir différents experts, capables à la fois d’apprendre quelque chose à un auditoire éclairé, et de les faire rire ou au moins sourire pendant des soirées où tout le monde pense d’abord aux canapés et autres rafraîchissements qui les attendent.
Premier choc culturel : il semblerait qu’en France, à peu près tout le monde se fasse une gloire personnelle de ne rien avoir à payer. Ludovic Nodier : « Je n’ai jamais dû payer pour faire venir un conférencier à l’Election du Service Client de l’Année. Même Ralph Hababou ou Philippe Bloch ».
Manuel Jacquinet, organisateur d’Expérience Client / The French Forum est sur la même longueur d’ondes « On ne paye pas pour faire intervenir des gens au forum. Mais il y a une ou deux sociétés qui nous ont fait comprendre, pas officiellement, que préparer leurs interventions nécessiterait un geste ».
Michael Lejard met les pieds dans le plat, et confirme la « gourmandise » de Luc Ferry : « Oui, on l’a payé pour venir au Gala de la Relation Client, quelque chose de l’ordre de 4 000 à 6 000 euros ». Payer des conférenciers n’est pas une question tabou pour le co-président d’Agora Clubs, et organisateur, entre autres, du Gala de la Relation Client, et bien au fait des équilibres économiques de l’événementiel : « Des hommes comme lui, c’est bien pour sortir du contexte. J’ai aussi payé pour faire venir Edgard Grospiron, un type extraordinaire à certaines Agoras, il facture ses interventions 6 000 euros, mais il apporte vraiment quelque chose ». Il estime pourtant que le marché français est plus restreint que d’autres : « Je sais que cela se fait beaucoup aux Etats-Unis. Des conférenciers en France, qui en vivent, il y en a entre 20 et 35. Il y en a 3 000 aux Etats-Unis. D’ailleurs je recherche un conférencier américain, c’est particulièrement intéressant pour les retours d’expérience de l’étranger ».
Toujours est-il que s’il y a des acheteurs, il y a bien un marché…
Difficile de vivre de son expertise…
Trouver les acteurs économiques qui vivent de leur prestation de services sur ce marché s’avère pourtant tout aussi compliqué que de trouver leurs clients potentiels. A entendre Jean-Marc Mégnin, auteur de l’excellent blog Le Furet du Retail, vivre de cette activité de conférencier, en relation client ou en retail, s’apparente à l’ascension de l’Everest par sa face nord – et sans sherpas : « Je commence à le faire, c’est difficile. Il faut avoir une grosse notoriété pour vendre quelque chose. Avec 12 000 visiteurs uniques sur mon blog et des interventions appréciées, ça reste difficile. Pourtant c’est un travail reconnu ». Et quand il parvient à vendre ses interventions, combien coûtent-elles et qui sont ses clients ? « Maintenant je demande à ce que mes interventions soient rémunérées, et ça commence à être accepté, je l’ai fait notamment pour le Syndicat national du Gan pour environ 3 000 euros. Je le fais dans le cadre de petits déjeuners d’une heure environ, pour une quinzaine de collaborateurs, facturés entre 3 000 et 4 000 euros. Je l’ai fait pour des AG de certains distributeurs, cela peut représenter maximum 4 500 euros, car ça représente du travail. Je sais que Franck Rosenthal, arrive à se faire rémunérer, il a eu beaucoup de mal mais désormais il y arrive ». Pour autant, Jean-Marc Mégnin n’imagine pas ce marché se développer significativement dans les années à venir en France – pour des raisons culturelles. « C’est terrible de voir comment ce type d’expertise n’est pas rémunéré. Les gens pensent que ce n’est pas normal que ça coûte quelque chose de partager notre savoir. On a une culture très éloignée de celle des Anglo-Saxons, on n’est pas considéré comme des consultants. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais ce n’est pas normal. La Mary Portas* française n’est pas pour demain ».
Certains blogueurs, néanmoins, sont plus optimistes que Jean-Marc Mégnin. Auteur du blog sensduclient.com, Thierry Spencer déclare facturer ses conférences entre « 3 500 et 6 500 euros hors taxes, comme tous les experts de l’Académie du service dont je fais partie », « selon la durée de la préparation, qui peut comprendre des réunions, interviews, synthèses d’études, recherches et immersions, la personnalisation du contenu ». Son atout : une vraie carrière dans la relation client « J’ai eu la chance dans mon parcours professionnel de faire l’expérience de tous les canaux de relation avec le client et d’occuper les fonctions de directeur marketing pendant 12 ans dans de nombreux secteurs (distribution, restauration, vente à distance). J’ai dirigé des commerciaux, managé un centre d’appel, lancé des sites de vente en ligne, dirigé des services clients, conduit des projets CRM, géré des budgets de communications, fait du conseil : le fil rouge de ma carrière est la relation client ». Ses clients sont « des entreprises de tous les secteurs, principalement la distribution et l’e-commerce, les FAI/opérateurs de téléphonie, les banques, les compagnies d’assurance, les entreprises du secteur de l’énergie, mais aussi des laboratoires pharmaceutiques, des administrations, des entreprises de la grande consommation, le secteur B2B, l’industrie, le tourisme, le secteur du transport… ou même des agences de communication qui cherchent des conférenciers experts pour leurs clients ». Tous ces clients ne payent pas : « je ne facture généralement pas mes interventions pour les associations ou celles que je fais pour un salon professionnel, une école ou une université, à moins que celles-ci ne nécessitent une grande préparation ou ne s’inscrivent dans une démarche plus longue ». Mais Thierry Spencer ne vit pas que de cette activité, puisqu’il est directeur associé de l’Académie du Service, qui est avant tout un organisme de formation et de conseil.
Ralph Hababou & Philippe Bloch, les Jimmy Page et Robert Plant de la relation client
Il y a aussi les « stars » de l’expérience client, dont chaque intervention est un évènement à elle seul. Enfin, en France, il y en aurait… deux. Un peu comme celles des rock stars, leurs interventions s’apparentent plus à des shows. Un peu comme dans l’industrie du disque, tout est parti d’une vente d’un média à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires – pas un disque, mais un livre : Service compris, véritable phénomène d’édition, inégalé à ce jour sur le sujet, et sans doute inégalable, avec plus de 100 000 exemplaires écoulés. Et un peu comme Jimmy Page et Robert Plant de Led Zeppelin, tout le monde veut les revoir ensemble sur scène… sauf eux – ils sont depuis quelque peu… brouillés. Ralph Hababou raconte son histoire et celle de Philippe Bloch comme un conte de fées : « Un jour, en 1986, Bernard Darty, le fondateur de Darty, m’appelle, et nous demande d’intervenir devant les directeurs de ses magasins. Après, il me téléphone et me demande « combien dois-je vous payer ? ». Je n’imaginais pas qu’on pouvait se faire payer pour ça, en plus du plaisir de parler de notre livre ». Le cercle vertueux était tracé : « Pendant 7-8 ans, c’était la folie, on était les seuls sur ce marché. On racontait des choses très basiques, le matin en Bretagne, l’après-midi dans le sud. J’en ai fait en Italie, au Canada… On a commencé à faire les conférences chacun de notre côté. Tout est allé très vite. Les conférences faisaient vendre des bouquins, et les bouquins des conférences ».
« Personal branding » et agences spécialisées
Shep Hyken, conférencier américain spécialiste de l’expérience client, qui en vit depuis plus de trente ans, ne peut nier ce cercle vertueux entre livres et conférences : « Oui, mes livres ont contribué à me faire connaître. En tout j’en ai écrit 10, 5 seul et 5 en tant que co-auteur. J’ai commencé suite à une rencontre avec une chauffeur de taxi exceptionnel, que j’ai relatée dans The loyal customer, a lesson from a cab driver. Mon deuxième livre, Moments of Magic : be a star with your customers and keep them forever a bien marché, le troisième, The Cult of the Customer a été intégré à la liste de best-sellers du Wall Street Journal et d’USA Today, puis The amazement revolution a lui fait la liste des best-sellers du New York Times. Pour autant, tout sépare leurs parcours. Aux Etats-Unis, on peut rêver de faire carrière comme conférencier spécialiste de l’expérience client : « J’ai eu mon diplôme de communication verbale et écrite, avec le marketing comme mineure, en quelque sorte. Un an après, j’avais commencé mon business de conférencier. Je me suis fixé un objectif raisonnable : gagner 1 000 dollars par mois la première année, 2 000 dollars par mois la 2ème année, 3 000 dollars par mois la troisième année ». Sa société, Shepard presentations LLC est aujourd’hui une PME qui emploie 4 personnes, au service de son talent oratoire, rémunéré jusqu’à… 50 000 dollars de l’heure. Et elle n’est pas seule sur le marché : « Le marché est en pleine ébullition. Le service client, c’est facile à comprendre ; l’investissement initial est minime : on a juste besoin de faire une vidéo – et on en fait de très correctes avec les iPhones de nos jours – de cartes de visite, d’une brochure, d’un site web ». On est bien loin des tourments de Jean-Marc Mégnin.
Micah Solomon, autre conférencier américain, qui compte notamment Microsoft et les hôtels Marriott parmi ses clients, tempère cette vision : « Comme le mannequinat, c’est un de ces métiers qui a l’air ridiculement facile, mais ne l’est en fait pas du tout. Un, il ne s’agit pas que de parler, mais aussi d’apprendre. De voyager. De préparer. Deux, chaque public est différent, et on ne peut jamais y être totalement préparé, il faut le sentir sur le moment et s’adapter. Trois, le monde change constamment, et se répète sans cesse – trouver le juste équilibre entre ce qui est intemporel, ce qui est au goût du jour, et ce qui doit être dit à un public particulier requiert énormément d’attention ». Dans tous les cas, ces Américains ont une approche marketing qui diffère du tout au tout de celle de Ralph Hababou. Le Français l’assène : « Dans ce métier-là, la prospection ne sert absolument à rien ; celui qui veut vous retrouver il vous retrouve toujours. Je ne fais pas de personnal branding ». Shep Hyken est en quelque sorte la preuve du contraire : « J’ai passé énormément de coups de fils, je souriais et téléphonais toute la journée. Aujourd’hui encore, on utilise les coups de fil ! J’ai lu et fini par écrire plusieurs livres, tout cela a dopé mon business. Après quelques semaines, j’ai eu mon premier client : Anheuser Busch (ndlr : alors troisième plus grand brasseur au monde, notamment avec la Budweiser, et comme Shep basé à Saint-Louis), après un appel à froid : je leur ai dit « Bonjour, je suis Shep Hyken, je sais que vous organisez une conférence régionale, je peux vous aider à faire de cette conférence un évènement exceptionnel avec mon intervention ». Et j’ai encore travaillé avec eux cette année, d’ailleurs, trente ans après ». En matière de « personal branding », on n’aura plus rien à apprendre à Shep, qui décline son nom comme une marque sur tous les médias possibles : site internet, chaîne Youtube, page Facebook, fil Twitter, etc. Une marque de grande consommation : il compte aujourd’hui 56 700 abonnés sur Twitter.
Au final, ce qui rapproche Ralph Hababou et Shep Hyken, c’est que les deux vendent leurs services par l’intermédiaire d’agences spécialisées, qui livrent aux entreprises intéressées des experts de tout et de n’importe quoi, de l’expérience client au risque pays en passant par les macarons au chocolat, comme Pizza Hut vient déposer une calzone ou une trois fromages à votre porte. Ralph Hababou les appelle « plates-formes de personnalités ». « Elles m’appellent, comme Plate-forme ou Speakers Academy. Mes interventions sont aussi revendues par des agences d’évènementiel, il y en a énormément, comme Effikas, Link Event et Image ». Mais il minimise leur importance : « A 80%, c’est du bouche-à-oreille », assure-t-il. Shep Hyken affirme lui aussi que s’il « travaille pour plusieurs agences de conférenciers », il « décroche toujours la majorité des missions » par ses propres efforts.
Les mirages de l’expert 2.0
Clare Rayner, elle, aime parler de son agent. Elle affirme que sa carrière de conférencière experte en retail a vraiment commencé quand elle a rencontré cet agent : « Sylvia Tidy-Harris, qui dirige The Speakers Agency, une agence de mise à disposition de conférenciers. Elle a énormément travaillé pour trouver des clients à qui vendre mes interventions ». Et pour Clare, il n’y a pas de secret : « Il y a plein de gens qui sont prêts à parler pendant des conférences, mais peu ont un niveau suffisant pour être engagés par un agent. Les meilleurs ont un agent, car les agents ne prennent que les meilleurs ». Clare est Britannique – et en quelque sorte, elle fait figure de point d’équilibre entre la (fausse ?) modestie française, et l’enthousiasme américain. Alors que Shep Hyken se lamente que l’internet n’avait pas encore été inventé lorsqu’il a commencé le métier, les conseils de Clare Rayner pour dénicher un « véritable » expert font mouche : « Le soi-disant expert a-t-il écrit un livre ? Autopublié, ou publié par une vraie maison d’édition ? A-t-il un profil Linkedin complet, validé par ses pairs ? A-t-il une chaîne Youtube, qui permet de voir par soi-même ce qu’il peut donner à l’oral ? Le nombre de followers sur les réseaux sociaux ne veut strictement rien dire. Des followers sur Twitter, ça s’achète, ça se vend, on m’en propose régulièrement des milliers pour quelques centaines de dollars ». Shep Hyken jure ne jamais avoir entendu parler de ce marché-là. Faut-il croire un businessman aussi avisé ?
Par Charles-Henri Fondras
La conférence sur le service client, l’expérience client : nouveau marché ?
L’époque digitale, comme toutes celles qui l’ont précédé, permet à d’habiles raconteurs d’histoires ou véritables spécialistes de gagner leur vie en décryptant, dédramatisant, lors d’interventions ou conférences. Le prix de l’intervention de ces experts varie tout comme le récit que nous font certaines personnes interviewées lors de la rédaction de cet article.
Autrement dit, nous avons supprimé pour la version digitale de cet article les témoignages de quelques personnes qui nous avaient partagé leur vision et données.
* Mary Portas, véritable star au Royaume-Uni, anime une émission de télé régulière et a été mandée par le gouvernement pour réaliser un rapport sur l’avenir des magasins en ville. Son look, ses frasques et ses compagnes font la une des tabloïds. Elle est la seule conférencière qui a décliné notre demande d’interview, « parce qu’elle n’en réalise pas en ce moment ». (voir photo de une – © Edouard Jacquinet)