« Les Bauges, c’est Sundance en France, sans le Festival »
Qu’apprend-on finalement dans ces vallées baujues et ailleurs dans les Savoies ? Faut-il se rendre dans une vallée sauvage, seulement connue et fréquentée par Lunerus et un journaliste d’investigation célèbre d’un quotidien du soir ? L’envoyé spécial de The Seamless Experience Fanzine vous livre quelques bribes de réponse.
Qu’on ne s’occupe de la question service client que s’il y a des clients. La première étape consiste donc à proposer quelque chose d’unique si possible, et ensuite à en maitriser la distribution. Du bon pain à la farine Kamut, ou un gruyère du cru, tel le Margériaz. Ça, Amazon ou Fromagesdiscount.com ne savent pas encore faire ou livrer.
Qu’il faut se hâter lentement, comme dans la montée des sentiers, sans mourir idiot. Parler anglais fait désormais partie des prérequis pour devenir moniteur de ski. Les sites web marchands permettent de livrer sur toute la France (si l’on résout le problème de l’emballage) de conserver ses clients ainsi que la relation directe avec ceux-ci.
La capacité à travailler ensemble, en étant solidaires, en comptant sur des ressources engagées, contribue à la résolution de l’équation Customer Service. C’est ici un peu plus facile qu’ailleurs parce que les employés ou salariés connaissent, dans ces vallées éloignées, la valeur d’un travail stable et sont attachés à y rester habiter. Pour ceux qui y arrivent d’ailleurs, ils ont longtemps espéré de pouvoir s’y installer et sont donc en général fidèles à l’entreprise et ponctuels. Mais dès qu’on s’éloigne de ces vallées ou que les personnels ou les collaborateurs sont de passage, cette martingale opère moins. La valeur travail semble répartie de façon disparate. À quelques kilomètres près, elle peut avoir fondu (voir plus bas).
On oubliait un point important : les montagnards ont gardé la mémoire des périodes difficiles ; ils savent donc calculer. En conservant la maitrise de leur distribution, ces producteurs-cueilleur parviennent à maintenir la qualité et la rareté des produits et donc leurs prix et leurs marges. Le lait nécessaire pour fabriquer la tome des Bauges est acheté à chacun des membres de la coopérative 50 cts le litre environ, contre 29 cts en moyenne en France (en 2016) selon le cours du jour. Et les paysans sont souvent associés dans la Coopérative.
Le Chéran, Lunérus, Skiply, TPLM, etc… ce et ceux qu’il convient d’aller voir ou visiter en Bauges
La « sous-région » de France que visitent chaque année des millions de skieurs intermittents est la 2ème région plébiscitée par les clients d’Airbnb qui viennent chez nous.
Elle a concocté des recettes particulières pour accueillir ceux-ci, souvent étrangers et alors même que les flux de visiteurs sont de plus en plus difficiles à planifier. Elle fût en effet longtemps italienne, conserve de nombreux irréductibles de l’indépendance (vous les reconnaitrez à la plaque d’immatriculation spécifique dont ils ont doté leurs bolides. Celle-ci est flanquée de la croix de Savoie et de la déclaration textuelle : Savoie Libre), autant de signes qui font douter d’un alignement parfait en Savoie sur les canons du service client en vigueur partout ailleurs. Récolter et fabriquer, planifier, recruter, se souvenir du passé quitte à demeurer un peu sauvage, telles sont quelques-unes des règles d’or qui régissent et ordonnent l’expérience client savoyarde. En Bauges, de nombreux chalets sont construits par des artisans locaux, tels John Cochet ou Vanin. Ces charpentiers de montagne expérimentés s’appuient souvent, pour leurs constructions, sur le terrassement et le gros œuvre réalisés au préalable par l’entreprise TPLM (Damien Regairaz) dont les camions et grues sillonnent la vallée. Les fenêtres pourront être fournies et faites sur mesure par Cottet SA, l’usine et l’entreprise sise à École-en-Bauges. Depuis juillet 2017, Lunerus, la fameuse statue de ferraille qui célébrait, à sa façon et depuis les années 60 la conquête de l’espace, a été rénovée et trône près de la Croix du Nivolet, au Sire. Comme souvent en Savoie, des tas de trésors et de savoir-faire et convictions ont perduré ici, qui rendent le séjour unique et inspirant : à la Magne (Saint-François de Sales), Jean-Paul Pernet perpétue, quand il n’est pas sur son tracteur, la tradition de l’argenterie des Bauges. La French Tech est présente, au chef-lieu de la vallée voisine (le Châtelard) avec Skiply, la start-up dont les boitiers connectés essaiment un peu partout (ces boitiers qui vous proposent de mesurer l’expérience client que vous avez vécue en aéroports ou au supermarché, via des smileys qui indiquent votre niveau de satisfaction).
A l’image du Chéran, la rivière qui prend naissance dans les Bauges et file ensuite vers Rumilly (Haute-Savoie) la région peut sembler sauvage. Mais elle cache des paillettes d’or. Et charrie des truites. « Les Bauges, c’est Sundance Resorts, sans le festival », indique un connaisseur et cinéphile.
Vendangeurs et réceptionnistes ? Recrutement parfois délicat, ainsi que la planification
Dès le mois de novembre ou de juin, professionnels de l’hôtellerie, des stations de ski ou des vignes planifient le recrutement des équipiers, serveurs, cuisiniers et… s’arrachent aussi les cheveux. Dans son cadre idyllique (au-dessus du lac d’Aix-les-Bains), le Château de Bourdeau a fière allure et bonne presse. Moins d’un an après son ouverture, son propriétaire – un producteur de cinéma – ne déclare pas de problème de remplissage pour l’établissement qu’il a pris le soin de décorer de façon originale. Chaque chambre dispose d’une ambiance propre, souvent inspirée par le cinéma. Ici, le passionné de montagne qui s’est découvert un nouveau métier ne peste pas contre Booking : « C’est un apporteur de clients dont on ne peut pas se passer ». Mais il reconnait la difficulté à trouver du personnel motivé et adapté aux standards du service client et qui sont devenus la norme.
« Je suis très vigilant sur la qualité de l’expérience client que nous faisons vivre aux visiteurs, je regarde les avis clients. Le plus délicat, c’est tout de même cette difficulté à recruter des professionnels dans nos métiers. Je les paye dans les standards du marché, que je suis attaché à découvrir. Mais peut-être qu’au regard des contraintes de ces métiers, horaires décalés, les jeunes ne sont plus disposés à les accepter du moins pour le salaire que nous leurs proposons. Par ailleurs, tous ceux qui postulent n’ont pas forcément le niveau adéquat. Il faut un minimum de jugeote, de culture pour servir des clients désormais, et parler anglais. On a donc un taux de turn-over important. Gérer des intermittents et techniciens du spectacle, je sais faire. Je découvre que dans l’hôtellerie, c’est au moins aussi complexe. »
Par Manuel Jacquinet