Au Perreux-sur-Marne, l’enregistrement de Rockollection, au studio Casanova
Au Perreux-sur-Marne, deuxième partie des années 70, dans un pavillon en meulière, un trio bien assorti aménage l’antre où sera enregistré Rockollection, édité par Lorgere Music. Au départ, c’est la nécessité de loger une console en cours de construction, imaginée par Michel Antin, qui va décider à accélérer la transformation du pavillon. Une affaire de fous du son, de famille également. Voici l'histoire de Casanova Studio, l’un des studios de légende français, par Laetitia Raiteux, la fille de Jean-Bernard Raiteux.
L’un des morceaux les plus célèbres de la variété française des années 80 et qui s’est également le mieux vendu, Rockollection (Laurent Voulzy), fût enregistré dans un petit studio, aujourd’hui disparu, du Perreux-sur-Marne. La rue Danielle Casanova a donné son nom à ce studio où le fidèle complice de Souchon prit son temps et sollicita les élèves de l’école locale pour les chœurs du morceau.
Alain Muraccioli, qui officie dans la musique à l’époque, plutôt dans la partie technique et la scène (il sonorisait les concerts de Julien Clerc, de Claude François) y crée avec deux autres passionnés de musique, dont le bassiste Jean-Bernard Raiteux et Michel Antin, un studio où « l’on pourrait voir l’air et le ciel. Quand tant d’autres sont..enterrés. »
Entretiens avec Laetitia Raiteux, fille de Jean-Bernard Raiteux et Alain Muraccioli, associé à l’époque.
Manuel Jacquinet : Alain Muraccioli, vous êtes à l’origine, avec vos compères, du discret Casanova Studio qui apparait sur quelques pochettes qui se sont…plutôt bien écoulées. Qui mérite donc que soit racontée son histoire, brève mais remarquable.
Alain Muraccioli : Je travaillais à l’époque dans la musique mais plutôt pour les concerts et la musique live et j’ai eu l’occasion un jour d’acheter, dans la rue Danielle Casanova au Perreux-sur-Marne, un pavillon en meulière ; que je n’ai jamais habité. Dans mon esprit, c’était un placement dont je ne savais pas trop ce que je ferai. Mais un jour, avec Jean Bernard que je connaissais puisque nous sommes des amis d’enfance, depuis l’école, on s’est dit que ce serait bien d’avoir notre propre studio, où nous pourrions enregistrer et surtout, voir la lumière du jour. Alors, sans réfléchir plus que ça, nous nous sommes lancés dans la création d’un studio, avec nos moyens, qui étaient limités, le tout déclenché par la nécessité d’héberger rapidement une console en construction, celle du 3ème larron. On y a tout fait, fabriqué et installé tout seuls, y compris les menuiseries pour créer les fenêtres, avec du matériel de récupération ; on a testé la création d’une réverbération et d’une chambre d’écho, tout d’abord avec une citerne récupérée et qu’on s’était fait livrer, puis avec la construction d’un abri enterré, en parpaings mais c’était décevant. On a vraiment tout confectionné sur la base des connaissances que lui et moi avions de ce qui était nécessaire : on a soutenu la maison par des poteaux en béton, coulé une dalle flottante et on y a mis beaucoup d’argent. Mais l’apport du 3ème larron et associé, Michel Antin, fût essentiel. Il travaillait au Studio Davout et avait entamé la construction d’une console qui lui a demandé plus d’un an de travail et il cherchait un endroit pour en achever la construction (...)
L’enregistrement de Rockollection…
A.M et Laetitia Raiteux : Voulzy est un gars du coin puisqu’il est né à Nogent-sur-Marne et c’est ainsi que ça s’est fait, tout naturellement, parce qu’il connaissait déjà Jean-Bernard. Il est arrivé et a enregistré les basses et la batterie en une nuit, avec Charles Bennaroch et Jean-Bernard Raiteux a fait chanter les adolescents de l’école locale, dont ses nièces et ensuite, il est resté deux mois, voire plus, à peaufiner et achever le reste. Personne ne s’en est trop rendu compte mais aucun des extraits des autres morceaux de musique présents (et qui ont provoqué les menaces de procès ensuite) n’a été pris sur les morceaux originaux : on a tout rejoué, réenregistré (..)
Le morceau aurait nécessité ensuite un travail en studio, chez Casanova, pendant des mois, qui paye et règle la note alors ? Sur les partitions, on peut lire que le morceau est d’ailleurs édité par Lorgere Music.
LR : La société a été créée à l’époque par 3 associés, et mon père en a été le gérant. Nous habitions dans la rue et la société d’édition Lorgere Music est d’ailleurs domiciliée dans cette même rue, mais pas chez nous, chez une sœur, afin de ne pas tout mélanger. Personne ne se payait trop et il a dû y avoir un deal avec RCA et Laurent Voulzy, en vertu duquel des droits d’édition ont été négociés en contrepartie des longues sessions d’enregistrement dans le Studio. Personne n’est trop payé à l’époque, je pense.
Du Perreux à Paris 8, la fin du Studio…
AM : En effet, et c’est d’ailleurs ce qui va provoquer le départ de Michel Antin, je pense. Pourtant, dans cette histoire, l’apport de chacun a été essentiel et décisif : l’idée folle de Jean-Bernard et de moi-même n’aurait pas vu le jour sans l’apport et la console de Michel. J’ai apporté le pavillon, un autre la musique et le talent et les contacts, le dernier la console.
Que retenez-vous de cette aventure ?
AM : Que nous étions jeunes et fous, sans argent mais que cette forme d’inconscience nous a en partie porté chance.
LR : Le pavillon a été vendu avant que mon père ne récupère les revenus liés à l’édition du titre Rockollection. C’est dommage. J’ai découvert dans la cave tant d’archives sur la vie professionnelle de mes parents, qui a été riche, est méconnue.
Laetitia Raiteux est la fille de Jean-Bernard Raiteux et de l’une des chanteuses et danseuses, âme et « casteuse » des Parisiennes, Raymonde Bronstein. Elle n’était pas née à l’époque mais assure avec enthousiasme et rigueur la collecte et l’entretien des archives de Lorgere Music dont les partitions, textes originaux ou photos ci-jointes sont issus.
Les souvenirs de Charles Bennaroch, batteur.
« Dans un petit pavillon de banlieue au Perreux, Raiteux avait fait installer un magnéto 16 pistes et aménagé un studio d’enregistrement assez rudimentaire. Nous y avons enregistré, à trois, la rythmique fleuve de Rockollection : Laurent, Jean-Bernard et moi, en une seule très longue nuit. Il me semble même que ça a fini autour d’un petit déjeuner pris ensemble vers huit heures du matin (..) Laurent a passé plus de deux mois à peaufiner ce titre gigogne. Avec la chanteuse et choriste Anne Calver, ils ont enregistré piste après piste, chacune des voix qui composent ces chœurs si impressionnants. Un bidouillage assez génial vu la vétusté des moyens techniques (…) Je pourrais dire en passant n’avoir jamais été crédité pour Rockcollection, ni pour les enregistrements qui ont suivi, comme Bubble Star ou le bel album Le cœur grenadine réalisé au studio Davout et qui regorge de tubes très mérités (…) Un jour j’arrivais au studio du Perreux, la Souche et Laurent testèrent sur moi une toute nouvelle chanson, juste guitare et voix : Allo Maman Bobo. Une vraie réussite. Pas besoin d’être initié ou devin pour se dire : Y a du jackpot dans l’air. »
A l’ombre des étoiles, Charles Bennaroch, Editions LEN.
Pour aller plus loin, l’histoire complète du Studio Casanova, dans le livre
Studios de légende, histoires et secrets de nos Abbey-Road français.
Edition Malpaso-RCM