Appli CPF, compte CPF : la Caisse des Dépôts et Consignations poursuit 21 organismes de formation suspectés de fraudes
Des centres d’appels se révèlent au cœur du dispositif.
« Le supermarché numérique de la formation » décrit et espéré par Laurent Durain, directeur de la formation à la CDC, a été envahi par des adeptes et héritiers des célèbres Marco Mouli et Arnaud Mimran, les fameux spécialistes de la fraude à la TVA sur la taxe carbone. Quelques officines de centres d’appels, dirigées pour certaines par des flibustiers bien connus, sont au cœur du dispositif.
Magellan Formation, APG Stein, Formadis.fr, Lingueo, le Bon Call, Lomedis etc, comment s’y retrouver parmi les nombreux organismes de formation et prestataires qui se proposent « d’aider » les salariés et autres demandeurs d’emplois à utiliser leurs droits à la formation, consolidés dans le CPF ? La Caisse des Dépôts et Consignations a déposé ces derniers jours plusieurs plaintes -7 au total- motivées contre des commanditaires d’arnaque à la formation -21 organismes de formation. La nouvelle réglementation mise en place par l’Arcep devrait pouvoir aider les juges, enquêteurs, à identifier les vrais émetteurs des campagnes de télémarketing et prospection qui sont au cœur de ces escroqueries.
Le point sur un dossier sensible, au regard des sommes mises en jeu et des enjeux.
Le contexte
Chaque salarié dispose de droits acquis pour se former, qu’il peut cumuler durant des années et constituent comme une tirelire, qu’il peut choisir de dépenser pour suivre une formation dans le domaine qui l’intéresse ou lui permettra d’envisager une évolution de carrière, de métier ou une progression dans son métier. Mais une date limite de « consommation » de ce crédit est fixé et a été plusieurs fois repoussée et annoncée. Elle n’existe pas en fait mais des personnes mal intentionnées se sont emparées de ce dispositif et de cette prétendue échéance pour solliciter des personnes et salariés, par téléphone afin de les aider à ouvrir leur compte CPF, le compte personnel sur lequel ceci est consolidé. Elles en profitent pour demander le numéro de sécurité sociale de son interlocuteur, qui sert d’identifiant et déclenche un achat de formation qui va lui permettre d’être payé et réglé, avec un complice, alors qu’aucune formation n’a été effectué. Le salarié se trouve lésé puisque son compte CPF a été grévé d’une partie des droits acquis et les malfaiteurs, eux, sont protégés par une forme d’anonymat. Grâce à des opérations de sollicitation faites via des numéros d’appels masqués ou qui sont difficiles à identifier, il est complexe de remonter vite jusqu’à eux.Les chiffres de consultation du compte formation traduisent un réel désir des salariés de se former : plus de 50000 consultations chaque jour des services d’information et 5000 inscriptions sur l’appli CPF pour créer son compte formation.
Le rôle des centres d’appels véreux
Une grande part de l’escroquerie est fondée sur leur utilisation. La sollicitation est faite par téléphone avec les mêmes arguments et dispositifs que ceux qui ont été utilisés pour la fraude à la TVA sur la taxe carbone : « C’est simple, vous n’avez qu’à, je vais vous aider, etc. » Comme les droits existent, que l’État paye, via son bras armé -la Caisse des dépôts et Consignations- et que tout peut être géré à distance, l’investissement à consentir est minime au regard des sommes potentielles à récupérer : un site web rapidement monté, des lignes téléphoniques avec des numéros masqués, louées auprès d’opérateurs ou brokers télécom peu regardants et le tour est joué. Ne reste plus qu’à appeler des prospects, qu’on aura hameçonnés grâce aux sites aux noms trompeurs : compte-formation.aide.
« Nous allons créer le supermarché numérique de la formation et du droit à formation », déclarait Laurent Durain, le directeur des activités de formation à la CDC, en 2019. Mais au supermarché, on connait depuis longtemps le vol et la démarque inconnue.
De APG Stein à Magellan formation en passant par Lingueo, le tri difficile parmi les organismes de formation
Un ancien traiteur, dirigé par un Yael Cohen, APG Stein, (injoignable ces derniers jours), qui propose de vous former au permis de conduire; un organisme de formation généraliste qui propose des cours d’anglais ou de bureautique, un spécialiste de la formation en langue, Lingueo, très présent via un blog pour répondre aux interrogations sur les arnaques, via son co-fondateur (Arnaud Portanelli); un prestataire en rendez-vous qualifiés, qui se dénomme avec malice le Bon Call (dirigé par un grand spécialiste du télémarketing sur des marchés porteurs et à fortes marges), le supermarché de la formation s’avère vaste mais attractif: il s’y brasse presque 10 milliards d’euros par an dont 1,2 milliard mobilisable via le CPF. Le bon grain y côtoie l’ivraie.
La nouvelle disposition réglementaire, mise en place par l’Arcep en août 2019, sous le numéro 2019-054, devrait permettre à la Caisse des Dépôts et Consignations et aux autorités judiciaires de remonter vers les officines de centres d’appels et les organismes de formation véreux qui leur commandent ces campagnes et les rémunèrent souvent aux leads fournis; mais il faudrait peut-être également s’intéresser aux opérateurs télécom ou brokers en télécom, aussi habiles à fourguer leurs liaisons télécom qu’à changer de société de domiciliation. Sans les numéros à usage unique, toutes ces fraudes ne pourraient survenir ou se multiplier.
C’est à savoir + les numéros à connaitre ou éviter :
Lingueo, organisme de formation sérieux a priori, propose de vous renseigner sur ces arnaques, de vous établir un devis pour un besoin de formation. Mais nous n’avons jamais réussi à joindre son service client téléphonique à cet effet, au 01 75 43 53 00.
“Le centre d’appels et d’information de la Caisse des dépôts et Consignations, en charge de renseigner sur le compte formation est saturé d’appels et ne semble pas en charge d’assumer les milliers d’appels qui lui arrivent. La date d’échéance pour la dépense de son CPF semble avoir été mal comprise ” nous a indiqué une standardiste bien informée. “Du coup quantité de gens appellent alors qu’ils ne le devraient pas “. Le numéro est le : 09 70 82 35 51.
La réglementation de l’Arcep, publiée en août 2019, impose à un opérateur télécom de savoir précisément qui commande une campagne d’appels avec des numéros qui lui sont loués ou demandés. Derrière par exemple le 07 67 91 90 43 ou le 01 86 48 32 17, on peut savoir via une réquisition judiciaire qui se cache et téléphone. Sauf lorsqu’il s’agit de cartes prépayées.
Par Manuel Jacquinet
Photo de Une : Arrête-moi si tu peux – © DR