Le sourire et l’accueil plus incontournables que Google
Reportage dans une zone dangereuse pour les commerçants : Paris 16ème…
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L’intelligence artificielle, les chatbots, la connaissance client sont-ils les potions magiques qui transforment vraiment l’expérience client ? « Oui » clament les exposants des salons professionnels, des grands-messes telles VivaTechnology, mais des comportements et outils bien plus simples peuvent changer la donne. Ils exigent bon sens, vrai courage pour les imposer face à la doxa du « tout technologie ».
Alors que des acteurs des commerces de centre-ville demandent un Plan Marshall pour les villes moyennes, que le cabinet Roland Berger sort une étude sur un sujet similaire, quelques commerçants de quartier nous font part de leurs recettes, motto. Et pas de n’importe quel quartier : l’un de ceux où les clients sont exigeants, cultivés, voyagent, autant dire qu’ils ont en tête des référentiels aboutis sur la question de l’expérience client.
A la Muette, à Auteuil, Paris 16, comment fait-on pour survivre et enchanter ses clients ? Lesquelles de leurs recettes sont-elles transposables ailleurs ?
Se rendre plus disponible pour écouter et répondre aux clients
Trop souvent, une grande partie des magasins n’ouvre qu’à 10 heures, ferme à 19h, leur service client également. Pourtant, les consommateurs ont besoin d’engager la conversation tôt, tard, tout le temps : c’est le fameux anytime, anywhere, anydevice. Elargir l’amplitude horaire pendant laquelle on est disponible présente un triple bénéfice : répondre aux prospects et clients lorsqu’ils sont demandeurs, lisser la charge de travail des conseillers clients et vendeurs et de ce fait placer ceux-ci dans des conditions de travail plus favorables. Au Cameroun, les équipes de téléconseillers de VIPP Interstis répondent dans un français parfait par écrit, par téléphone ou par chat aux internautes des plus grands e-marchands français, opérateurs télécoms et énergéticiens 7/7, 24/24. Charles-Emmanuel Berc, fondateur de Vipp Interstis, a fait un choix radical en installant sa nouvelle aventure en pleine Afrique noire. « A 9,90 euros de l’heure (son prix de vente), je propose une prestation qui inclut l’efficacité, la disponibilité, la gentillesse. » Une évolution facilitée également par la loi du 6 août 2015 qui permet d’ouvrir le dimanche dans les 18 zones touristiques internationales, en France. Echos positifs : les ventes n’ont pas cannibalisé celles de la semaine et de nombreux étudiants peuvent ainsi disposer de jobs mieux rémunérés.
Soigner son offre, privilégier la cohérence
« Nous faisons des burgers, des frites, accompagnés de boissons, point final. » Maxime Lestringant, le directeur France de Five Guys (chaîne de burgers), reconnaît que cette simplicité de l’offre lui permet de se concentrer sur la bonne exécution de sa promesse. Thierry Desforges, fondateur de la plateforme d’analyse sémantique de l’expérience client Viavoo, abonde : « les milliers de commentaires que nous analysons pour les plus grandes marques convergent : soignez votre offre, votre produit et vos promesses, c’est la première étape indispensable d’une bonne expérience client. Pas la peine d’engager des millions en publicité si votre produit ou service ne correspond pas aux attentes réelles des consommateurs. Dans le dernier comparatif que nous avons fait entre les chausseurs en ligne (Sarenza, Spartoo, Zalando), 49% des verbatims client recueillis sur le web concernent la livraison ! »
Soigner les basiques, dépanner les gens « en galère »
Et si l’expérience client était la reformulation du métier de commerçant ? Telle est la conviction de Galip Cakmak, retoucheur dans les beaux quartiers parisiens depuis trente ans et habitué à servir une clientèle exigeante : « Je ne cherche pas à travailler avec tout le monde, il y a des clients toujours mécontents, ceux-là je les repère assez rapidement. De la même façon, j’ai arrêté de collaborer avec les grandes enseignes qui veulent beaucoup de services rapides, pas chers. » Dans son échoppe située rue Bois-le-vent, et dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas été ” designée ” par Starck ou Dragon Rouge, un joyeux foutoir n’empêche pas les affaires, le plus important étant : « L’accueil, le sourire, et puis bien sûr le travail qui doit être bien fait, sinon tu peux faire des galipettes, ça sert à rien. Et puis comprendre le client : quand tu vois qu’il y en a un qui est en galère, tu t’occupes de lui, bien sûr c’est un service qui est payant, mais après, le client tu l’as à vie ».
Imaginer les attentions, les petits plus qui changent tout
Il y a quatre ans, la SNCF a imaginé un service : s’agissait-il de lunettes de réalité virtuelle, de TGV qui vont à 600 à l’heure ? Pas du tout, mais de l’initiative Piano en gare, depuis pérennisée. Les gares sont des lieux anxiogènes, où nous sommes souvent obligés d’attendre. En y installant des pianos gracieusement mis à la disposition des voyageurs, mélomanes ou non, l’entreprise a renouvelé l’expérience d’attente : la musique adoucit les mœurs, les rencontres inter-générationnelles sont fréquentes et cerise sur le gâteau, l’initiative représente un coût modeste (de l’ordre de quelques centaines d’euros par mois et par gare concernée). A la Fnac, un concours récompense chaque année les meilleures initiatives imaginées par les directeurs de magasins pour améliorer l’expérience client. L’an passé, c’est le directeur du magasin de Chambéry qui est monté sur la plus haute marche du podium, notamment grâce à l’idée suivante : « en écoutant les réclamations des clients, nous avions observé que l’attente au service billetterie générait beaucoup de frustration : nous leur offrons des croissants et du café lorsque les files d’attente s’allongent. »
En réalité, l’expérience client en magasin n’est pas toujours et ne peut pas être un long fleuve tranquille : attente, produits indisponibles, climatisation qui ne marche pas dans un cinéma… L’orientation client et l’autonomie donnée à ceux qui sont en face des clients pour réagir et s’adapter s’avèrent souvent des armes fatales pour la customer experience.
« Le plus délicat, indique Stéphanie K., responsable d’une boulangerie, c’est le personnel et son recrutement. Vérifier que l’orientation client est bien là, qu’on va pouvoir gommer les tics de langage qui peuvent choquer ou qui sonnent banlieue, qu’on va se lever tous les matins pour arriver à 6H20 et pas à 6H45, ça ne se préjuge pas dans un CV ; seul le quotidien vous le prouve. Et l’exemplarité du patron et des responsables y concourent aussi. »
Quelques mètres plus loin, même son de cloche au restaurant Au Bois, dont le patron Samuel Nakache a connu le quartier Saint-Germain (dans une affaire qui faisait 600 couverts jour !).
« Nos plats sont fait maison, proposés au juste prix et j’ai une bonne équipe en salle, la même depuis des années. Avec ça, vous pouvez prospérer, sans ça, vous êtes morts, aujourd’hui. »
Dans de nombreuses conférences, Google est invité sur le sujet, en la personne de François Loviton, directeur du retail. Mais, pour Galip Cakmak, l’affaire est entendue : « pas besoin d’enseigne, ni de Google, je m’occupe des clients, je les accueille, je leur souris ; je les reconnais. »
légendes
Galip Cakmak, retoucheur rue Bois-le-vent
Le chouchou de ces dames, rapide comme l’éclair, bourreau de travail.
« J’ai démarré en usine, mais je n’étais pas fait pour avoir un patron… »
Mme G…, kiosquière
Mme G…, kiosquière
Le Quartier de la Muette et celui d’Auteuil accueillent deux des kiosques de presse à plus fort débit de Paris. On y accueille les garçons de café qui viennent se fournir pour leurs établissements, les domestiques de quelques hôtels particuliers voisins mais aussi les chauffeurs de taxi.
Baragouiner quelques mots d’anglais, savoir qui lit le New York Times et dépôter des dizaines du magazine Lui, qui se vend très bien paraît-il, sont des recettes indispensables. Et reconnaitre chacun, tout autant, même si on ne parle pas de CRM ici. Mme G a attendu des années avant d’obtenir ce kiosque. Les kiosques à débit significatif sont attribués à d’anciens kiosquiers, très performants, après le départ du précédent exploitant.
Olivier Raybaud, boulanger de père en fils
Olivier Raybaud, boulanger de père en fils
Chaque matin, durant des mois, le fils de boulanger qui exploite deux boulangeries dans Paris est redevenu livreur : il a fourni aux équipes de Luc Besson les pauses-repas durant le tournage de Valérian. Pendant des mois donc, sa fourgonnette blanche a effectué chaque matin le trajet avenue Mozart / La Plaine Saint-Denis. Son bureau, au-dessus de la boulangerie, est un joyeux capharnaum, mais dans la boutique, le sourire est toujours au rendez-vous, comme les bonnes blagues, pour tous les publics : on peut y croiser : Gérard Manset, Pierre Hermé (qui vient en voisin), le garde du corps d’un mogul des télécom ou le vice-président d’une société, souvent présente dans En-Contact. Son vieux Nokia est le fidèle compagnon d’Olivier.
Françoise Alt, ex-mannequin et coiffeuse
Françoise Alt, ex-mannequin et coiffeuse
Durant des années, l’ex-mannequin qui a travaillé pour les plus grands couturiers, a tenu, près de la Maison de la Radio, un salon de coiffure pour hommes. Journalistes – célèbres ou pas – hommes politiques, vieux monsieurs du quartier… La dame maniait pour tous le ciseau ainsi que son téléphone en bakélite pour la prise de rendez-vous, sans aucun personnel. Avec la discrétion qui sied au quartier et un art de la conversation adapté. Une seule offre : la coupe avec ou sans shampoing à un tarif étudié, des histoires à raconter, souvent passionnantes. Comme celle d’un personnage célèbre de l’Elysée, client du salon, dont l’assistante a longtemps pris les rendez-vous en essayant de jongler avec l’emploi du temps improbable de son patron. Elle est à mourir de rire. Mais les journalistes comme les coiffeurs, ne doivent pas tout raconter.
Lors de son pot de départ, le salon a fait salle comble. Françoise avait allègrement dépassé l’âge habituel de la retraite.
Par Manuel Jacquinet
nb : Depuis la première parution de cet article, dans l’Opinion (dans les Cahiers de l’expérience client), Galip est, lui aussi, reconnu. Lors ma dernière visite chez lui, il m’a avoué un truc incroyable, à l’heure des tablettes et du contenu digital : « dis-moi, il est drôlement lu ce journal, j’ai au moins 4 clients qui m’ont parlé de l’article ! »