Les plateformes de suivi des patients au top, celle de la Dirrecte en rade
Le dimensionnement et l’efficacité des plateformes de gestion, de suivi des patients atteints du Covid, de suivi du chômage partiel voient se côtoyer le pire et le meilleur. La Dirrecte pourrait utilement s’inspirer de ce qui est mis en place dans les hôpitaux.
Tandis qu’aux Hôpitaux Universitaires de Marseille, on a mis en place une application COVID AP-HM pour assurer la prise en charge à domicile des patients atteints du COVID-19, à l’AP-HP, on a recours à COviDOM et aux ressources fournies en soutien par un spécialiste des centres d’appels. La CAIH (la centrale d’achat informatique hospitalière) recommande, elle, de s’appuyer sur Lifen. Chacun cherche-t-il son chat ou bien l’important réside-t-il ailleurs : dans la composition, la formation et le nombre des équipes de suivi, lesquelles, munies de leur application respective, sont amenées à rappeler souvent les patients ? Peut-on espérer que des enseignements soient vite tirés des évènements que nous traversons, dans différents secteurs, lorsque la charge de travail et de sollicitations devient un jour très significative ?
Suivi du parcours patient à domicile, après ou en lieu et place de son hospitalisation : la combinaison datas + suivi des alertes
Les patients à risque mais sans indication ou ceux qui sortent des hôpitaux doivent être suivis et fournir ou renseigner quotidiennement des indications sur leur état de santé. A Marseille, au sein de l’AP-HM, on a mis en place une application déjà utilisée dont on a développé en urgence des fonctionnalités complémentaires : COVID AP-HM. « Elle ne concerne que les patients reçus à l’AP-HM, positifs ou à risque et nécessite une activation réalisée par un médecin, déclare le Pr Pierre Champsaur. Une cellule de télésurveillance active 7j/7 et 24h/24 assure un suivi en temps réel des données transmises par l’application et permet de déclencher l’envoi du SAMU, si l’état du patient se dégrade », précise le Dr Maeva Delaveau, chef de projet médical des logiciels patients. A Paris, au sein de l’AP-HP, c’est cette même combinaison qui a été actionnée mais l’application est celle COviDOM, développée par une start-up (Nouveal).
Comment fonctionne ce suivi ?
(L’exemple de l’AP-HP). Des équipes composées de 5 personnes, dont des professionnels de santé, souvent des volontaires et encadrés par un médecin, appellent quotidiennement des patients qui ont préalablement rempli des questionnaires sur les applications ou via des e-mails comprenant des questionnaires. Ces intervenants en télésurveillance, qui travaillent également 7j/7 et 24h/24, émettaient ces derniers jours entre 4000 et 6000 appels (pour 28 000 patients suivis) afin de valider des données auprès des patients suivis ou après avoir reçu des alertes. Ils le font depuis le campus d’Assistance Publique Hôpitaux de Paris, boulevard de Picpus. Les perspectives d’intensification de ce dispositif nécessitent de former rapidement des volontaires ou cadres de santé, de planifier leur présence et leur formation initiale. Les filiales d’un groupe spécialiste de l’expérience client ont décidé d’apporter un mécénat, sous forme de moyens humains et technologiques, sur ces 2 sujets pour l’instant. (Webhelp et ses filiales ou entités Direct Medica et Go beyond.)
Avec Lifen, c’est un autre protocole qui est suggéré par la centrale informatique des achats hospitaliers, la CAIH : Lifen Covid est une solution dans laquelle c’est par le biais d’un SMS quotidien, comprenant un questionnaire, que le patient est invité à renseigner les données sur son état. Mais là encore, le suivi est l’étape cruciale. Les médecins et l’équipe médicale peuvent s’appuyer sur une typologie qui recense 4 catégories de patients. La question clé étant de se focaliser sur ceux nécessitant un suivi particulier et parfois l’envoi d’équipes du SAMU. Les équipes des CHU de Saint-Etienne, Angers, Orléans et Strasbourg ont aidé à co-concevoir les différentes règles de décision. « La diversité des outils utilisés ne doit pas tromper, explique le Dr Maeva Delaveau, ils sont tous adaptés à la situation. Les organisations sous-jacentes pour assurer le suivi sont, elles, largement identiques. Ce qui diffère tient au volume de cas que nous avons à traiter pour l’instant sur la région de Marseille. Mais la vague arrive. »
Planification des flux, émission des appels et personnalisation de la relation patient, client, ces enjeux qu’on a découverts grâce au Covid-19, à l’état de guerre qu’il a provoqué
On savait déjà, depuis quelques jours que l’ordonnance pour se soigner peut différer selon qu’on est en Provence ou à Paris, qu’on écoute tel ou tel spécialiste. Derrière ces bisbilles dont on verra si elles étaient justifiées, trois constats, ruptures sont déjà établis. Une quatrième peut être espérée.
Le suivi des patients atteints du COVID-19 force le pays et les spécialistes à s’emparer ou intensifier l’usage des technologies pour personnaliser les parcours patients. Télé-médecine, télé-consultation, suivi de parcours patient, prévision des flux et adaptation des capacités de réponse avec gestion des points critiques, analyse des datas et correction des planifications en temps réel ou quasi, il n’est pas étonnant que la grande famille des spécialistes de la relation client soit sollicitée ou qu’elle propose son aide, gracieusement (c’est sous forme de mécénat de compétences que l’un des leaders européens a décidé d’apporter son soutien). Frédéric Jousset, donateur rapide et avisé, démontre encore une fois que certains industriels des centres d’appels ont la culture du pay-back. Qui va s’en plaindre ?
Pourquoi l’AP-HP a-t-elle recours à une aide extérieure dans l’organisation de ce dispositif ? Peut-être parce qu’on la lui a proposée, qu’elle est gracieuse et que le volume de contacts que génèrent déjà les patients suivis en Ile de France nécessite d’organiser une montée en charge rapide du dispositif de suivi. Avec plus de 32 000 patients suivis mercredi 1er avril, l’Ile de France est la région la plus touchée de France. « Chacun gère ses propres patients, selon la situation rencontrée en local », déclare Maeva Delaveau de l’AP-HM (Marseille). « Nous formons depuis quelques jours nos équipes pour émettre les 400 appels quotidiens que nécessite ce suivi mais nous nous préparons à un volume plus important encore. »
La problématique semble différente en Ile de France où l’AP-HP suit plus de 32 000 patients actuellement et en incorpore plus de 4 000 chaque jour dans le programme de suivi : « nous devons appeler certains patients dès lors que les données remontées via l’appli sont anormales. Si le patient ne répond pas, nous lui laissons un message ou SMS et attendons son rappel. S’il ne rappelle pas, le tiers de référence est alerté. Si le patient répond, c’est plus simple évidemment pour être en mesure de comprendre, indique le professeur Patrick Jourdain. La clé est donc de disposer des cellules en capacité d’émettre ces appels, sans délai. Webhelp nous apporte notamment son savoir-faire pour planifier les ressources dont nous allons avoir besoin et la gestion des compétences des personnes qui composent ces équipes (5 personnes composent chacune d’entre elles, dont un médecin). Mais les équipes sont composées de personnels mis en place et formés par l’AP-HP. L’une peut-être là à mi-temps, une autre à temps plein et être médecin. Cet apport des entreprises comme de quelques sachants (quelques élèves de l’X sont venus prêter renfort sur les sujets Data Science) est primordial et permet d’aller très vite. Que nous utilisions chacun, dans les différents hôpitaux, nos applications est un non-sujet : la marque du boulon on s’en fiche, c’est ce qu’on va en faire qui importe, ajoute-t-il. Nous disposerons au terme de cette expérimentation de la plus grande étude faite en temps réel sur le suivi des patients. »
• La technologie peut aider à recueillir des données rapidement et à personnaliser le suivi des patients, comme des clients, constat numéro 1.
• Les spécialistes de la gestion des flux, de la planification des ressources, de l’émission des appels peuvent aider, constat 2.
• C’est dans l’industrie de la relation client, des centres d’appels, qu’on trouve une partie des meilleurs au monde et ils souvent français. Après qu’on les a établis, le respect des process, de l’écoute, la capacité à planifier la charge sont vitaux et doivent être monitorés, améliorés, parce que l’erreur humaine existe. Constat numéro 3.
Dirrecte, SAMU, 3919 (Violences faites aux femmes), ces numéros et plateformes qui ne répondent pas ou mal
Que font et qu’attendent les Direcctes, submergées d’appels et d’inscriptions et leurs Ministères de tutelle, pour actionner des dispositifs similaires ? Les 3 constats établis plus haut et la réactivité dans la mise en place, par les professionnels de santé, de dispositifs palliatifs de suivi pour gérer la charge de travail rendent encore plus criants les lacunes constatées dans l’aide aux entreprises et employeurs. Le téléservice de demande d’autorisation préalable et d’indemnisation du chômage partiel est débordé depuis trois semaines, ne répondant ni au téléphone, ni par mail. 400 000 entreprises se sont déclarées concernées et 3 millions de chômeurs seraient concernés, selon les chiffres du Ministère du Travail mais quantité d’établissements n’ont pas reçu le mot de passe signifiant que leur demande a bien été prise en charge. « Nous avons fait notre déclaration le 17 mars, indique Violaine, assistante de direction dans une TPE et zéro nouvelle ou confirmation depuis. Rien ne répond : nous savons que notre demande est en cours de traitement. Les bulletins de paye ont été donc établis hier sans qu’on sache si la demande de chômage partiel est acceptée. » Apparemment, au vu de ce très grand nombre d’appels non répondus dans les Direcctes (0800 705 800), on n’aurait pas encore compris que des centres de contacts externes ou la mise en place d’outils de RPA (Robotic Process Automation) pourraient aider à traiter VITE les centaines de milliers de demandes non traitées. « Faut-il, là également, recourir à du mécénat ? », interroge un spécialiste de ces questions, apparemment irrité.
La famille de Naomi Musenga, cette jeune femme décédée après qu’un appel de leur fille avait été mal géré par un service de régulation du SAMU de Strasbourg, sera heureuse de constater que les temps de guerre imposent ce que l’expérience d’un seul décès échoue à prouver. Deux ans après le drame (27 mois), les batailles entre services (Pompiers, Samu), la cécité des experts du monde médical ou de l’urgence -qui croient parfois tout maitriser- n’a pas permis d’avancer d’un iota : « il faut un numéro unique, on n’a pas les moyens, pas d’argent ». L’usage de cet argent qui coule à flots, dans bien des endroits, stations, fonds d’investissement pourra-t-il, un jour, être mieux balisé ? Constat numéro 4 ou question encore ouverte ? « Nous disposerons de la plus grande étude jamais faite sur le suivi des patients et de données incroyables », précise le Pr Patrick Jourdain, de l’AP-HP. La plus grande étude sur nombre de faillites et leurs conséquences n’étaient-ils pas déjà sous nos yeux, avant ce Covid-19 ?
Le 3919, qui a annoncé voici deux semaines qu’il était opérationnel, ne répond jamais (testé par notre rédaction à 6 reprises en 4 jours). Sa présidente non plus, Françoise Brié, lorsqu’une demande d’explication lui est faite (3 en 6 mois). Là également, on manquerait d’argent, de moyens, de personnes pour répondre ?
Shade my eyes and I can see you, chante David Gilmour (Pink Floyd) dans Green is the Colour. Les poètes également nous incitent à regarder l’invisible qui crève les yeux.
Je n’ai pas vu l’homme comme la mouette, vague au ventre, qui file rapide sur la mer infinie. J’ai vu l’homme à la torche faible, ployé et qui cherchait. Il avait le sérieux de la puce qui saute, mais son saut était rare et réglementé (…) Je n’ai pas vu l’homme comptant pour homme. J’ai vu, ici l’on brise les hommes. Ici, on les brise, là on les coiffe et toujours il sert. Piétiné comme une route, il sert. (Henri Michaux, Ecce homo).
« Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres et à des injustices planétaires, nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète gravement malade », le Pape François, lors de sa dernière bénédiction Urbi et Orbi.
Si ce Covid-19 ne nous remet pas bien vite sur le bon chemin, ne nous incite pas à revoir quelques priorités, indiquait Boris Cyrulnik sur France Inter récemment, c’est encore pire que tout. Une autre plateforme de suivi est donc à créer, celle des enseignements et données qui remontent quotidiennement du terrain.
Légende photo de une : dans Mash, des chirurgiens efficaces mais pas très corporate mettent en place une chirurgie et des soins à la mode guerre de Corée.
L’expérience patient en période critique peut-elle embarquer des process et savoir-faire venus de l’expérience client ? Quels rôles y jouent la planification et la gestion des plannings des « sachants », les stratégies d’évitement ? Ce sera à lire dans le numéro 116 d’En-Contact.
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Par Manuel Jacquinet