It’s lonely at the top
ATS Studios, Dissonances, l’IRCAM, Sixième Son, Jean-Baptiste Beurier, à qui confier votre identité sonore ?
Longtemps, le néophyte en science footballistique désireux de parier sur des matches a longtemps a pu se reposer sur une définition simple : le foot est un sport qui se joue à 11 et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne. Bon, ok le dernier Euro de foot a fait mentir le dicton,
Si, désireux de revoir et d’enchanter l’attente au téléphone, l’ambiance sonore de vos boutiques (afin qu’on y revienne), d’animer votre centre commercial ou la gare de votre village, vous avez compris que le sound design est un vrai métier, quel crédit accorder à cet autre dicton : pour l’identité sonore, le meilleur c’est Michael Boumendil, le fondateur de Sixième Son, véritable Jean-Jacques Goldman de l’identité sonore. Travaillera-t-il pour vous d’ailleurs si vous n’êtes pas la Céline Dion de votre secteur ? L’agence qu’il a fondée n’a pas la réputation d’être moins-disante. Quid de la pertinence de recourir, sinon, à un bon musicien de studio, équipé, afin d’amenuiser les dégâts d’une attente trop longue à l’accueil de votre entreprise. C’est l’enquête passionnante des prochains cahiers de l’expérience client.
« J’ai inventé ce métier mais j’aimerais que surgissent des challengers », Michael Boumendil, fondateur de Sixième Son.
Comme de nombreux leaders dans leur domaine, le fondateur de Sixième Son n’a pas que des amis, mais trois choses sont incontestables : le nombre de ses promoteurs, au sein des entreprises qu’il a accompagnées, son talent en termes de communication et le regard historique et documenté que le fondateur de Sixième Son est en mesure de porter sur un métier, qu’il a inventé. Dixit. Et qu’il entend protéger, faire croitre. Ce serait son vœu le plus cher : qu’existent de sérieux challengers. Tout en haut, parfois, comme Mc Enroe en son temps, on est orphelins lorsque son principal compétiteur a déserté le court. Pour Michael, la solitude serait pire: il n'aurait jamais eu de challenger sérieux. C'est donc plutôt du côté de Randy Newman que se trouve l’inspiration. Oh it’s lonely at the top*
En-Contact : Que pèse le marché mondial de l’identité sonore, qui anime ce marché ?
Michaël Boumendil : il y a aujourd’hui quatre cinq gros acteurs dans le monde. Nous sommes de loin les premiers en matière d’activité. Les deuxièmes sont pratiquement à 30% en-dessous en termes de chiffre d’affaire. Ensuite, le leader allemand, qui doit être deuxième ou troisième mondial emploie vingt personnes. Nous sommes quarante. Ils font de l’ordre de 2,5 millions de dollars ; on réalise un peu plus de 6 millions de dollars.
En tout cas, tous ceux que je connais sont dans des logiques de croissance. Mais à l’inverse, les acteurs de taille moyenne, voire les acteurs de petite taille, sont plutôt dans une logique de décroissance ; il y a une dizaine d’années, beaucoup d’acteurs qui venaient de la musique ont voulu venir sur ce marché et se sont assez rapidement cassé les dents ; ils ont vendu, ont disparu parce que leur dimension stratégique, leurs ressources créatives, leurs ressources d’accompagnement étaient trop faibles ou limitées. Le concurrent le plus sérieux, Brandy Sound, a été rachetés par ATS Studios tandis que le troisième, By Music, a fermé ses portes. Les structures de petite taille s’intéressent aux petites marques et qui souvent ne vont pas vous confier des budgets qui correspondent à la nécessité d’un travail sur l’identité sonore.
Il y aurait donc une prime au Winner takes all comme dans quantité de marchés ?
Je ne connais pas très bien les gens de Dissonances, parce qu’ils sont exclusivement sur le marché français et qu’ils me semblent positionnés très low cost. Je n’ai aucun problème avec ce genre de positionnement-là, mais à partir du moment où vous êtes revendus par une agence qui elle-même va prendre une marge de 30 à 50%, et que vous êtes vous-mêmes low-cost, il ne vous reste pas grand-chose derrière. Il y a d’autre part des appels d’offre publics sur lesquels, quand le budget ne nous semble pas de nature à permettre de faire du bon boulot, on n’y va pas. Le dernier appel d’offres auquel j’ai participé, et que Dissonances a gagné était un appel d’offre public pour la Région Ile de France. On avait décidé de faire une proposition au-dessus du budget de la Région parce qu’on considérait que le budget ne permettait pas de travailler. On le leur avait dit et ils nous avaient répondu : « Ben non, parce qu’on n’a que ça. » Pour vous donner un ordre d’idées, dans la notation – c’est-à-dire ce qui vous permet de savoir comment vous avez été évalués – on était en tête sur tous les aspects techniques, c’est-à-dire ceux de l’expertise, de l’expérience, du conseil, de l’accompagnement. Simplement je crois qu’on était trois points derrière le vainqueur sur la question du prix. C’est un peu ce qui s’est passé dans le monde de l’identité visuelle à la fin des années 1980, où beaucoup de graphistes se sont dit « faire une identité visuelle, c’est du dessin ».
Quel est le budget en-deçà duquel maintenant, compte-tenu de votre expertise et du track record de l’entreprise, vous ne descendez pas ?
Ce n’est pas une question de budget dans l’absolu. C’est une question de budget par rapport à des besoins. Je vais être très précis. Aujourd’hui, chez Sixième son, on dispose d’une offre PME et d’une autre adaptée aux start-up, qui n’est vraiment pas chère. Mais pourquoi est-elle possible ? Parce que quand vous travaillez dans une grande entreprise, vous faites quatre-cinq réunions ; vous devez passer par des instances différentes, parce que vous avez des échelons de validation différents. Dans une PME ou dans une start-up, en revanche, vous traitez en direct avec le patron et donc vous ne perdez pas de temps. Et à partir du moment où vous ne perdez pas de temps, c’est normal que ça coûte moins cher. Là, on vient de réaliser pour une PME une identité sonore avec des applications pour 20 000 euros. Et pour 20 000 euros, ils ont reçu quantité de choses. Et eux-mêmes sont assez étonnés. On a été très efficaces. Il n’y avait pas de dimension politique à l’intérieur des discussions. Et vous allez voir, parce qu’on va communiquer dessus, c’est vraiment super. À l’inverse, je me souviens quand j’avais eu à travailler pour la Région, pour autre chose, j’avais dû négocier un complément de budget parce que là où je devais avoir normalement deux réunions, j’ai fini par en faire cinq. Et ça, ce n’est pas acceptable.
Ekwateur par exemple, un acteur innovant du marché de l’énergie semble représentatif de votre capacité à vous adapter à des budgets plus modestes ?
Oui, absolument. Ça fait partie des petites boîtes pour lesquelles on a travaillé en direct avec le patron et les directeurs marketing. En quatre réunions. Ils étaient ravis et ils nous ont même dégagé du budget supplémentaire parce qu’ils ont trouvé que la façon dont on l’avait traité était un élément de team building qui était formidable. Et c’est une vraie réussite.
Le terme de branding sonore pour qualifier ce métier, vous semble-t-il plus pertinent que celui d’identité ou de design sonore ?
Le design sonore regroupe des métiers dans lesquels le branding sonore vient s’intégrer. Par exemple, nous travaillons de plus en plus pour le design sonore de produits et avons d’ailleurs créé l’identité sonore d’une grande marque mondiale qui s’appelle Shure ; les fameux micros mythiques, que vous connaissez sûrement si vous êtes musicien. On a créé l’identité sonore pour leur communication, mais on s’est également occupé du son des produits.
Vous vivez entre les États-Unis et la France. Pourquoi ?
J’ai un pied à New York et un pied en France et c’est une position assez intéressante, parce que j’amène à mes clients européens ce que j’apprends depuis cinq ans aux États-Unis, c’est-à-dire une forme d’efficacité. Et j’amène à mes clients américains une dimension stratégique. Les Américains sont très forts dans la tactique et ils sont plus mal à l’aise dans la stratégie. C’est donc intéressant d’avoir un pied des deux côtés.
Compte tenu du confinement l’année passée, du fait que beaucoup de business maintenant se font à distance, ce qui augmente la fréquence des contacts vers les centres d’appel, les standards, avez-vous ressenti une modification de la demande, de la nature des demandes ou une demande en hausse de la part des e-marchands ?
Oui. Beaucoup de marques se sont dit : « Ce que je faisais avec la musique, c’est peut-être bien, mais ce n’est pas vraiment nous. J’ai fait une petite série de conférences sur la façon dont la crise impactait la marque ; comment elle impactait à la fois l’identité des marques et l’utilisation du son. Ce sont des conférences qui ont très bien marché. La deuxième chose constatée depuis l’an passé, c’est qu’en perdant une partie des points de contact et notamment ceux liés au Retail, une bonne partie des marques a poussé davantage sa digitalisation. On a, à cet effet mis en place un baromètre de la performance musicale, dont une partie est dédiée au monde du digital, c’est-à-dire la façon dont on mesure qu’une musique ou une vidéo sur YouTube contribue ou pas à la relation clients, à l’engagement. Or, l’indice le plus contributif est le Watchtime. Une vidéo avec un million de vues, c’est une chose mais si vous avez un million de gens qui sont restés sur la totalité de votre film, c’est bien mieux.
Ce sont des enseignements qui sont pour vous très intéressants ? Parce qu’en fait, tout ça permet d’être encore plus une agence conseil, c’est ça ?
Sixième Son est bâtie sur le modèle de l’agence conseil. Nous sommes capables de garantir une sorte de performance. Tout à l’heure, je disais que dans le milieu des années 1980, on s’est posé la question de ces graphistes qui disaient « moi je sais faire de l’identité visuelle » et qui faisaient des belles identités visuelles mais des identités visuelles qui ne marchaient pas, qui ne fonctionnaient pas. Dans le milieu des années 1990, on a vu beaucoup d’identités sonores être conçues par des gens qui n’étaient pas de ce milieu-là. La plus célèbre, c’est celle de Vivendi, qui avait été faite sur un coin de la table par un créatif devant Jean-Marie Messier et qui a duré un an. Au bout d’un an, ils se sont dit : « Mais c’est pas du tout ce dont on a besoin. » Et donc ils l’ont changée. Dans nos métiers, si vous n’avez pas une approche conseil, vous emmenez vos clients au casse-pipe.
Qu’est-ce qui vous passionne encore dans ce métier ?
Pour moi, à titre personnel, ça n’a jamais été aussi passionnant que maintenant. D’abord parce que les marques qui nous appellent viennent de tous les secteurs et qu’intellectuellement, c’est vraiment formidable. Si je prends mon agenda d’aujourd’hui : ce matin à 9h, j’ai dialogué avec une marque de sport européenne, française ; à 10h, avec une boîte de pharma, puis avec un industriel b2b. Le planning de l’après-midi se répartit entre une marque française dans les services puis une autre marque française dans sport etc. Avant-hier on a gagné un prix, pour une très grande marque asiatique, aux Transform Awards Asia et c’est la première fois qu’un Européen comme nous gagne dans cette catégorie-là, de l’or, pour une marque de pétrole et de gaz malaysienne qui s’appelle Petronas.
Au bout de vingt ans ou trente ans de métier, il faut retrouver parfois des raisons d’être passionné. Jean-Jacques Goldman a cessé de faire des disques, un jour…
Jean-Jacques Goldman, on se connaît. On a eu l’occasion de discuter. Simplement, un jour, Jean-Jacques, ça lui est tombé dessus : il avait l’impression qu’il n’allait faire que se répéter. Mais, ça ne peut pas m’arriver, parce que les sources d’inspiration sont aussi nombreuses que les marques. Peut-être qu’un jour, je m’arrêterai parce que je serai trop fatigué. Mais le simple fait de se dire que pour des budgets qui sont modestes, on peut parvenir à obtenir des résultats formidables est une source de motivation.
Êtes-vous beaucoup sollicité par des musiciens, puisque vous les faites travailler ?
Là-dessus nous n’avons pas de soucis, pour une raison simple : quand vous êtes un leader mondial dans la création, les CV que vous recevez ou les gens qui veulent travailler avec nous, c’est le haut du panier. Et qu’il s’agisse des États-Unis ou de l’Europe, moi j’ai de la peine. Il y a des fois où j’aimerais les embarquer avec moi. Il existe des talents absolument formidables mais je sollicite les gens à la mesure des besoins des projets sur lesquels on est. Donc nous n’avons pas de problème. Nous avons la chance d’être très bien identifiés et il y a beaucoup de gens qui veulent travailler avec nous.
Où en est le procès avec David Gilmour ?
D’abord, je ne suis pas en procès avec David Gilmour. L’enjeu n’est pas du tout là. J’ai été très surpris que ça sorte comme ça dans la presse. Il existe un contrat entre Sixième son et David Gilmour pour un type d’utilisation et David Gilmour ou des personnes qui travaillent avec lui en ont fait un autre type d’utilisation. C’est un procès plutôt très technique entre Sixième Son, Sony et d’autres intervenants. Des deux côtés, nous laissons faire les avocats pour trouver une solution.
(nb: Depuis la réalisation de cette interview, l'affaire a été jugée et Michael Boumendil débouté, en appel. Il reprochait en très résumé, à l'ex guitariste de Pink Floyd de n'avoir pas respecté ses droits de producteur dans le morceau composé par David Gilmour sur l'album Rattle that lock et qui reprend le célèbre jingle composé par Michael Boumendil pour la SNCF )
Maintenant, à moi de vous poser une question : pourquoi intituler votre sujet et enquête Est-on obligé de travailler avec Sixième son ? Ce n’est pas très sympa...
C’était un petit teaser, ce qui m’intéresse, c’est qu’il y a une telle suprématie de votre marque dans votre secteur que c’est passionnant comme question. Si je vous parle par exemple de Burger, il y a Mac Donald et maintenant Burger King. Et Sixième son est tellement cité par quantité de marques qu'on peut songer que, dans son domaine, l'entreprise est incontournable…
C’est intéressant parce que vous avez l’angle. Pourquoi est-ce que Brandy Sound s’est cassé la figure ? La difficulté, c’est que Brandy Sound, constituée de deux gars qui avaient du talent, a eu énormément de mal à investir. Mais ils n’étaient que tous les deux, or quand vous avez des sujets complexes, deux ce n’est pas suffisant ; et puis, il faut être capable d’investir pour leur apporter des choses nouvelles, or ils n’ont pas investi.
Peut-être que notre article va permettre aux gens de s’intéresser à ce marché dont on parle depuis peu de temps. Vous avez capté, raflé, avec talent, tous les gros contrats ou presque…
Non, je ne les ai pas captés, puisque c’est un métier que j’ai inventé.
Il y a plein de métiers comme ça. Dans le design, tout le monde vous parle toujours de Starck.
D’ailleurs on m’a longtemps appelé le Starck du son. C’est marrant parce qu’on s’en est parlé avec Starck récemment et il me disait : « Ça doit te gonfler, parce que ça veut dire que t’es un vieux ». Je lui ai dit « non ». Ce qui me gênait dans le fait qu’on m’appelle « le Starck du son », c’est que, moi, je ne fais que du son, alors que Starck est un touche-à-tout.
Mais ça montre qu’aujourd’hui les acteurs challengers n’ont pas trouvé leur stratégie, je crois.
Par Manuel Jacquinet
* i’ve been around the world, Had my pick of any girl,
You’d think i’d be happy, But i’m not
Everybody knows my name
But it’s just a crazy game
Oh it’s lonely at the top.
Randy Newman.
Retrouvez notre dossier sur le design sonore, ici.