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Je suis venu te dire que je m’en vais (la complainte des clients d’Oracle, Micros, SFR… du RSI etc.)

Publié le 12 juillet 2017 à 12:52 par Magazine En-Contact
Je suis venu te dire que je m’en vais (la complainte des clients d’Oracle, Micros, SFR… du RSI etc.)

Les clients qui s’estiment et sont maltraités par leurs fournisseurs n’ont pas d’autre issue que d’alerter, sur les réseaux sociaux, parfois par voie épistolaire. Le courrier de menace de divorce est parfois une demande de simple dialogue, d’amour… Comment en est-on arrivés là ?

Safra Catz, co-CEO d’Oracle

La viscosité de la clientèle

Il existe, dans l’économie moderne, une méthode redoutable pour se payer des yachts, des demeures à Cologny (Suisse), des journaux ensuite (afin de mettre de l’huile dans tout ça et de calmer les éventuels contestataires) : c’est la captivité de la clientèle, la viscosité disait dans un excellent billet l’éditorialiste Philippe Manière*, associée à un autre ingrédient indispensable : la discipline obligée de la majorité des cadres dans les sociétés qui ont adopté cette méthode. Mais un jour, les moutons dociles… deviennent enragés.
C’est ce que vont sûrement méditer Larry (Ellison, fondateur d’Oracle) sur son bateau dans quelques jours, dans une baie isolée je suppose du monde, et Safra Catz, Présidente Directrice Générale de la même société lorsqu’on leur aura traduit la lettre ouverte que le Cigref a rédigée et adressée à son entreprise de logiciels. Dans celle-ci, sont évoquées avec force politesse « la dégradation des relations commerciales et du service client » ainsi que des menaces de « divorce », mais la même colère montait chez les clients de Micros, filiale d’Oracle. Une litote en réalité puisque ce que le rédacteur de la lettre décrit avec des mots gentils se résumerait dans d’autres milieux que l’informatique par « c’est abusé ».

Greed is good et silence obligé des cadres régionaux, les raisons de la maltraitance

Depuis des années, de nombreuses entreprises, aussi performantes en marketing qu’en facturation, parviennent à rendre leurs clients addict à leurs services, renouvellent sans arrêt leurs conditions de services et s’arrangent pour être injoignables grâce à des services de BPO* externalisés, ne répondant que par mail, avec des formules plus soporifiques les unes que les autres. Le cash recovery (recouvrement) y fonctionne mieux que la seamless experience, pourtant généreusement étalée sur les tartines de présentations commerciales.
Pourquoi devenir vertueux puisque les affaires tournent (la capitalisation boursière d’Oracle frôle les 200 milliards), que le cash accumulé sert à racheter tous les concurrents (qui résiste à un gros chèque ?) et que le lobbying intense auprès des directions générales et influenceurs fonctionne à merveille ? Greed is good… Mais, dans ces grandes sociétés, souvent des world company, comment expliquer qu’aucun cadre dirigeant ne tire la sonnette d’alarme, voire ne propose des relations avec les clients plus sereines et respectueuses des intérêts de ceux-ci ? La réponse est simple : le management y combine deux règles d’airain : salaires généreux, titres ronflants, mais zéro pouvoir en fait d’infléchir la stratégie. De temps à autre pourtant, quelques cadres dirigeants courageux remontent les insatisfactions et proposent d’autres modes de travail. Mauvaise pioche, tout se décide en haut, et souvent aux US ou en Suisse (Altice). Isolés, éloignés des centres de décision, une grande majorité des white collars consacre en réalité son temps à faire du reporting, à appliquer les décisions et consignes qui arrivent par Skype et au terme de conf’ call. Une enveloppe marketing et quelques judicieux partenariats médias, gérés par d’autres services, suffiront à faire croire qu’on est Great Place to Work et à attirer les jeunes diplômés ambitieux. Les plus brillants de ceux-ci remplaceront les partants devenus trop chers, trop vieux ou pire : indisciplinés.

Le bullshit sur les bénéfices de la technologie : Siebel n’a pas servi de leçon

Pour que tout ceci fonctionne, un préalable s’impose : que vos services, outils, logiciels, soient devenus indispensables ou qu’on leur prête des vertus magiques. C’est bien le cas dans l’industrie des télécoms, du software, ou de certaines administrations. Dans les années 2000, la folie du CRM s’était emparée des grands groupes français : on n’y jurait que par Siebel (éditeur de logiciels) qui devait permettre la connaissance client, la personnalisation. Mais, dix-sept ans après, chez Generali (mon assureur) ou dans ma banque favorite, par exemple, on est toujours incapable de me reconnaitre et douze millions de mots de passe sont encore nécessaires pour que je sois identifié, reconnu : LOL.
Mais on aurait tort de stigmatiser uniquement Oracle, car l’éditeur est seulement celui pris la main dans le pot de confiture. Cette année, les mêmes comportements ont été observés chez d’autres groupes, devenus indispensables dans nos vies de citoyens, d’entrepreneurs, d’auto-entrepreneurs : SFR, le RSI ou des organisateurs de salons… Récemment, je m’étonnais des louanges unanimes sur le grand salon mondial des start-up, Viva Technology, dont l’organisateur Viparis se révélait incapable de fournir du wifi ou de la climatisation ?

Comment donc expliquer qu’on en arrive là, alors que, selon tous les spécialistes, « Oracle produit et maintient des logiciels et services de qualité, qui résistent à la charge et dont il est difficile de sortir » ? Nous attendons la réponse d’Oracle, sollicité depuis hier et habituellement réactif sur les réseaux sociaux. La réponse se trouve certainement selon ce même spécialiste dans « la nécessité d’aller toujours chercher et produire de la croissance et des résultats pour les marchés, alors que de nouveaux modèles tels que le cloud permettent d’autres modes d’utilisation des services, moins onéreux et donc forcément moins générateur de marges ». Il conclut même, ironique, « maintenant qu’ils ont perdu la Coupe de l’America, ils vont pouvoir s’occuper des relations avec leurs clients. »

La lettre ouverte du Cigref ressemble donc à la belle chanson de Serge Gainsbourg : « je suis venu te dire que je m’en vais, que tes larmes n’y pourront rien changer… ». Mais les Rolling Stones (on n’était pas sûr que Larry et Safra écoutent Serge Gainsbourg dans leur Tesla, on a pensé à une version anglophone) en avaient produit une version anglo-saxonne aussi éloquente, du temps qu’ils étaient vraiment énervés : ça s’appelait Beast of Burden « i’ll never your beast of burden, my back is broad but i know it’s a hurting… » Il y a pourtant un espoir : la colère ou la menace de divorce, c’est souvent une demande de dialogue, d’attention ou d’amour. Ecoutons la suite de Beast of Burden : « all I want is you to make love to me »

 

 

Un billet d’humeur par Manuel Jacquinet

 

* « appellation pudique de sa résignation à la maltraitance » selon Philippe Manière, dans un article paru dans l’Express le 26 juin 2011
*BPO : Business Process Outsourcing

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