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Le chant des sardines, ce foie gras de la mer…

Publié le 21 octobre 2019 à 13:53 par Magazine En-Contact
Le chant des sardines, ce foie gras de la mer…

Elu Sardines de l'année, en catégorie, “sardines à l'ancienne”.

Où mange-t-on les meilleures sardines ? Saviez-vous qu’il existe des collectionneurs de boîtes de sardines millésimées ? Voici tout, presque tout ce qu’un Sardinophile doit savoir sur ce petit poisson, bourré d’Oméga 3.

L’humoriste Pierre Desproges en a fait une recette (« vulgaire mais ça en jette ! ») : « Le pâté de sardine à la Desprogienne »… La légende dit que Picasso en raffolait mais il en a surtout mangé à ses débuts, en période de disette, lors de sa période montmartroise, avec du pain. Il s’en inspira pour créer une œuvre en céramique (Aux trois sardines), vendue en série limitée depuis, chez Christie’s. L’écrivain américain John Steinbeck s’en est inspiré pour le titre de son roman Rue de la sardine. Riche en Oméga 3, la sardine est l’un des produits les moins chers (rapport qualité/prix) et les moins toxiques du marché de la mer, parce qu’elle se trouve au début de la chaîne alimentaire, chère à Darwin. La sardine fait sourire mais elle a le vent en poupe ! C’est le poisson qui enregistre la plus belle progression avec un CA à + 5 % et des ventes à l’unité à + 1%. Aujourd’hui, la sardine représente 17 % des volumes sur la conserve de poissons. Et pas seulement au Portugal (la Sardina pilchardus doit être pêchée entre le début du mois de mai et la fin du mois d’octobre) ou sur le vieux port de Marseille, évidemment. A Paris également : chez Lipp, la célèbre brasserie parisienne propose à sa carte ses « sardines millésimées collection 2011/2016 », de la Maison Chancerelle, leader du secteur. Préparées à l’ancienne, Label Rouge, c’est une garantie supérieure de traçabilité. Il vous en coutera 12, 90 € pour ce mets apprécié par le chanteur Sting, qui a confessé en déguster régulièrement lors d’une émission de Taratata, sous les yeux ébahis de Nagui : le monde du rock n’est décidément plus ce qu’il était. A noter que la boîte de sardines « ordinaires » (mais de qualité), à « l’huile d’olive vierge extra » (les délectables), ne coûte qu’un peu moins de 2 € chez l’épicier du coin. La « modeste » maison Connétable (la marque très connue de Chancerelle) se targue d’exister depuis 1949, mais l’histoire de la commercialisation de la sardine remonte à bien plus loin.

© Emil Hernon

Un peu d’histoire

Dès 1820, Joseph Colin ouvre la première conserverie à Nantes. Les fameux petits poissons, après avoir été étêtés, éviscérés et parés à la main, puis frits, sont conservés dans de l’huile d’arachide ou de tournesol. Pour autant, c’est la production à l’huile d’olive, au goût plus prononcé et fruité, qui représente 80 % du marché. Seuls quelques irréductibles consommateurs bretons demeurent attachés aux sardines à l’huile d’arachide. L’appellation « à l’ancienne » correspond à la préparation ancestrale. Les poissons sont plongés dans un bain d’huile, puis égouttés, pour obtenir une chair ferme à la saveur toastée, à l’inverse des sardines cuites à la vapeur.
Créée en 1853, la conserverie Chancerelle (près de 40 % de part de marché, les exportations représentant 15 % du chiffre d’affaires) reste le seigneur hexagonal de la sardine (à l’huile), dont la marque phare est Connétable (qui a réhabilité les conserves de poissons) et s’impose à l’international. Face aux mastodontes Thaï Union (Petit Navire, 26 % du marché mondial) et Saupiquet (15 %), Chancerelle pèse désormais 10 % du marché des conserves de poisson, grâce notamment aux labels et à l’innovation. Sur un marché mis à mal par la déflation (-0,6 % en 2017) et la hausse des matières premières qui pèse sur sa rentabilité, Chancerelle continue d’investir et d’innover (chaque année, à l’automne, la conserverie Wenceslas, la plus ancienne au monde, consacre son savoir-faire ancestral à la préparation de ses « sardines d’argent », vendues en série limitée).
En 2018, la société familiale, qui emploie près de 2000 salariés, dont 725 à Douarnenez (29), a généré un chiffre d’affaires de 145 millions d’euros, contre 142 en 2017, et pèse 9,9 % du marché de la conserve de poissons. « Aujourd’hui nous proposons la plus large gamme de produits gourmands, sains, respectueux de l’environnement et labellisés, souligne son directeur général, Jean-François Hug. En GMS – notamment pour Monoprix – nous sommes les premiers contributeurs à croissance par le fonds de rayon qui tirent nos ventes. Nous avons réussi à faire passer la sardine comme le deuxième segment derrière le thon qui représente encore 60 % des ventes dans l’Hexagone ».

© Emil Hernon

La sardine chic

C’est le marché français, en hausse de 6 %, qui permet ce résultat. À l’export, la production du site d’Agadir (l’entreprise compte deux usines de sardines et de thon à Douarnenez et une usine de sardines à Agadir) a été confrontée à un problème de marché, sans parler des effets du Brexit résume le P-DG. Le cœur de l’activité est plus que jamais le marché français, sur lequel il faut se développer sur plusieurs créneaux. Les conserves certifiées Label Rouge, ou MSC (pour une pêche durable), connaissent de fortes croissances. Les innovations créent également de la valeur : six produits Connétable figurent dans le Top 10 des nouveautés en matière de conserves de poisson, notamment les sardines à l’huile d’olive sans arêtes. Mais la maison La Belle-iloise pointe le bout de sa nageoire avec son nouveau concept de « bars à sardines », dont le premier restaurant a été ouvert à Nantes, en 2016. Forte de plus de 80 magasins de dégustation, dans toute la France, toutes décorées avec goût, elle propose elle aussi, entre autres, son « caviar de la mer » : Sardines à l’huile millésimée Saint-Georges, mis en réserve, pour la modique somme de 16, 90 € le lot de 3.

Votre serviteur les a testées : c’est excellent ! Il s’est même déplacé (à vélo, dans Paris, au risque de sa vie !) pour gouter un sandwich mariné à la sardine, proposée par Ryan et Réva, les deux sympathiques employés de la boutique, sise 53-55, rue de Montorgueuil, dans le 2e arrondissement de Paris, près du Forum des Halles.

Laissez-les vieillir, meilleures elles seront, comme le bon vin

La star des sardines, depuis quelques années, c’est la « millésimée ». Il s’agit de la date indiquée sur l’emballage qui correspond à la mise en boîte. Contrairement aux sardines « à l’ancienne », dont la production est réglementée par un cahier des charges, celle-ci ne fait l’objet d’aucune législation. Question de confiance, de réputation, et de goût. L’huile contenue dans les conserves entame un processus de maturation, au cours duquel l’arête centrale tend même à disparaître. Si vous vous lancez donc dans une collection, pensez à retourner vos boîtes plusieurs fois par an afin que la sardine puisse confire harmonieusement. Chaque conserverie propose des séries limitées, dont les collectionneurs sont friands, pour le design et la rareté des boites. Ces boites millésimées, vendues 20 à 50 centimes de plus, représentent en général le meilleur de la conserverie avec un poisson de pleine saison et un soin particulier pour ces boites « de garde ». Pour exemple, un Label Rouge est attribué au groupement Poissons Bleus de Bretagne. Il présente quelques garanties dont la pêche à la « bolinche » (ou « senne coulissante » : un filet encerclant conçu pour la capture des poissons « pélagiques », notamment les poissons bleus, comme le maquereau ou la sardine), fraicheur extra, non surgelé, emboitage en moins de 48h, taux de matière grasse inférieur à 8 % et 4-6 sardines par boite, stockage de 4 mois minimum avant la vente. Un autre Label Rouge est attribué à la conserverie Gendreau, de Saint-Gilles Croix-de-Vie, pour la « préparation à l’ancienne » et présente les mêmes garanties que le précédent (hormis pour la pêche à la bolinche). Le Label Rouge est donc un bon label qui garantit surtout l’absence de surgélation. Il pourrait être plus strict et n’assure pas l’excellence gustative malgré un prix premium. Le label MSC (pour une pêche durable), par contre, fait l’objet de polémiques régulières sur son laxisme et l’opacité de ses critères d’attribution ou de contrôle… Allez, faites chanter la sardine !

© Emil Hernon

Des sardines Bio ?

C’est l’huile qui est bio, pas le poisson qui constitue 85 % du produit. Comme la courbe de contamination des océans poubelle ne va pas s’inverser avant longtemps, une piste d’innovation pour les conserveries serait de travailler sur une vraie norme bio pour la sardine – zones de pêche les plus propres, évaluation des toxiques par lot et vente à prix premium des lots les plus purs à destination des publics sensibles (femmes enceintes et enfants). La sardine a des taux de mercure assez faibles car elle est pêchée jeune (1-2 ans) et se trouve en début de chaine alimentaire ; le thon en contient 15 fois plus. Une étude scientifique de 2010 avait recommandé un label couleur pour 6 catégories de poissons selon leur teneur en mercure.

L’histoire de la sardine en boite

A sa grande époque, au début du siècle dernier, le seul port de Rosmeur (29, sur Douarnenez) abritait près de 900 chaloupes sardinières et la ville comptait 32 usines. Les hommes pêchaient, les femmes mettaient en boîte. Il ne reste aujourd’hui que trois conserveries sur place. La sardine, c’est 70 millions de boites produites en France et le double importées. Les français mangent en moyenne trois boites de sardines par personne par an, autant de boites de maquereaux et deux fois plus de thon.

La ration du soldat à l’origine de l’essor des conserves

Si le terme de « production de guerre » fait généralement référence à l’armement, l’industrie alimentaire ne manque pas d’être sollicitée pour nourrir les troupes. De nombreuses sociétés privées sont contraintes de se transformer en usines de guerre sans disposer réellement le savoir-faire. La conserve alimentaire est née des travaux de Nicolas Appert pour faciliter le ravitaillement de l’armée en campagne. Avec le premier conflit mondial, la France doit mobiliser l’ensemble de son domaine industriel et semble dépourvue face à une guerre longue. Le théâtre des opérations étant éloigné des côtes de France, il faut embarquer des aliments de qualité, susceptibles de passer plusieurs semaines en mer sans se détériorer. L’utilité potentielle de la boîte de conserve pour les armées en campagne est reconnue lors des campagnes d’Algérie mais les premiers marchés importants passés avec des fabricants de conserves sont signés pendant la guerre de Crimée : « la guerre d’Orient », au cours de laquelle l’administration militaire tente d’introduire l’utilisation de conserves dans le régime des troupes et surtout des hôpitaux. Les conserveries, maîtrisant les techniques d’Appert et disposant majoritairement de personnel féminin, cherchent en priorité à récupérer leur personnel spécialisé. Le patronat saisit cette opportunité de faire pénétrer ses produits dans la société française à une époque où il y a encore auto-fabrication des conserves maisons dans la société rurale. En habituant les poilus à la conserve industrielle du fait des commandes de l’état et en donnant l’opportunité aux citadins de mettre des conserves dans les colis des soldats, les habitudes alimentaires se transforment.

Quand l’amateur dépend de l’armateur et de sa bolinche (bon à savoir)

• Avant que d’arriver dans la boutique de la Belle-Iloise ou chez vous par colis (le leader du marché français, Chancerelle, a par exemple créé différentes marques pour vendre ses conserves dont Pointe de Penmarch, vendues par correspondance), le petit poisson bleu est tout d’abord pêché avec soin sur certaines côtes, bretonnes et vendéennes notamment, souvent par des bolincheurs. Gaetan Lappart est un des patrons pêcheurs-armateurs qui utilisent ce filet tournant (la bolinche) dont l’usage abime moins le poisson pêché.
• La norme NF V45 071, créée par l’Afnor en 1999 et modifiée en avril 2015 définit les conditions qui permettent à un industriel ou marchand de dénommer son produit Sardines à l’ancienne : la conserve doit contenir 75 % au moins de sardines, lesquelles doivent avoir le ventre brillant, contenir un minimum de matière grasse et avoir été étêtées, éviscérées et parées à la main avant d’être frites et conservées dans l’huile. La cuisson à la vapeur est interdite pour des sardines à l’ancienne. La DDM (date de durabilité minimale) des sardines à l’huile est fixée réglementairement à 4 ans mais la conserverie Gonidec la porte à 10 ans.
• Connétable, la marque la plus connue en France (qui est produite par l’entreprise Chancerelle, qui exploite à Douarnenez une des plus anciennes usines françaises spécialisées) s’arroge 38 % de part de marché en valeur pour les sardines entières mais des PME familiales font mieux que survivre sur ce même marché : Furic, Gonidec, Hilliet ou Gendreau exploitent et ont créé des marques reconnues dont par exemple la Belle-Iloise (Hilliet), Mouettes d’Arvor, la Compagnie bretonne du Poisson, etc.
• Claude Léger, un ancien chauffeur de bus qui demeure désormais à Concarneau est l’un des nombreux amateurs ou collectionneurs français : dans sa maison, plus de 340 boites de sardines, non ouvertes et consommées s’affichent au mur, créant un tableau de boites. De nombreuses marques ont en effet, même si la tendance se perd un peu, créé chaque année, avec l’aide de peintres ou d’artistes, des décors de boîtes uniques et millésimés. Les Arts Dinent à l’huile, une association et un festival qui a enchanté la baie de Douarnenez et s’est sabordée en 2008 a durant ses dix années de gloire commis chaque année un décor de boite millésimé. Il restait, au jour du décès de l’association 5842 boites millésimées. Difficile d’en trouver une au marché noir à moins de 10 euros la boite désormais. Les sardines millésimées n’obéissent à aucun référentiel de fabrication sauf si elles sont à l’ancienne.

Un jour, c’est certain… un trader s’intéressera à ce marché ?

© Emil Hernon

Une boite de sardines Expérience Client ?

Passionnés de sardines et convaincus que l’enchantement peut résider au fond d’une boîte à 2,50 euros (le prix moyen en GMS d’une boite de sardines à l’ancienne), les organisateurs du Forum de l’Expérience Client ont décidé, en 2018, de créer une boite personnalisée qui est offerte aux congressistes baulois lors du forum. C’est la conserverie Gonidec qui a été retenue comme fournisseur (l’entreprise qui fournit également la Grande Épicerie). Un nouveau décor est prévu pour la 7ème édition… La difficulté, comme pour de nombreux produits personnalisés, c’est la commande minimale à passer pour disposer d’un produit de qualité souvent produit et livré en quantités industrielles et l’emballage ou l’étiquetage.

Par Guillaume Chérel

Découvrez l’interview d’Anne-Isabelle Fuchs de Penn Sardin à Douarnenez.

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