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Le cantalou qui n’aimait pas le télémarketing sauvage conforté au gouvernement

Publié le 22 juin 2017 à 10:30 par Magazine En-Contact
Le cantalou qui n’aimait pas le télémarketing sauvage conforté au gouvernement

Jacques_MEZARD_sénateur_003Les occasions d’espérer n’étant pas si fréquentes, le petit monde des centres d’appels et des hotlines téléphoniques est heureux de découvrir que des spécialistes du sujet sont entrés au gouvernement Philippe II.
Un ancien hotliner de Club Internet est désormais secrétaire d’Etat chargé du numérique : Mounir Mahjoubi.
Le sénateur qui a combattu la prospection téléphonique depuis le Cantal et avec opiniâtreté, devient ministre de la Cohésion des territoires : Jacques Mézard.
On peut donc espérer : beaucoup de plateformes téléphoniques localisées partout en France, y compris dans les zones blanches ? Les maires de Saint-Gingolph et Bougey, respectivement en Haute-Savoie et Haute-Saône, pourront dire à leurs administrés que bientôt ils disposeront d’Internet. Viva Technology !

La question est depuis devenue une proposition de loi, adoptée le 28 avril en première lecture à l’unanimité et qui imposera aux opérateurs téléphoniques de recueillir l’accord exprès de leurs clients avant de céder à des tiers les données personnelles qui sont utilisées pour la prospection téléphonique. Ce principe sera appliqué aux nouveaux clients des opérateurs téléphoniques et accordera un délai d’un an à ces mêmes opérateurs pour solliciter l’ensemble de leurs clients actuels afin de recueillir leur accord.La proposition de loi sera prochainement soumise à l’examen des députés mais il pourrait bien s’agir d’un premier coup de boutoir pour un métier et des pratiques qui sont à l’origine de l’essor du métier du marketing téléphonique en France… en même temps que d’un sentiment de ras le bol et d’exaspération de la part de citoyens sollicités toujours au mauvais moment. Dans  une interview exclusive Jacques Mézard nous dévoile l’origine du projet, les résistances qu’il a dû affronter et son leitmotiv: il est temps de réguler le démarchage téléphonique.

 

Qu’est ce qui vous motive à travailler sur ce projet d’encadrement du démarchage téléphonique ?
Tout simplement, je pense que les parlementaires doivent être à l’écoute de leurs concitoyens. De partout, remontent nombre de plaintes, de réclamations de ceux qui sont lassés de ce qu’ils considèrent comme un abus d’appels sur leurs lignes téléphoniques à tout moment. Le sentiment général est que cela augmente considérablement. Le sentiment est une chose, la réalité peut être différente; mais ce qui est certain, c’est que comme dans d’autres pays, il y a un phénomène de ras-le-bol. Mon but n’est pas de supprimer le démarchage téléphonique, qui correspond à une activité économique. Je n’ai rien contre le développement de nombre d’activités économiques découlant de l’utilisation des nouvelles techniques de communication, mais comme pour tout, il faut une régulation et un équilibre. J’ai voulu faire en sorte que cette proposition de loi soit un message pour dire « si vous ne vous organisez pas, la loi est là pour remettre les choses en situation d’équilibre ».

Vous parlez de ras-le-bol, vous-même, dans votre vie personnelle, ou les gens qui vous entourent, ont-ils été victimes de ce démarchage intempestif ?
Je le constate comme tout le monde, mais on ne fait pas une proposition de loi parce qu’on a reçu un coup de téléphone abusif… on le fait parce qu’on a une permanence parlementaire, parce qu’on lit, parce qu’il y a des unions de consommateurs qui réagissent, parce qu’il y a des moments, quand la société évolue, où on arrive à constater que des dispositions sont souhaitables.

Quelles sont les dispositions importantes de cette proposition de loi ?
La disposition la plus importante, c’est qu’il faut que le consommateur donne son consentement pour être démarché.

Le texte ne concerne-t-il que les opérateurs téléphoniques ou tous ceux qui font le métier de solliciter les consommateurs au téléphone ?
Tel qu’il est rédigé actuellement, seulement les opérateurs, ceux qui passent un contrat avec l’usager.

Donc les vendeurs de panneaux solaires, de cuisine, de fenêtres ne sont pas concernés par le texte tel qu’il est libellé ?
Tel qu’il est libellé, en l’état.

Est-ce que vous avez vocation à l’élargir ?
Bien sûr.

Mais le texte stipule aussi que lorsqu’un opérateur téléphonique recueille l’accord explicite de son client pour pouvoir revendre ou transmettre ses coordonnées.
Oui, pour les contrats à signer.

On a vu dans de nombreux cas que certains se sont fait une spécialité de mettre des petites cases pré-cochées, induisant cet accord « explicite », le texte prévoit-il ces pratiques ?
Non

Comment l’accord sera-t-il recueilli ?
Par écrit, bien sûr.

Et qu’en sera-t-il des anciens contrats ?
Pour les anciens contrats, la disposition à laquelle on a abouti après discussions avec la commission des lois, est d’avoir l’obligation pour l’opérateur de contacter son co-contractant et de lui laisser un délai de deux moi pour envoyer un courrier disant « je ne veux pas ». Si au bout de deux mois, il n’y a pas de réponse, l’accord sera implicite.

Cela va générer 50 ou 60 millions de courriers, une remise à plat de toutes les bases de données des opérateurs…
(il coupe) Cela vous choque ? L’opérateur envoie des courriers lorsque cela lui permet d’obtenir des affaires.

Est-ce que vous avez conscience que c’est une vraie révolution du marché ?
Oui bien sûr. Vous savez, les élus ne sont pas forcément irresponsables parce qu’ils deviennent élu. Nous ne sommes pas dans l’excès de pouvoir perpétuel. J’ai bien conscience quand je rédige une proposition de loi, qu’il y a des conséquences. On parle d’une opposition entre la société civile et les élus, mais les élus ne sont pas des militaires, ils représentent les citoyens. S’ils ne sont pas contents de nous, ils ne nous réélisent pas. On sait qu’il y a un certain nombre de problèmes qui découlent de l’évolution de la société, des techniques, des relations sociales, et qui justifient qu’il y ait un certain nombre de décisions qui soient prises. Il eût été raisonnable que la profession intègre le fait qu’il était nécessaire qu’il y ait une meilleure régulation que la quasi-absence de régulation actuelle. On ne se fait pas plaisir en disant « je n’ai rien à faire aujourd’hui, je vais faire une proposition de loi ». D’autant que cela n’aura pas une conséquence très importante sur mes grands électeurs.

Est-ce que vous avez du affronter ces derniers jours un lobbying important des acteurs de la profession, pour vous dire : il y a un impact fort sur l’emploi ?
On n’affronte pas un lobbying, ils sont dans leur rôle. Je respecte autant les chefs d’entreprise et les gens qui travaillent dans ce secteur que je respecte les usagers. Mon souci est d’arriver à un équilibre. Si on ne va pas vers une régulation, en essayant de tenir compte des intérêts des uns et des autres, entreprises et usagers, le ras-le-bol fera qu’on aura des réactions plus lourdes.

J’ai entendu dire à Bercy que si la loi passe, personne ne serait au courant, que le projet serait mort-né – faudra-t-il communiquer sur cette loi ?
La réponse que Bercy vous aurait donnée est révélatrice de la méconnaissance totale de nos élites technocratiques et non électives des réalités de terrain. Ils considèrent que les Français sont des sous-citoyens, et pour couronner le tout méprisent totalement les représentants élus de nos concitoyens. C’est souvent le jeu de dire « ils peuvent bien fabriquer leurs lois, on ne les appliquera pas ». Le corps social ne tolèrera pas ça très très très longtemps.

En plus de votre proposition de loi, on a entendu Wauquiez fustiger les centres d’appels à l’offshore, on a vu le cours en bourse des entreprises du secteur aux Etats-Unis plonger suite à l’adoption de la do-not-call list… avez-vous le sentiment qu’une partie de la profession va se saisir de cela pour demander de reporter l’adoption de cette loi, au nom de l’emploi ?
Le cours de bourse n’est pas totalement lié à la création d’emplois, il est même souvent la conséquence de décisions de supprimer les emplois. Mon but n’est pas de supprimer les centres d’appels, c’est de trouver une solution qui permette de faire en sorte que les centres d’appels existent avec une déontologie et qu’on ne considère pas le citoyen comme une vache à lait, qui engueulera le pauvre opérateur payé au SMIC ou moins qu’au SMIC. Il faut savoir si parce qu’ils détiennent du pouvoir économique et financier ils peuvent tout se permettre, ou si dans l’intérêt du développement de leur profession ils peuvent se soumettre à une déontologie.

Une convention va être signée par le président du Conseil Général du Cantal pour le développement des centres d’appels en homeshoring dans votre département, pensez-vous qu’il s’agit d’une piste d’avenir pour que les centres d’appels travaillent d’une façon différente ?
Je lis la presse, je n’ai aucun commentaire à faire sur ce que peut faire le président du Conseil Général. Le sénateur n’est pas là pour prendre des décisions concernant telle portion du territoire mais pour légiférer au niveau national.

Avez-vous bon espoir que le texte recueille un avis positif de l’Assemblée et qu’on arrive à une loi, et surtout à un décret d’application ?
Ces derniers mois, un certain nombre de parlementaires de sensibilités diverses ont interpellé y compris par des propositions de loi l’Etat pour faire en sorte que les dispositions législatives soient suivies d’application. Et puis à titre personnel, je n’ai pas l’habitude de laisser les choses en chemin. Et je suis libre, ce qui est un avantage.

Est-ce que vous sentez de la part des acteurs de la profession une volonté de travailler de façon constructive ?
Je pense que comme partout, il y a dans cette profession des gens qui font très bien leur travail, qui sont conscients du fait que l’intérêt de la profession est d’avancer dans le sens d’une déontologie de ce type de démarchage téléphonique, et des gens qui font n’importe quoi, n’importe comment, dans n’importe quelle boutique.

Depuis combien de temps pensiez-vous à ce texte avec le sénateur Collin ?
Yvon Collin est le président du groupe et donc signe toutes les propositions du groupe. Le parlementaire a naturellement un rôle d’initiative. Je ne cherche pas à être connu. Je ne siège pas ni à droite, ni à gauche : je suis au centre gauche. Nous avons une tradition de mesure, mon but n’est pas de faire un coup de pub pour péter le démarchage téléphonique, mon but est de faire entendre à un certain nombre de responsables économiques que la liberté totale engendre un excès total. Toutes les remontées que j’ai des usages, y compris au fin fond du Cantal, c’est que ce n’est pas trop tôt, car les gens en ont ras-le-bol.

Qui avez-vous consulté pendant la préparation de ce texte ?
On a reçu des représentants des associations professionnels et des associations de consommateurs, même si la loi ne provient pas de l’union de consommateurs.

Le texte a été voté à l’unanimité, les présents étaient-ils nombreux ?
Ni plus ni moins que d’habitude, ce qui compte, c’est l’expression des groupes politiques, ils étaient tous favorables à ce texte.

Pensez-vous que l’Assemblée va aller au bout de ce texte et le reprendra ?
Je ferai tout le maximum, je ferai ce que j’ai à faire pour qu’il ressorte à l’Assemblée. Même si le gouvernement, qui s’en est rapporté à « la sagesse du Sénat », ce qui veut dire « si vous voulez le faire, faites le », même si le gouvernement bloquait, cela ressortira, soit par moi, soit avec d’autres. Mais de toutes façons quand il y a un problème, on ne le résout pas en mettant le couvercle dessus. Il y a un an et demi, j’avais déposé une proposition de loi sur le problème de la garde à vue, cela n’a pas été voté, mais au final, que s’est-il passé ? Il y avait un problème, une réalité de terrain.

Cette proposition de loi peut-elle devenir clivante à l’Assemblée alors qu’elle ne l’était pas au Sénat ?
Ca peut le devenir, mais je ne vois pas de raison.

Propos recueillis en 2011 par Manuel Jacquinet

 

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