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« Des questions sans réponse sur la méthodologie qui génèrent frustrations et malaise »

Publié le 16 avril 2019 à 14:56 par Magazine En-Contact
« Des questions sans réponse sur la méthodologie qui génèrent frustrations et malaise »

Archive : En-Contact, janvier 2016

Gaëlle Bonnefond – © Edouard Jacquinet

Secrétaire générale du SP2C, le syndicat réunissant les plus grands outsourceurs de centres de contact, et ex- responsable des ressources humaines de l’un d’entre eux – b2s – Gaëlle Bonnefond jouit d’une expérience de première main des questions soulevées par l’ouvrage de Duarte Rolo. Elle qui a également commis plusieurs études et actions visant à décrypter et améliorer les parcours et conditions de travail dans le métier livre sa critique.

Mentir au travail…

Après 15 années dans le secteur de la relation client et plus particulièrement en gestion des Ressources Humaines de centres de contacts, je découvre ce livre Mentir au travail : une nouvelle facette du secteur que je pensais pourtant bien connaître ! Alors que la profession s’inscrit dans des dynamiques vertueuses (RSE, Qualité, LRS), le couperet tombe : les centres de contact sont des usines à mensonges et donc à souffrance qui amènent leurs salariés vers la dépression et parfois le suicide.
Le livre de Duarte Rolo, basé sur sa rencontre avec des salarié(e)s d’un centre d’appels, précise que le mensonge « prescrit » est le résultat d’une combinaison de techniques de gestion et d’organisation (méthode d’évaluation, contrôle de la qualité, méthode de certification).
Sans le mensonge les salariés n’atteignent pas les primes salariales, n’ont pas d’avancement, voire perdent leur travail lorsqu’ils sont… matérialisés par des contrats précaires.
Et les dynamiques vertueuses développées par la profession ne seraient finalement que de simples actions marketing qui ne visent ni l’amélioration de la vie en centre de contacts, ni la professionnalisation du secteur et de ses acteurs, ni l’excellence de la relation client !
La méthodologie appliquée à cette étude n’est pas très claire. Un unique centre de contacts semble avoir été approché. Pas d’échanges avec les managers de proximité. Pas de données chiffrées. Un contexte d’étude particulier qui fait suite à la sollicitation d’une déléguée syndicale inquiète après un suicide.
Participant(e)s : qui a participé ? Combien ? Quels sont les critères d’inclusion des participant(e)s ? Comment ont-ils été recrutés ? Quelles sont les caractéristiques démographiques principales des sujets ? Autant de questions qui génèrent frustrations et malaise.
Ce sujet est important et ses conséquences potentiellement graves. Sur quoi l’auteur se base-t-il pour dessiner une organisation, un mode de gestion aussi malveillant ?

Les procédures, politiques, certifications, portées par cette profession ont énormément évolué ces dernières années. Ces évolutions sont le fruit d’un travail collectif effectué avec les prescripteurs attachés à la satisfaction de leurs clients, les partenaires sociaux soucieux des conditions de travail des salariés et enfin les institutions défenderesses du métier et de la qualité de la relation client en France. Est-il sérieux d’imaginer qu’il ne s’agit que de marketing ?
Notre secteur est depuis longtemps sujet à des critiques qui régalent régulièrement certains médias. Nous entendons ou lisons « surveillance » ou encore « cadence », « flicage », « pression » et maintenant « mensonge ». Il est plus rare que ces mêmes médias et supports mettent en avant l’utilité sociétale avérée de la profession dans un système social et économique en crise.
Il est bien question de la réalité de nos métiers et l’utilité des entreprises du secteur non seulement pour ses 273 000 personnes salariées mais aussi pour les millions d’utilisateurs des services qui sont délivrés.
Il est urgent que l’ensemble des parties prenantes fasse en sorte que l’image de la profession évolue car en l’état, cette image contribue largement à la souffrance de certains salarié(e)s qui subissent la contradiction entre la réalité et le préjugé.
Gardons en mémoire la théorie de la prophétie autoréalisatrice : Effet Golem ou effet Pygmalion ?

Extrait : l’introduction dans son intégralité

Mentir au travail, de Duarte Rolo, chez Puf

« Qui n’a pas été confronté à l’attente interminable et semble-t-il inévitable, pour contacter le service client de son opérateur téléphonique, de son fournisseur d’électricité ou de son assureur ? Puis, après avoir enfin réussi à joindre un interlocuteur humain, s’être vu invité subrepticement à souscrire un nouveau contrat ou un abonnement censé être plus avantageux ? Ces pratiques, auxquelles chacun est aujourd’hui confronté, ne sont que la partie visible du profond bouleversement survenu dans les activités de service. Dans le domaine des centres d’appel téléphonique en particulier, l’introduction de méthodes d’évaluation du travail basées sur la mesure quantitative, de procédures d’assurance qualité et d’objectifs commerciaux a fortement bouleversé l’activité d’individus qui, auparavant, s’efforçaient de satisfaire les demandes réelles des clients. Ces changements ont généré des prescriptions tout à fait inédites, comme par exemple devoir duper les clients. Omettre des informations au client pour faciliter les ventes, souscrire des options payantes dans les dossiers informatiques à son insu, forcer le placement de produits ou de services dont on sait à l’avance qu’ils n’auront aucune utilité pour le client en question. De nombreux téléopérateurs désapprouvent ces façons de faire. Beaucoup en souffrent. Comment font-ils alors pour tenir au quotidien ? Quelles stratégies développent-ils pour ne pas tomber définitivement malades ? Quelles sont les conséquences éthiques, sociales et politiques, des nouvelles contraintes de travail qu’ils doivent affronter ?

Cet ouvrage est le fruit d’une recherche clinique sur le mensonge prescrit au travail dans les centres d’appels téléphoniques. Il s’agit d’une étude de cas approfondie de l’impact psychique de contraintes organisationnelles qui font du mensonge au travail une pratique nécessaire, et par là même banale.
La souffrance dont font état de nombreux salariés est intimement liée à l’évolution du monde du travail, et tout particulièrement des méthodes de gestion et d’organisation du travail. Ces dernières ont contribué de façon significative à la dégradation du vivre-ensemble, et ce malgré la préoccupation affichée par de nombreux décideurs pour le « bien-être » et la « qualité de vie » de leurs collaborateurs. Ces intentions de façade sonnent aujourd’hui comme un discours lénifiant pour de nombreux salariés, confrontés à un quotidien de plus en plus adverse.
Pourtant, au moment où la crise économique assole les pays européens, où le chômage bat des records, où la précarité se répand à foison, où des licenciements méritent désormais le nom de « plans de sauvegarde de l’emploi », où les salariés à travers le monde font les frais de conditions de travail dégradées au possible, en ce moment précis, les mouvements sociaux de révolte et de protestation peinent à se doter des moyens permettant d’envisager un renversement durable de l’ordre social dominant. En effet, le mécontentement et le malheur ne suffisent pas encore à produire une révolte à large échelle. Mais il se pourrait que l’apathie ambiante ne soit pas uniquement maintenue par la cupidité d’une poignée de leaders mondiaux ni par le poids écrasant des structures macroéconomiques du capitalisme avancé. Il se pourrait que chacun d’entre nous ait à la fois une part de responsabilité et une carte à jouer dans le marasme contemporain. Last but not least, il se pourrait que la sortie de cette crise passe par le travail. C’est en tout cas ce que défend, arguments à l’appui, la psychodynamique du travail, discipline sur laquelle je m’appuie. Pour cela, il nous faut partir de la parole des travailleurs et de leur expérience subjective, de leur activité quotidienne. Là se niche un potentiel subversif considérable, que l’on aurait tort de sous-estimer à une époque où les voies traditionnelles du mouvement social peinent à se frayer un chemin vers le changement. Pour le reste, j’ose espérer que les propositions formulées ici contribueront à faire progresser les interrogations soulevées par des générations successives d’individus soucieux d’améliorer le sort des hommes au travail. »

Gaëlle Bonnefond est depuis cet article devenue DRH de Comdata France.


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