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« Pro relocare in Gallia »

Publié le 18 juin 2013 à 07:48 par Magazine En-Contact
« Pro relocare in Gallia »

Billet de l’Ecole oratoire de Bercy

Comment M. Montebourg a fait sienne la célèbre théorie des trois objectifs de Cicéron : « prouver la vérité de ce que l’on affirme, se concilier la bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions utiles à la cause ». Ou avec plus de concision :
« instruire, plaire, émouvoir ».

9h32. La queue sur le forum
Je saute du RER et cours me faufiler dans la queue du public encore somnolent de ma première conférence de presse. Même pas en retard dis donc ! Après avoir passé avec succès les contrôles de sécurité et brandi vaillamment ma toute nouvelle carte de presse, je foule la tête haute les pavés de la cour du 139 rue de Bercy.

9h45. Le café dans l’agora
8 minutes pour trouver le bureau 4.A de la Sous-Direction de la Logistique au 7ème étage du siège de la Direction-des-personnels-et-de-l’adaptation-à-l’environnement-professionnel. Cette fois, ça y est, j’y suis ! J’abandonne rapidement mon gobelet de café lyophilisé avant de m’insérer discrètement dans l’agora des temps modernes : 50 paires de costumes-blackberry, impatients comme moi d’entendre les mesures exclusives et innovantes de « relocalisation productive » que M. Montebourg a gracieusement accepté de nous présenter ce matin.

9h50. L’exorde
En brillant avocat, notre Cicéron du Redressement Productif inaugure son discours oratoire en explicitant pour son auditoire « le phénomène du choix de la France ». Il reprend synthétiquement les arguments qu’il a notés lors de l’ inventio avec son jeune disciple (comprenez la recherche d’arguments avec son directeur de cabinet fraîchement diplômé) sans omettre de filer la métaphore médicale qui fera le succès de son panégyrique du « made in France » : la relocalisation n’est pas seulement un slogan politique ; il s’agit d’une véritable politique publique à même de porter les espoirs des producteurs, d’unifier la société autour des patriotismes locaux et de faire se rapprocher « les deux lobes du cerveau du consommateur : celui du pouvoir d’achat et celui du citoyen ».

Placere¹ ? Done.

10H20. La narration
Appuyez-vous sur des références. Pour alimenter la seconde partie du discours, l’orateur se retire pour laisser place à quatre de ses épigones. Jean-Paul Agon (L’Oréal), Robert Brunck (CGG Veritas), Clara Gaymard (GE France) et Jean-François Dehecq (Conseil National de l’Industrie) plaident tour à tour en faveur de cette reshoring initiative à la française, à coup d’anecdotes savamment choisies et d’exemples minutieusement étayés.

Utilisez les images. Place ensuite aux graphiques, courbes et autres supports visuels pour donner un peu de crédibilité quantitative à ces beaux slogans. Deux éminents chercheurs nous présentent alors les résultats de leur étude sur « les potentiels de relocalisation des territoires français ». Panel statistique représentatif (30 entreprises tout de même !), analyses en composantes principales et typologies des processus décisionnels sont les armes techniques que le rhéteur laisse aux scientifiques le soin d’agiter.

Répétez les messages importants. Afin de s’assurer que le message est bien passé, notre éloquent ministre laisse enfin la parole à une deuxième fournée de disciples soigneusement choisis pour nourrir le désormais célèbre esprit de la marinière. Meccano nous suggère en effet de « jouer français » avec nos enfants, Kindy nous rappelle que « les chaussettes ne se cachent plus » depuis sa réindustrialisation par croissance externe en Picardie et Rossignol nous informe qu’avec ses 20 nouveaux employés, il a accru d’un tiers la production dans ses usines de Sallanches. Un jeu de construction pour le cousin, des chaussettes pour Mamie et des skis pour mon chéri : grâce à ces hussards du « fabriqué en France », je repars en plus avec une liste déjà prête pour Noël !

Docere² ? Done.

11H50. L’envoi
Ornez votre discours. Ce n’est pas tout d’instruire, il faut aussi séduire. Maintenant que l’on a bien saisi la teneur des enjeux et les moyens pour mettre en œuvre cette politique de relocalisation – en bref : le logiciel Colbert 2.0 permettant aux producteurs d’auto-diagnostiquer leur appareil productif, un fonds de revitalisation, 160 millions d’euros d’aides à la réindustralisation, la bonne volonté de la BPI et 22 interlocuteurs uniques en régions -, M. Montebourg entend bien épater un peu la galerie. Et choisit pour ce faire une potion magique infaillible : la citation. Je révise donc mes classiques avec Romain Gary, Michel Houellebecq, Paul Krugman et Joseph Stiglitz, avant de me laisser définitivement convaincre par quelques envolées lyriques, incisives et… limpides. J’apprends notamment que les acteurs de la distribution sont « des épiciers des temps modernes qui doivent se lancer dans le marketing patriotique ». Surtout, je suis rassurée d’entendre que le « colbertisme participatif» que M. Montebourg appelle de ses vœux est un « mélange entre Colbert et Obama » qui va porter ses fruits.

Movere³ ? Done.

12H05. La réfutation
Surprenez votre public. Avant de nous annoncer un buffet (qui n’arrivera pas jusqu’à moi), M. Montebourg accepte courtoisement de répondre aux questions des quelques journalistes qui auront bien voulu se présenter, et – surtout – poser des questions pas trop difficiles. Le chiffrage des ambitions ? Hors de propos. L’horizon temporel pour les réaliser alors ? Celui du quinquennat. Un second « Small Business Act » à envisager ? Pas de réponse.

12h20. Après 3h30 de conférence, la journaliste néophyte a bien compris la leçon du ministre : la rhétorique n’est plus enseignée mais n’a rien perdu de sa puissance sur les bancs du gouvernement. Ouf !

Joséphine Jacquinet

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