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Opération expérience client dans les cinémas parisiens

Publié le 19 décembre 2022 à 13:32 par Magazine En-Contact
Opération expérience client dans les cinémas parisiens

Loisir préféré des français, le cinéma et les salles n’échappent pas à l’obligation de repenser l’expérience spectateur. Tandis que sur la Croisette, on s’écharpe au sujet de Netflix, de la chronologie des sorties en salles, les Cahiers de l'Expérience Client (anciennement The Seamless Experience Fanzine) est allé rencontrer ceux et celles qui ne comptent pas que sur les pop-corn pour attirer des spectateurs.

 (Article paru dans le magazine En-Contact N°89, décembre 2016)

 

Dans la capitale mondiale des cinémas, certaines salles ferment, d’autres ouvrent… Une constante : de plus en plus de salles et réseaux travaillent sur le développement d’une expérience client différenciante. C’est un record dont Paris peut être fière : avec 430 écrans, soit un pour 6 000 habitants, la capitale est la ville offrant la plus grosse densité de salles de cinéma au monde. Et alors qu’on pourrait craindre, si ce n’est une ubérisation, du moins une « netflixisation » du secteur, avec une concurrence croissante des modèles de paiement au visionnage à domicile, ce nombre d’écrans continue de progresser – il était de 369 en 2000. Mais dans le détail, le marché est en pleine évolution, avec quantité d’ouvertures, mais aussi de fermetures de cinémas. Les deux tendances lourdes : une diminution globale du nombre d’indépendants, et plusieurs innovations en matière d’expérience client, spectateurs.

 

Le Louxor rit, la Pagode pleure

Les cinémas « vintage » proposant un cadre exceptionnel, dans des quartiers peu dotés en salles, connaissent des fortunes diverses. A peine deux ans après la réouverture du Louxor, un cinéma au style architectural néo-égyptien inauguré en 1921 et fermé en 1983, la Pagode, construite dans un style japonisant et inaugurée dix ans plus tard en 1931, met la clef sous la porte, le 10 novembre 2015. Ironie de l’histoire, la Pagode avait rouvert en 2000 après des années de travaux en projetant un film de Wong Kar-Wai (In the Mood for Love), tout comme le Louxor en 2013 (The Grand Master). La différence entre ces deux aventures ? Le propriétaire du Louxor n’est autre que la Mairie de Paris, qui a investi massivement dans sa rénovation – à la Pagode, l’exploitant un indépendant, Etoile Cinémas, qui n’a pas réussi à renouveler son bail avec la propriétaire, une particulière. Etoile Cinémas et Haut et Court, l’exploitant du Louxor, sont aujourd’hui opposés pour reprendre un autre bâtiment parisien remarquable, l’ancienne centrale électrique de l’avenue Parmentier, et en faire un beau cinéma. Mais ils ne sont pas seuls : Xavier Niel soutient un projet alternatif qui réunirait salles, forum modulaire et restaurant, et le groupe Esprit de France, associé à l’acteur Christophe Lambert, un projet d’« hôtel-cinéma ». S’ils venaient à ne pas être retenus, Etoile Cinémas pourrait toujours se consoler avec le succès d’un autre de leurs cinémas – bien loin de l’image du cinéma de quartier, deux de ses actionnaires sont propriétaires, au sein du réseau, de l’Etoile Lilas , un multiplexe ultramoderne qui a ouvert ses portes en 2013 porte des Lilas à Paris.

Novembre 2017.

 

Les Fauvettes : le fantasme du cinéma de quartier revu et corrigé… par une grande chaîne

Les innovations ne sont pas le seul apanage des multiplexes. Toujours en novembre 2015, un cinéma a (r)ouvert, cette fois dans un quartier déjà assez pourvu en salles. Le Gaumont-Gobelins, après une cure de rajeunissement, est devenu « Les Fauvettes ». Les Fauvettes, c’est un cinéma au décor très travaillé (design intérieur avec beaucoup de bois et d’espaces ouverts, un peu à la Starck), lumineux (ce qui ne colle pas à l’image des salles obscures), fonctionnel (une batterie de bornes d’achat de places automatiques est disposée à l’entrée, loin devant la caisse de la confiserie où figure enfin un vendeur humain, qui fait aussi la billetterie pour les technophobes). Le spectateur peut choisir sa place dans la salle au moment de l’achat du billet – des sièges duo, pour les couples, sont également disponibles. Lors de notre test, nous avions l’embarras du choix puisqu’un lundi soir, pour Fallen Angels (encore un film de Wong Kar-Wai…) nous étions deux spectateurs. Les plus cinéphiles de nos lecteurs auront été surpris par ce titre : oui, Fallen Angels est sorti en 1995. Mais c’est bien là la particularité des Fauvettes, qui se différencie par son offre : comme le bon vieux cinéma de quartier, les Fauvettes diffusent exclusivement des films (pas trop) anciens, souvent dans le cadre de rétrospectives thématiques, mais remastérisés (et parfois même, « convertis » en 3-D, comme Top Gun). Un pari résumé par le slogan du cinéma « versions restaurées, émotions intactes », et par le documentaire diffusé avant chaque film, en lieu et place des publicités, sur la restauration des films anciens. Au final, le concept est intéressant, mais l’expérience client n’a rien de fondamentalement extraordinaire (on aimerait même que le son soit plus fort dans les salles, et les écrans plus grands). Dommage que le personnel soit en nombre si réduit, parce qu’ils ont vraiment un esprit orienté client.
Dommage aussi que le tarif soit si élevé : 12 euros la place de cinéma sans réduction, pour un film en « 2-D », ça commence à être cher. Sans vouloir être mauvaise langue, Pathé pourrait changer de nom pour s’appeler « foie gras ».

Nathalie Vrignaud, directrice Gaumont Les Fauvettes – © Edouard Jacquinet

Course au gigantisme : le Grand Rex innove dans le waiting marketing, MK2 loue le Grand Palais

Mais dans ce cas-là, on pourrait très bien renommer le Grand Rex « caviar ». Dernier vestige des grands « palaces » du cinéma d’avant-guerre, ce qui est désormais le plus grand cinéma d’Europe 2 750 sièges sur trois niveaux dans la grande salle, qui nécessitent 80 ouvreurs lors des grandes premières ! – continue d’innover en termes d’expérience client pour survivre. Parfois avec des « produits » au charme très rétro, avec pour un peu moins de 100 euros… un véritable orchestre qui joue la musique du film dans la salle, comme aux temps du muet ! Mais outre ses avant-premières, qui continuent d’attirer les stars, sa programmation hors-cinéma, sa discothèque, l’installation d’un très très grand écran pour les grandes occasions (24m90 de base et 11m35 de haut !), le Grand Rex a surtout innové avec son offre « VIP ». Pour des films comme le dernier James Bond, 20 spectateurs ont droit aux meilleures places, une file d’attente dédiée, une coupe de champagne Bollinger et des macarons Pierre Hermé… pour 50 euros – par personne. Pour l’avant-première de Spectre, ces places VIP se revendaient à plus de 100 euros sur eBay… En somme, le Grand Rex, c’est au quotidien ou presque, l’expérience qui a été proposée par MK2 Agency, au Grand Palais, qui avait réuni pendant quelques jours au début de l’été 2015 deux salles de cinéma, avec écrans géants, trois pistes de bowling, une boîte de nuit et un restaurant ; le ticket pour les seules séances de cinéma coûtait alors 34 euros sans réduction.

 

Aux Etats-Unis, la technologie – et les burgers – au secours des salles

Contrairement à la France où la fréquentation des cinémas est, bon an mal an, plutôt en progression (+3,8% entre octobre 2014 et octobre 2015 selon les chiffres du CNC), aux Etats-Unis, « l’autre » pays du cinéma, les salles obscures sont de plus en plus désertées. En 2014, seuls 1,24 milliard de tickets y ont été vendus… des chiffres au plus bas depuis 1995. Si les efforts pour enrayer cette chute misent sur l’expérience client, le levier est avant tout la technologie. Tournés dans toute une série de formats, les derniers blockbusters permettent des projections en numérique, à l’ancienne, en Imax, en 3D… Les salles elles-mêmes sont de plus en plus équipées. Au Cinérama, à Los Angeles, les projections Imax se suivent sur des sièges à « retour de force », qui décollent littéralement du sol pour accompagner l’action. Au Howard Hugues Center, le procédé « Escape » plonge le spectateur au milieu de trois écrans, en face et sur les côtés, qui l’enveloppent de trois séries d’images. Une révolution ? Juste une évolution du procédé de Polyvision développé pour la première fois par le cinéaste français Abel Gance en… 1927 – à l’époque du muet. Si la technologie ne suffit pas, il faut donc en faire plus en matière de pop-corn, eskimos et autres dégustations habituelles en salles. Certains multiplexes proposent ainsi tout un service de restauration jusqu’au fauteuil du spectateur. Les fauteuils ressemblant plus à des gros canapés de classe affaires dans les compagnies aériennes, le spectateur est censé se sentir comme chez lui, avec juste un beaucoup plus grand écran. Et des serveurs qui lui gâchent le film en passant devant lui en permanence pour aller servir ses voisins…
En définitive, c’est peut-être le réalisateur Quentin Tarantino qui propose la meilleure expérience : celle, toute simple, d’un vrai cinéma de quartier qui ne passe jamais plus de deux vieux films à la fois, qu’on ne peut voire nulle part ailleurs. Avec son New Beverly, celui qui a grandi dans un vidéo-club rend aux salles obscures ce qui leur revient…

Lire ici l'épisode 2 de cette chronique: l'expérience en salles de cinémas, faits marquants de l'année 2023. 

Par la rédaction d’En-Contact

 

Photo de une : Les Fauvettes, Pathé Cinémas. Crédit Edouard Jacquinet. Nathalie Vrignaud, désormais chez UGC, a dirigé ce cinéma.

 

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Les Cahiers de l'Expérience Client numéro 6 - décembre 2022

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