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Olivier Njamfa : que devient l’homme… qui a réponse à tout ?

Publié le 10 février 2017 à 10:59 par Magazine En-Contact
Olivier Njamfa : que devient l’homme… qui a réponse à tout ?
Olivier Njamfa en couverture du Forbes Afrique, janvier 2013

Depuis plus de 15 ans, cet homme s’occupe d’engager des conversations, d’aider ses clients à le faire. Sur différents continents, en s’attachant à celles qui ont du sens. Ce mois-ci, on lui a demandé son avis et ça a été une meaningful conversation.

EC : Les français, les américains, les britanniques ont été interrogés récemment sur des questions d’ordre politique. Mais leurs réponses ne semblent pas correspondre à ce qui était prévu… qu’est-ce que cela vous inspire ?
Olivier Njamfa : L’urgence de comprendre les populations ! Sonder l’opinion publique ne signifie pas la connaître. C’est là une limite évidente des sondages et tendances « statistiques ». D’une part, les questions posées par le sondeur peuvent orienter les réponses. Et d’autre part, la « représentation » obtenue dans le panel n’est pas toujours le reflet la population qui se déplacera le jour du vote. Opinion « réelle » ? Non ! Projections à prendre avec des pincettes…
Comprendre l’état d’esprit et la psychologie des populations, connaître leur opinion qui s’exprimera finalement dans les urnes, c’est une autre démarche. Je suis né au Cameroun, élevé par une mère américaine. J’ai fait mes études en France et j’y ai fondé Eptica en 2001. Je vis depuis plus de 10 ans au Royaume-Uni où Eptica génère plus de 30 % de ses revenus. Mes trois pays d’adoption sont ceux qui ont rappelé assez violemment en 2016 ce décalage entre les sondages et ce que pensent véritablement les citoyens. Cela me concerne au premier plan.
L’écoute et la compréhension, voilà les postures que ces événements politiques récents devraient inspirer à nos gouvernants ! Dans ma famille étendue, chacun vit sa réalité locale. L’élection de Trump, je l’ai vue venir et annoncé ici en Europe. Il ne faut pas écouter que ses amis Facebook qui pensent comme vous. Il reste à inventer un réseau social à opinions contraires avec bien sûr quelques règles : écoute, courtoisie et respect !

Les marques, les institutions ont-elles du mal à engager le dialogue, à entendre ou à engager les actions qui sont espérées par leurs clients, usagers ?
Engager des « opportunités » de dialogue, les marques sont mûres sur ce point. L’édition 2016 de notre étude sur l’omni-canalité des marques françaises confirme la progression du nombre de canaux mis à disposition des consommateurs sur les sites web (5,6 outils en moyenne, contre 4,25 en 2014). L’intérêt de multiplier les points de contacts ne fait plus débat pour être en phase avec les usages des consommateurs.
En revanche, comprendre leur psychologie sur chaque point de contact et engager une véritable conversation qui facilite leur quotidien, être à la hauteur des attentes en termes d’expérience (personnalisation, contextualisation, empathie, fluidité et cohérence), c’est une autre question. Ma réponse est inévitablement plus mitigée. Peu de technologies peuvent aujourd’hui accompagner les marques sur ce chemin de l’expérience authentique. Cela requiert une expertise en traitement automatique du langage, un moteur d’intelligence sémantique propriétaire et façonné pour répondre spécifiquement aux problématiques du service apporté aux clients. Sans quoi les marques ne sont pas armées pour comprendre le consommateur, et c’est un irritant.

Partout on entend que la voix serait en déclin, et les écrits remplacés par les notifications, le messaging. Grâce à vos expériences dans des univers distincts, ceci correspond-il à ce que vous observez ?
Quels que soient les secteurs, on observe une demande très forte de « real time » : recherche de facilité et de fluidité pour toutes les demandes simples. Le développement rapide des messageries instantanées telles que Facebook Messenger (900 millions d’utilisateurs), WeChat (800 millions en Chine) ou encore Kik (275 millions aux Etats-Unis), offrent un nouveau canal au détriment de la téléphonie notamment, qui n’est plus adaptée aux usages des jeunes générations.
Je ne condamnerais pas la voix pour autant et je pense que notre avenir, bien au contraire, c’est le « web ambiant », ou ce que l’on nomme plus communément l’Internet des Objets. Un monde où nous parlerons aux machines qui nous entourent pour gérer toutes les questions de la vie quotidienne. Les enceintes connectées à interface vocale d’Amazon et Google n’étant pas encore commercialisées en France, nous avons encore du mal à nous projeter dans ce quotidien où les marques seront disponibles pour converser simplement en les invoquant de vive voix. Pour moi, il n’est pas question de substitution, mais de complément entre des interfaces classiques (ordinateurs, TV…), tactiles (smartphones) et vocales (enceintes ou montres connectées) !

Amazon teste le magasin sans caisse (Amazon Go), Hermès teste une application qui permet de ne plus attendre trop longtemps au rayon maroquinerie, le click and collect se développe massivement, qu’identifiez-vous, dans les millions de mails traités par Eptica les messages analysés, comme attentes principales des usagers, clients ?
Les clients veulent que l’on se mette à leur place. Les marques ne peuvent pas continuer à converser sans prendre en compte l’état d’esprit du consommateur tel qu’il a pu s’exprimer lors de la dernière conversation. Ce que les consommateurs attendent c’est que ces conversations se rapprochent le plus possible des conversations de la vie privée. Si vous vous disputez avec votre petite amie le matin au petit déjeuner, vous préparez pour le dîner un scénario de rapprochement pour reprendre la conversation là où elle était. Vous ne pouvez pas avoir tout oublié. Si je suis fâchée contre une marque, je veux qu’elle s’en souvienne et qu’elle me propose une réconciliation. Si, lorsque je reprends la conversation avec elle, elle fait comme si de rien n’était, alors je la quitte pour de bon !

Vous avez vous-même attendu, pivoté, comme on dit désormais pour permettre à l’éditeur que vous avez co-fondé d’atteindre la taille actuelle, est-ce difficile de développer une entreprise de logiciels en France, qu’avez-vous appris de cette expérience ?
Nous étions plus de 100 « Epticiens » à fêter nos 15 ans en juillet dernier. Lorsque nous avons démarré l’aventure en 2001 en expliquant aux marques que l’email était un nouveau canal de relation client, nous prêchions dans le désert ! Nous avons attendu trois ans pour que cela devienne un usage. Dès 2005, Eptica a complété son offre en croissance organique avec le self-service, puis le social et le chat, convaincu de l’importance du multi-canal totalement intégré pour les marques. Mais rien à faire, l’email nous colle encore à la peau, comme si Eptica c’était toujours uniquement la gestion des emails. Avec l’achat d’un moteur de traitement automatique du langage naturel en 2012, là quand même via cette opération, nous avons gagné la reconnaissance de notre expertise en matière d’intelligence artificielle, une grande force pour nous aujourd’hui.
Donc avoir une vision et faire preuve de ténacité pour la porter, c’est bien ce que m’a appris le métier d’éditeur et c’est ce qui me guide encore. La France est un formidable pays pour démarrer une entreprise. Le système de financement des startups est maintenant bien structuré avec des fonds d’amorçage, de capital risque, capital développement. Isai, KIMA Ventures et d’autres fonds d’entrepreneurs  ont fait souffler un vent nouveau, c’est tant mieux. Et la BPI fait un super boulot. Mais les éditeurs doivent assez vite se confronter aux réalités de l’international pour ne pas s’enfermer, et là, c’est plus compliqué.
Je pense qu’il y a une chape de plomb sur le financement de la croissance qui nous coupe les ailes en phase de « build up » au regard de ce que l’on peut observer aux Etats-Unis, le pays des licornes. J’ai présidé pendant 10 ans la Commission « Investisseurs » de Tech in France et milité pour l’accès à des fonds plus significatifs. On peut regretter que si peu d’éditeurs français prennent le risque de partir à l’étranger, se limitant à un marché français qui ne représente que 10% du marché US ! Avec pour moi la ténacité, je fais le pari que l’on peut s’affranchir de ces contraintes et conquérir le monde !

Vous souvenez-vous des Meaningful Conversations qui ont marqué votre vie ?
C’est notre vision de l’expérience client digitale ! Chez Eptica on se lève le matin pour donner du sens aux conversations entre les marques et les individus car cela change notre quotidien à tous. Personnellement, oui, j’ai quelques souvenirs émus de « meaningful conversations ». Par exemple, celle initiée il y a 18 ans avec avec Roger Haddad, l’actuel président du Conseil de Surveillance d’Eptica Je l’ai rencontré pour une querelle de voisinage car ses plantes sur son balcon me causaient un dégât des eaux ! Je suis monté chez lui, plutôt furieux, pour me plaindre. La conversation a immédiatement pris un tour différent, on a parlé « technologie » pendant 2 heures car il en avait fait sa passion lui aussi. On a fini par décider de lancer Eptica. ll est depuis mon mentor, et la conversation est loin d’être achevée !

Les chatbots, les robots devraient, si l’on en croit les white papers, nous accompagner de plus en plus, voire nous remplacer, qu’en pensez-vous ?
Deux logiques cohabitent dans les parcours clients digitaux. Une logique real time fondée sur la recherche de simplicité et de facilité rendue possible par le self-service ou encore les chatbots. Et de l’autre côté, une logique plus qualitative (recherche d’émotion, de conseil et de réassurance) où le rôle de l’humain est important. On ne peut donc pas opposer robots et humains. C’est, pour les marques, un couple gagnant. La technologie « augmente » l’humain pour rendre service au client au moment où il en a besoin via des outils d’aide à la décision, en apportant du sens et de la valeur grâce notamment aux capacités de compréhension du langage naturel.
En revanche, je vois un risque à survendre les capacités des chatbots et cela va engendrer des déceptions et frustrations auprès des consommateurs. Après le buzz des deniers mois, on devrait laisser la place aux questions essentielles comme la base de connaissance centralisée et intégrée à tous les canaux sans laquelle ces agents conversationnels sont vite limités dans les conversations !

Si vous aviez dû sélectionner une entreprise, un entrepreneur à mentionner dans le dossier du mois ?
Je suis co-fondateur et membre du fonds d’amorçage Seed4Soft. Alors je pense tout de suite à ContentSquare, dans lequel nous avons investi, qui édite un logiciel en SaaS pour analyser, tester et personnaliser les parcours clients. 150% de croissance annuelle et une levée de 20 millions de dollars en novembre dernier pour s’internationaliser et poursuivre sa croissance.
Une pépite française à suivre de près !

Les appels auprès de la préfecture de police seront bientôt surtaxés, sauf ceux émis sur le numéro d’urgence, et la mise en place de cette plate-forme a été confiée à Prosodie-Cap Gemini. Une évolution normale de la société, une recherche d’évitements des appels polluants ?
C’est surprenant de devoir payer pour une conversation avec un service de l’État. Cela reflète la situation de nos finances publiques… Taxer les appels c’est aussi amener les usagers à utiliser les canaux digitaux à faible coût comme le self-service ou l’email.  Au sein de la Préfecture de Police de Paris, c’est la solution emails d’Eptica qui sera déployée avec la possibilité de permettre à un maximum d’utilisateurs de collaborer aux conversations avec les usagers ; c’est déjà le cas pour le service public de la CNAM, Pôle Emploi, la CNIL ou le Ministère de l’Education Nationale.

Les incivilités se développent dans les services clients, encore plus dans le secteur de l’assurance et des banques, êtes-vous étonné ?
Naviguant comme je l’ai dit entre Londres et Paris, j’observe là une différence majeure de culture. Nous tolérons plus facilement les incivilités en France là où au Royaume-Uni, il est fréquent de voir des panneaux qui vous indiquent que l’agression verbale envers un agent est sanctionnée par une amende. Si vous mettez le même panneau en France c’est comme si vous priviez l’agresseur potentiel d’une liberté fondamentale ! En temps de crise, de doutes et de crispation dans la société, il ne faut pas s’étonner de voir les incivilités se développer dans les services clients. C’est regrettable mais il faut travailler sur le Vivre Ensemble.

Propos recueillis par Manuel Jacquinet


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