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Liquidations judiciaires en série dans les auto-écoles en France, que fait la police ?

Publié le 25 janvier 2017 à 16:31 par Magazine En-Contact
Liquidations judiciaires en série dans les auto-écoles en France, que fait la police ?

À Frontignan, à Maubeuge, à Brest, à Strasbourg, à Lyon, en moins d’un an, plus d’une quinzaine d’auto-écoles ou de groupements d’auto-école ont été placés en liquidation judiciaire en France. Tandis que des milliers d’élèves se retrouvent sans dossier et délestés de milliers d’euros, les autorités judiciaires et de contrôle, dûment saisies, sont injoignables et laissent courir des « escrocs » qui profitent du filon. Jean-Pierre Duclovel, dirigeant de l’auto-école Gavarni (Paris 16ème), dort tranquille, lui…

En mai 2016, on apprenait avec étonnement que pour obtenir son permis, en France, il suffit parfois d’être un footballeur célèbre, un people et d’avoir de l’argent liquide, et de connaître les auto-écoles « adaptées ».

En janvier 2017, Eléonore F., Gaspard de M., Pierre-Emmanuel L., Hortense J., tous clients de l’auto-école Gavarni découvrent avec étonnement eux aussi qu’on peut prévenir la police, la préfecture, la justice, déposer plainte à l’encontre d’un gérant d’auto-école escroc et que rien ne se passe pendant des mois, sinon que la mésaventure vous a permis d’exploser votre forfait mobile. Comme eux, des milliers d’autres clients ont vécu la même mésaventure : acompte payé avoisinant les mille euros souvent, correspondant à des leçons de conduite et à des frais d’inscription, puis des portes closes, et plus grave, aucune écoute auprès des préfectures, des autorités de police ou des procureurs, pourtant saisis à la suite de nombreuses plaintes. Dans de nombreux cas, pourtant, les dépôts de bilan de certaines auto-écoles ont toutes les caractéristiques d’escroqueries organisées.

Un système bien rôdé
Impossible aujourd’hui dans de nombreuses régions en France de suivre des études supérieures, de chercher un travail, de le conserver, sans disposer de véhicule. Pour le candidat au permis, il faut donc s’inscrire dans une auto-école, déposer son dossier après l’avoir complété et versé dans de nombreux cas
une somme équivalent à une quinzaine d’heures de conduite et les frais d’inscription au code. Environ 1000€, parfois beaucoup plus, et parfois moins : internet regorge d’offres à prix cassés ou attractifs pour attirer le chaland, sur des sites d’achats groupés tels que Groupon. Le problème survient lorsqu’après avoir encaissé ces sommes, le dirigeant de l’auto-école ne répond plus, ne délivre pas les leçons payées d’avance. Dans les nombreux cas cités ci-dessus, les élèves ont tous vécu la même situation : auto-école fermée du jour au lendemain, standard téléphonique qui sonne sans réponse et excuses fallacieuses données par le gérant (manque de moniteurs, leçons décalées, etc). Et puis du jour au lendemain, fermeture de l’auto-école. Les candidats au
permis se retrouvent face à un mur du silence : liquidateurs des auto-écoles concernées injoignables ou inconnus, préfectures de police injoignables et qui bottent en touche, procureurs silencieux… L’argent, lui, a bien été encaissé. Le secteur pourtant s’avère très contrôlé, puisqu’il faut obtenir un agrément auprès de la préfecture pour ouvrir une auto-école. Tous les jeunes entrepreneurs qui ont voulu faciliter, démocratiser l’accès au permis de conduire notamment avec des offres digitales se sont heurtés à la résistance des lobbys du secteur et aux caractère très pointilleux des services qui agréent les auto-écoles au sein des préfectures. Benjamin Gaignault, co-fondateur d’Ornikar, a eu toutes les peines du monde à obtenir son agrément « on m’a demandé de prouver l’achat d’un véhicule à double commandes pour obtenir l’agrément ; mais pour passer la commande de ce type de véhicule, il faut avoir l’agrément… ». Kafka, quand tu nous tiens ! L’entreprise a failli mourir, bien que la qualité, la simplicité de son offre et de son service client soit désormais reconnu. Le jeune dirigeant enfonce le clou : « Diriger une auto-école, c’est justement proposer suffisamment de moniteurs et de véhicules pour pouvoir servir les étudiants ».

En plein Paris, l’auto-école Gavarni (Paris 16ème) : un cas d’école !
A quelques centaines de mètres du Trocadéro, Jean-Pierre Duclovel, le gérant de l’auto-école Gavarni est l’un de ces dirigeants qui se fichent bien, lui, du client : il a pris la poudre d’escampette après avoir pendant de nombreux mois encaissé les chèques des clients et délivré zéro leçon ! (Voir notre article du 07/10/2016 : Grosse carambouille à l’auto-école Gavarni). De juin 2016 à fin novembre 2016, sur la porte de son auto-école, close, les clients ont trouvé un message sibyllin : « En vacance, de retour en septembre » puis « L’auto-école est fermée temporairement ». Durant ces mêmes mois, de nombreux clients de l’auto-école ont pourtant alerté les autorités de police, déposé plainte, alerté la préfecture (voir document ci-contre) sans qu’aucune de ces autorités ne réagisse :

– Le bureau des permis de conduire, section des auto-écoles de la préfecture de police de Paris, s’est contenté d’une réponse type « Nos services ont adressé une procédure contradictoire à l’encontre du gérant de l’auto-école qui dispose d’un délai de trente jours pour se justifier sur la fermeture prolongée et non annoncée de l’auto-école. Signé C. Carouge, Adjointe chef de section auto-école. »
– La direction départementale de la protection des populations (Philippe Rodriguez, chef de service), également sollicitée, renvoie également un formulaire type.
– La police nationale, auprès de laquelle les dépôts de plaintes ont commencé fin septembre, pour escroquerie, a dû transmettre au procureur, mais aucune suite n’a été donnée à ce jour.

Cinq mois après que toutes les autorités de l’état ont été informées, saisies, avec un travail préalable d’enquête parfois réalisé par certains « des plaignants » et des preuves explicites de l’escroquerie (les contrats de formation signés par l’auto-école avec ses clients mentionnaient un faux numéro de police d’assurance souscrit auprès de la compagnie AXA), la morale de l’histoire sur cette épidémie d’auto-écoles en liquidation est la suivante :

Si tu veux passer ton permis…
– Cas n°1 – T’es un people ou une star de TV ? Prépare du cash et obtiens ton permis (Voir Des vedettes et des footballeurs impliqués dans un trafic de permis de conduire).
– Cas n°2 – T’es un bon petit gars ? Remplis les dossiers, paie, ne passe pas par la case départ (le moniteur d’auto-école, tu ne le verra jamais) et profite d’une autre formation accélérée : « Comment j’ai niqué mon forfait en appelant les serveurs vocaux de la préfecture pour les alerter ».
– Cas n°3 – T’es un apprenti escroc ? Monte une petite boutique avec un panneau auto-école, encaisse l’argent des clients, délivre quelques cours, achète-toi quelques faux bons avis sur Google et des sites de recommandation. Enclenche alors la vitesse supérieure, celle où tu encaisses à « donf », mais ne donnes plus aucun cours ! À toi les cocotiers ! (Compte sur les forces de l’ordre pour ne rien faire).

Eléonore F., Gaspard de M., Pierre-Emmanuel L., Hortense J., et des milliers de jeunes clients d’auto-école floués partout en France (ils sont plusieurs milliers), ont découvert à leurs dépens une nouvelle pièce de boulevard : « Joue-là comme Duclovel ». Coût du billet, 1000€ !

Manuel Jacquinet

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