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Limiter le turn-over et l’absentéisme : quelles solutions pour les centres d’appels ?

Publié le 24 janvier 2009 à 12:14 par Magazine En-Contact
Limiter le turn-over et l’absentéisme : quelles solutions  pour les centres d’appels ?

Il existe un turn-over positif dans toutes les entreprises et les centres d’appels ne font pas exception à cette règle. Il est même tout à fait normal et salutaire dans les centres d’appels puisque la population jeune des agents est souvent composée d’étudiants qui travaillent en complément de leurs études. Mais à ce turn-over difficilement chiffrable s’ajoute celui, plus incommodant, de la population pour laquelle centre d’appels ne rime pas forcément avec « petit boulot ». La population des téléopérateurs est donc volage, tout bon manager le sait et compose avec. En Europe, le turn-over est de 24% par an (Benchmark 2007, Dimension Data) mais il peut attendre plus de 50% à Paris tandis qu’il se situe à environ 8% en province. Derrière ce constat des causes et des malaises profonds ont été révélés par des études récentes. Si Le turn-over élevé et l’absentéisme sont des indicateurs classiques de la mauvaise santé d’un service, est-ce réellement le cas des centres d’appels ?

Etat des lieux dans les centres d’appels

Une enquête initiée par un groupe de médecins du travail lyonnais a conclu que « plus d’un tiers (36%) des salariés travaillant dans des centres d’appels téléphoniques présentent un niveau modéré à élevé de détresse psychologique ». Le dernier rapport de la chambre syndicale de la CFDT soulignait pour sa part que « 43,6 % des sondés trouvent que leur travail est fatiguant physiquement, 95,1 % nerveusement et 92,5 % stressant. 86,1% se sentent « vidés, lessivés après le travail ».

L’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) dresse, quant à elle, un portrait inquiétant de ce métier. Le travail de téléopérateur est un travail contraignant en raison de l’organisation et des conditions de travail. Les plaintes les plus souvent relevées portent sur la charge de travail, le manque d’autonomie et l’environnement bruyant auxquels vient s’ajouter le management inadapté (cf encadré les contraintes en centre d’appels). Cet ensemble de contraintes a des répercussions importantes physiques et morales qui ont pu être remarquées par les services de la médecine du travail : troubles oculaires, fatigue auditive et nerveuse, le sentiment de surcharge et un état de stress généralisé.
Cet état de stress intense semble être aujourd’hui une généralité quotidienne, pas une entreprise tertiaire qui ne subisse cette pression. Pour France Télécom par exemple, suite à un plan social important, un Observatoire du Stress a été créé pour surveiller et soutenir les employés soumis à de trop forte pression.
L’absentéisme et le turn-over sont directement liés à ce fléau, à tel point qu’ils constituent des indicateurs sociétaux de base pour évaluer les conditions de travail internes des entreprises.

Dans une de ses études, l’IFAS (Institut Français d’Action sur le Stress) met directement en cause les pratiques managériales des entreprises et essaye de montrer que le management par le stress prôné par certaines est une grave erreur. Le préjudice subi serait beaucoup plus important que le gain obtenu. « Les DRH auraient tort de se désintéresser du problème, car le sur stress nuit à la productivité, pèse sur la créativité et la concentration, détériore l’ambiance et la communication entre salariés, ce qui contribue à multiplier les erreurs », tel est le constat d’Eric Albert Psychiatre et consultant pour l’IFAS.
Si on ajoute à ce constat simple, voire simpliste, une rémunération faible et une absence de progression professionnelle dans l’entreprise (l’impossibilité de se réaliser dans son travail et de se sentir valorisé), le turn-over et l’absentéisme semblent un phénomène incontournable dans le monde du call center et du secteur des services en général. Eurodisney et McDonald, avec des taux de turn-over à respectivement 29% et 25% n’en sont que deux exemples mais ils illustrent bien les difficultés de ce secteur.
Ainsi, en Europe, l’évolution sur les trois dernières années du taux d’absentéisme et du turn-over dans les centres d’appels est stable autour de 9% pour l’un et de 24% pour l’autre (Benchmark 2005, 2006, 2007, Dimension Data). Le turn-over est légèrement inférieur pour les entreprises délocalisées sur le continent Africain (16%) à cause des forts taux de chômage locaux mais par contre l’absentéisme y est légèrement supérieur (13%, Benchmark 2007, Dimension Data) sans que les raisons en soient clairement identifiées. Ces tendances restent également constantes sur les trois dernières années.

Plus préoccupant, ces deux phénomènes contiennent tous les mécanismes propres à leur auto entretien. En effet, ces fléaux sont un vrai casse-tête pour les superviseurs qui doivent pallier ces absences souvent en urgence. Augmentation du stress des superviseurs donc de leur irritation, obligation de reporter des tâches sur des équipes réduites et déjà surbookées, il se crée alors un cercle vicieux difficilement contournable.

Certaines entreprises, telles Téléperformance, se sont donc accommodées de ces phénomènes en le transformant en un outil de recrutement. Pour elles, le turn-over des agents est indispensable et doit avoisiner les 20%. Dans ces conditions, seuls les téléopérateurs les plus motivés restent. La population ainsi sélectionnée pratique alors la fonction comme un job et ce à des fins essentiellement financières.
Cependant la plupart des entreprises ne peuvent se permettre de tels choix et préfèrent largement lutter contre ces deux problèmes, de vrais progrès ont été faits dans ce sens.
« La mesure la plus simple à mettre en œuvre porte sur la mise en place de pauses régulières. Pour des activités sur écran comme celles rencontrées dans les centres d‘appels, une pause d’au moins 5 minutes est préconisée toutes les heures environ. Il est recommandé de bouger pendant cette pause. De plus, des pauses de courte durée sont souhaitables à la suite d’appels éprouvants. »
(Rapport de l’INRS mis à jour le 16/04/2007).
En sus, les principales mesures que recommandent l’INRS et qui ont été reprises depuis dans certains grands centres de contacts sont classées dans 4 catégories :

L’organisation du travail
L’environnement matériel et technique
Les relations de travail
La tâche intrinsèque

Toutes ne sont pas appliquées simultanément, certains directeurs privilégiant le cadre et la répartition des tâches, d’autres préférant jouer sur l’ambiance au travail.
Chez Sitel, c’est l’humain qui a été mis au centre du dispositif. Par exemple, 80 % des télévendeurs, téléconseillers et autres téléprospecteurs sont employés en contrat à durée indéterminée dans l’entreprise.
Isabelle Bussel directrice commerciale chez Sitel livre dans une interview, ses «best practices» pour limiter les défections.
Dans un premier temps les tâches doivent être variées. Chez Sitel, chaque agent fait environ 65% d’appels entrants « nous sommes conscients que plus nous traiterons de campagnes d’appels sortants, plus la pression sera grande sur les conseillers et plus le turn-over risque d’augmenter ».
Ensuite, permettre aux téléopérateurs d’accéder à une formation qualifiante et à des promotions internes ou externes est primordial : « 90 % des superviseurs sont issus du plateau, observe Isabelle Bussel. Nos conseillers savent qu’ils peuvent évoluer. C’est un véritable élément de fidélisation. »
Enfin, « donner aux salariés les informations nécessaires à une vision globale de leur rôle, c’est garantir l’implication de tous », explique Isabelle Bussel.
Ces choix de politiques internes s’accompagnent de la mise en place d’animation sur les plateaux afin de créer un effet de corps et une bonne ambiance, propice au travail d’équipe.
Sitel affiche un turn-over de 5%, cette politique de RH semble donc porter ses fruits.
Autre entreprise, autres choix. Chez Trajectoire (filiale d’Everest Marketing Group), 90% des agents sont en CDD mais la partie fixe de la rémunération est de 10% supérieure aux minima prévus par la convention collective. De plus, l’entreprise est à taille humaine : pas de plateau de 400 conseillers et les managers issus de l’entreprise n’ont qu’une dizaine de téléopérateurs à encadrer  contre une vingtaine ailleurs. Enfin, dernier point, les bureaux sont ergonomiques et les logiciels très intuitifs afin de contribuer au confort des agents.

Pour la direction de Fréquence Plus Service, la politique interne est différente : le turn-over normal doit avoisiner les 20%, c’est le moyen de sélectionner et de fidéliser les candidats réellement intéressants pour l’entreprise. Enfin, pour la direction rien ne remplace un management «de proximité». «S’il existe une recette magique de fidélisation, elle réside dans le choix des managers, qui doivent avoir des comportements et un savoir-faire de chef et en aucun cas de “petit chef”. Le premier facteur de motivation, mais aussi de démotivation, est sans conteste le management au quotidien». D’où l’importance d’une formation des superviseurs adaptée aux exigences du métier.

Aujourd’hui, ces quelques exemples montrent à quel point les stratégies RH peuvent diverger sur la question épineuse du turn-over et de l’absentéisme. Certains préfèrent les diminuer tandis que d’autres l’utiliseraient pour sélectionner les meilleurs téléopérateurs.
Toutefois, la plupart des RH ont bien compris que recruter et former des agents régulièrement représente une perte considérable de moyens financiers, humains et techniques. Une bonne relation client passe d’abord et avant tout par de bonnes relations internes. L’agent doit donc être aussi choyé que le client lui-même. Après tout, il est souvent le seul contact du client avec l’entreprise et il sera donc le seul vecteur de l’image extérieure que celle-ci veut donner… Un agent mécontent et stressé véhiculera une image particulièrement néfaste à l’entreprise.  « Soignons nos agents » signifie « soignons notre image » !
Patrick Ladiesse

Témoignage de Charles-Emmanuel Berc PDG d’EOS

Quel est le niveau considéré comme normal, d’après vous, de turn-over et d’absentéisme chez un outsourcer ?
Nous considérons chez EOS que le turn-over et l’absentéisme sont liés à deux facteurs : un niveau de rémunération légèrement au dessus du SMIC, avec lequel il est difficile de vivre aujourd’hui dans une grande agglomération et un travail très « cadré » (exigence de productivité et suivi qualité). Aussi, turn-over et absentéisme sont très dépendants de la pression hiérarchique et de l’implantation.
Sur l’ensemble de nos sites (rappelons qu’EOS n’est implanté que dans des communes d’environ 15 000 habitants, en province) notre turn-over annuel est de l’ordre de 4% et ce niveau nous semble normal.

Y a-t-il, d’après votre expérience, une différence importante entre ces taux selon : que le centre est situé en province ou à Paris ? depuis les années 90, années où vous avez débuté ?
La différence Paris Province est criante. Si le travail en Ile de France n’est pas compensé par un niveau de rémunération au moins 50 % supérieur au niveau régional, alors le turn-over parisien peut atteindre les 400 %. Je travaille dans ce métier depuis 1993 et ce chiffre est constant.

Quelles « best practices » conseilleriez-vous
qui permettent de maîtriser ces indicateurs ?
Le choix que nous avons fait pour installer le modèle EOS : des implantations régionales, des sites à taille humaine, un management  ferme sur les objectifs et juste envers chacun, un dialogue social franc et ouvert.

Rémunération, conditions de travail, statuts
(CDI, CDD), quels sont les facteurs qui jouent
sur l’absentéisme et le turn-over ?
L’ensemble de ces facteurs influent évidemment sur le turn-over et l’absentéisme. A ces niveaux de salaire, le peu de différence de revenu entre une personne qui travaille et celle qui ne travaille plus y fait pour beaucoup. Ce phénomène s’amplifie quand l’environnement et les conditions de travail sont mauvais.

On parle parfois d’un « bon turn-over » dans les activités de CC. Cela signifie-t-il que le métier d’agent, ou de téléconseiller, doit être « quitté » un jour ?
Il existe un bon turn-over quand une personne se sent usée par ce travail de CC et que ses résultats quali / quanti se dégradent. Est-ce propre au secteur des centres d’appels ? Je ne pense pas. Que des collaborateurs quittent un centre d’appels dans lesquels ils étaient rentrés pour travailler tout en ayant autre chose en tête n’est pas choquant.  Mais il n’est pas rare de croiser dans les centres d’appels de grandes entreprises nationales des CC qui ont 30 ou 35 ans d’ancienneté !

Témoignage de Nicolas Petit, gérant du centre GETELA à Paris

Quel est le niveau considéré comme normal, d’après vous, de turn-over et d’absentéisme chez un outsourcer ?
Les ex-sociétés de secrétariat téléphonique (adhérentes du SIST), niche des métiers du téléphone, ont un taux moyen de rotation du personnel de
23 % par an. Mais une grande part de ce turn-over à lieu dans les 4 à 6 premiers mois de l’embauche. Une fois que le salarié à pris conscience du métier à faire et que cela lui convient, le turn-over descend à moins de 10 % par an.
L’objectif de notre profession est de mieux faire connaître nos métiers afin de ne plus avoir ce temps de découverte et de prise de conscience du travail à faire. Ainsi, le « turn-over de découverte » se réduira considérablement.
Notre profession a comme objectif d’avoir des équipes stables sur du long terme afin d’évoluer avec les clients.

Y a-t-il, d’après votre expérience, une différence importante entre ces taux selon : que le centre est situé en province ou à Paris ? depuis les années 99-2000, années où vous avez débuté ?
Le turn-over est un peu inférieur en province car les sollicitations et possibilités pour changer d’emploi sont moindres. Il est à noter que les 3⁄4 des centres d’accueil téléphonique sont en province.

Quelles « best practices » conseilleriez-vous qui permettent de maîtriser ces indicateurs ?
Nous constatons des turn-over réduit dans les centres qui portent leur attention sur quelques un des points suivants :
• avant l’embauche, il faut informer au mieux le futur salarié avec si possible quelques heures d’observation réelle et la possibilité de discuter avec des anciennes lors de l’entretien de recrutement, • il faut objectivement poser les plus et les moins de ce métier : horaire de travail décalé sur 12 h par jour voir 24 h sur 24, nécessité d’une ponctualité sans faille, métier au téléphone mais avec des tâches diversifiées, emploi en CDI, formation importante, recrutement ouvert à tous (handicapé, niveau d’étude faible…),
• pas de stress lié aux objectifs et faire régulièrement de la formation

Rémunération, conditions de travail, statuts (CDI, CDD), quels sont les facteurs qui jouent sur l’absentéisme et le turn-over ?
Les centres d’Accueil Téléphonique sont des TPE avec de vraies vies d’équipe et des ambiances très appréciées (la qualité de l’ambiance de travail est la 1re raison citée par les secrétaires téléphoniques lors des sondages sur ce qui leur plaît dans leur travail).Cet esprit d’équipe et la proximité avec la direction permettent de réduire considérablement l’absentéisme.
Ce métier propose des objectifs d’équipe motivants et apporte une reconnaissance quotidienne du travail effectué.
L’emploi en CDI représente 93 % des emplois de la profession, ceci montre bien la réelle volonté des centres de conserver longtemps leur personnel.
Les centres d’Accueil Téléphonique peuvent offrir des conditions de travail sur mesure : horaire du matin ou du soir, pas de travail le mercredi pour les mamans avec enfants scolarisés, travail le samedi pour les épouses de commerçants, …
Le salaire est motivant avec une moyenne de rémunération de 1 500 euros brut par mois pour des personnes ayant 6 mois d’ancienneté et parfois sans études.

On parle parfois d’un « bon turn-over » dans les activités de CC. Cela signifie-t-il que le métier d’agent, ou de télé conseiller, doit être « quitté » un jour ?
Plusieurs centres ont des piliers avec 15 ans d’ancienneté ce qui est l’âge moyen d’existence des centres et ceci représente 5 % du personnel en place. 69 % du personnel à plus de 2 ans d’ancienneté et 38 % à plus de 5 ans d’ancienneté.

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