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L’actualité du mois vue par… Charles-Emmanuel Berc, PDG de Vipp/Interstis

Publié le 27 octobre 2015 à 12:41 par Magazine En-Contact
L’actualité du mois vue par… Charles-Emmanuel Berc, PDG de Vipp/Interstis

C’est un grand voyageur né en Haute-Saône, passé par le Japon, et désormais installé au Cameroun, où la société qu’il dirige, Vipp/Interstis, connaît une croissance insolente (30% annoncés en 2015). Pas de hasard pourtant, car l’amateur de Depeche Mode est aussi un véritable innovateur – de ceux qui distinguent avant les autres les « signaux faibles » de la société et l’économie, et un des plus grands professionnels des centres d’appels. Mais surtout, l’homme a roulé sa bosse dans le business : il a connu la folie de la première bulle internet – sa société fut rachetée par le groupe Fi-Systèmes -, travaillé comme prestataire pour Patrick Drahi, puis dans le groupe Webhelp, qui racheta une autre de ses sociétés… Mais il n’a rien perdu de sa perspicacité et de ses convictions – avec lesquelles il commente l’actualité du mois pour En-Contact.

Acticall sort son chéquier (730 millions d’euros) et se lance sur le continent américain, avec le compère Sitel .Qu’est ce que cela vous inspire ?
Cela m’inspire tout d’abord beaucoup d’admiration. Le parcours des trois gars d’Acticall est spectaculaire depuis 2006, tout en restant relativement humble. Ils ont su saisir les opportunités en toute discrétion. L’acquisition de Vitalicom en 2006 leur a permis d’atteindre la taille critique. Grâce à cette acquisition, ils ont pu se positionner sur des appels d’offres de grande taille et rentrer dans la cour des grands. A l’époque, personne ne les avait vus venir. A suivi l’entrée du groupe Mulliez au capital d’acticall en 2009 : ils ont récupéré de nouveaux moyens qui ont financé leurs implantations en Amérique du Sud et en Afrique subsaharienne. Enfin, l’acquisition de Sitel, qui a été à nouveau une grande surprise pour le marché, sublime leur dimension internationale. Sans compter la prouesse financière, qui les place au rang des Daniel Julien, Frédéric Jousset et autre Olivier Duha… que cela peut-il inspirer d’autre que du respect ?

le marché, sublime leur dimension internationale. Sans compter la prouesse financière, qui les place au rang des Daniel Julien, Frédéric Jousset et autre Olivier Duha… que cela peut-il inspirer d’autre que du respect ?

Bolloré fait le ménage chez Canal + et rappelle qui est le patron. Peut-il y avoir plusieurs patrons dans une boite, d’après ton expérience ? Quid de la méthode ?
Tout d’abord, et de mon point de vue de consommateur, le produit Canal + est resté dans le 20ème siècle. Il n’a pas su migrer à l’ère nouvelle, celle des téléchargements et de Netflix. Les dirigeants de Canal + sont restés bloqués longtemps sur leur perchoir à croire qu’ils étaient plus forts que tout le monde et que rien ne pourrait leur arriver. L’histoire les a rattrapés : pour être et rester numéro un, il faut toujours penser comme le numéro deux. La situation de Canal + en France est critique car l’entreprise n’a pas évolué : les changements de têtes sont donc plus que justifiés.
Il ne peut donc pas y avoir plusieurs patrons dans une boite. Le patron, c’est la vision, il ne peut n’y en avoir qu’une dans une organisation. Elle ne doit pas être contestée et tout cadre dirigeant qui ne se sent pas en phase avec cette vision doit prendre ses responsabilités et partir. Dans le cas de Canal +, à mon avis, les gens ont confondu la liberté de ton des programmes avec la liberté de ton par rapport à l’entreprise. C’est une grave erreur : les énergies se sont placées autour de querelles internes et non à la satisfaction des consommateurs. La rentabilité des opérations en a donc pâti.
De mon point de vue, Vincent Bolloré n’a pas eu le choix. C’est la survie de Canal + sur son activité historique française qui est en jeu. Le modèle est dépassé, il doit trouver un nouveau souffle. Je suis évidemment pour la liberté de la presse et de l’expression, mais le fait qu’il soit amené à censurer reportages ou prises de parole n’est qu’un dommage collatéral.

L’Afrique est déclarée comme le nouveau territoire pour croître, dans quantité d’activités. Le confirmez-vous ? Comment s’y prendre pour développer ses activités, avec ton expérience ?
J’ai eu la chance d’étudier en université japonaise à Osaka en 1990, et de faire connaissance avec l’Asie, qui était le modèle de croissance mondial à l’époque. C’était le début des crises en Europe et aux Etats Unis. J’étais fier d’étudier là-bas. A mon retour en France, j’y ai passé 20 ans qui m’ont plutôt réussi, malgré les crises que notre économie a traversées. Les politiques successives ont laissé des traces indélébiles sur le moral des gens. J’ai donc atterri au Cameroun par hasard à l’été 2010 où je me suis pris une bonne claque. Le continent est passé du village sans eau ni électricité à la téléphonie mobile. La croissance de la zone oscille entre 5 et 8% en fonction des pays. Tout grouille, de partout, dans une effervescence d’un continent qui s’éveille et qui rentre dans la mondialisation. Tout est à faire, tout est à construire. L’Afrique est une vraie autoroute pour l’entrepreneuriat.
Cela peut donc paraître simple de développer ses activités ici, mais il faut s’y investir. Beaucoup. Pour en revenir à Canal +, il s’est passé ici l’inverse de ce qu’il s’est passé en France. Les équipes d’Overseas s’y sont investies, humblement, ont créé des programmes locaux, variés, ont choisi les bons partenaires pour se développer. Le produit correspond parfaitement à l’attente locale, le développement est exponentiel.
En ce qui concerne VIPP Interstis, j’incarne tout le management opérationnel et j’adresse toutes les couches du management. La nouveauté du métier sur la zone fait que l’obtention de résultats, ici plus qu’ailleurs, n’est pas naturelle. Il ne suffit pas de déployer un joli centre d’appels et la meilleure technologie pour y arriver. Il faut accompagner de manière très pragmatique. Les bases sont là (langue, proximité culturelle) mais les racines africaines, par rapport au travail, à l’entreprise, au hiérarchique sont aussi bien présentes. Elles ne sont pas évidentes à appréhender pour quiconque venant de l’Europe. Il faut comprendre ces barrières, les dépasser. Il faut aussi beaucoup accompagner le management naissant, avide d’apprendre. Il faut les armer pour qu’ils puissent croître et se développer avec à l’entreprise : pour les encadrants méritants, le périmètre s’élargit tous les six mois. Cela implique une culture du changement permanent, qui épuise si elle n’est pas anticipée. C’est beaucoup d’énergie, donc certains échecs mais surtout beaucoup de succès.

La French Connection de la relation client (Teleperformance, Webhelp , Acticall , Vipp ..)
ne semble pas manchote, pourquoi selon toi ?
Parce qu’il y a du talent ! Tous les dirigeants des entreprises que vous citez ont leurs personnalités, leurs convictions et leurs ambitions. Ils travaillent tous beaucoup, et consacrent leur énergie au développement. Daniel Julien a ouvert le bal dans les années 90. Daniel a une vraie expertise marketing et métier. Les rencontres, les associations et l’ambition lui ont permis 20 ans plus tard d’être l’un des leaders mondiaux du centre d’appels, grâce à une approche financière qu’il n’avait pas au début de l’aventure. Les dirigeants de Webhelp et d’Acticall ont suivi le chemin inverse. Ils sont partis d’un savoir faire organisationnel et d’une ambition financière, et se sont entourés progressivement de l’expertise métier. Les deux stratégies ont marché.
Je ne cherche pas à copier l’un ou l’autre. J’essaie de développer mes entreprises selon ma propre personnalité et mes propres convictions. Je ne suis pas à leur niveau de toute façon… …et ne souhaite pas forcément l’être.

Les gentils « escrocs»à la Mohamed Gueday sont ils une nouveauté dans notre secteur ?
Cette affaire n’est malheureusement pas la première, et je m’interroge toujours de la naïveté des politiques qui, en mal d’annonces, ferment les yeux sur la crédibilité d’un projet et font un chèque en blanc à un individu pour un centre d’appel bancal. Quand un individu, que personne ne connaît, arrive avec un projet de 327 emplois, la moindre des choses est de faire un contrôle de références tant sur le projet que sur son porteur.
C’est donc encore un scandale de plus, qui va couter près de 2 millions d’euros au contribuable français. Ce n’est pas le premier, et je crains que cela ne soit pas le dernier.

Patrick Drahi sort … aussi son gros chéquier pour son aventure américaine, a-t-il changé depuis le temps ou tu collaborais avec lui (à quelle occasion était ce d’ailleurs ?)
J’ai rencontré Patrick Drahi en 1999 quand il était au début de son aventure. Nous avions tous deux la trentaine. Il commençait à déployer ses réseaux câblés en Seine et Marne, l’entreprise s’appelait Média Réseaux. Cette entreprise a été son support pour l’acquisition d’autres réseaux câblés qu’il a ensuite intégré à UPC. Sa stratégie s’est basée depuis l’époque sur de l’endettement, qu’il doit rembourser, coûte que coûte. C’était avant ses grandes manœuvres sur Noos, Numéricable, puis SFR. Je ne l’ai pas vu depuis, et il a forcément changé. Il s’est adapté à son nouveau périmètre, a forcément une approche très financière des sujets. Il est dans son rôle, à la tête d’un empire qu’il s’est battu pour consolider. Sa réussite est spectaculaire.
Le poids de sa dette dicte ses méthodes qui sont culottées, arrogantes… …mais efficaces. Il est tout puissant. Il a l’argent, les structures et des effectifs qui pèsent en termes d’emploi en France et chez les prestataires. Personne ne s’élève contre lui : ni fournisseur, ni organisation gouvernementale. Ses actionnaires le suivent, et il livre… je ne vois pas ce qui pourrait aujourd’hui l’arrêter.

Y aura-t-il un jour des licornes dans notre secteur, à l’instar de ce qui se passe dans le web ?
Honnêtement, je ne pense pas. Les révolutions technologiques sont en majeure partie derrière nous. Les licornes ont profité de la troisième révolution du Web, qui coïncide avec l’arrivée des smartphones, pour créer leur modèle et étendre leur emprise mondiale. Ces nouveaux usages ont ouvert la porte à de forts développements d’applications et de services. Dans notre secteur, peu de nouveaux usages se déploient. Les annonceurs passent d’un prestataire à l’autre à « iso-KPI », et des coûts identiques sur une zone.

Quand vous entendez parler d’économie collaborative, vous …
Je souris ! D’abord, parce que ce n’est pas un concept nouveau …il date de 1978 ! Remis au goût du jour il y a cinq ans sous des prétextes écologiques et de développement durable par Rachel Botsman, qui écrivait : « « Ensemble, Mère nature et le marché ont dit “stop !”. Nous savons bien qu’une économie basée sur l’hyperconsommation est une pyramide de Ponzi, un château de cartes. ».
Vu comme çà, c’est dans l’air du temps… …mais c’est aussi utopique que les 35 heures hebdomadaires. Je ne suis donc pas fan du concept auquel j’accorde peu de crédit, y compris dans notre secteur des centres de contacts. En effet, la déclinaison de l’économie collaborative sur des forums d’aide au choix d’un produit par exemple, me semble tout aussi utopique. C’est une fausse bonne idée. Laisser les visiteurs d’un site de e-commerce échanger entre eux sur leur expérience d’un produit ou d’une marque via tchat me semble même extrêmement dangereux. C’est le cas aujourd’hui de grands sites de e-commerce qui, partout dans le monde, laissent les clients échanger entre eux sur leur propres sites, sur des produits techniques (photo, son,….), ou des produits spécialisés (vins,…). L’entreprise et les marques n’ont aucune vue sur les messages échangés. On mélange les genres : le collaboratif a toute sa place dans les forums, mais en aucun cas sur les sites commerciaux. Plusieurs clients le testent en ce moment, je n’ai aucun doute sur l’issue de ces tests.

David Gilmour et Keith Richards sortent tous deux un album solo, vous filez les acheter ?
Heu… les écouter avec vous oui, les acheter ensuite peut être …mais vous savez bien que je suis plus Depeche Mode et David Guetta. D’ailleurs je te recommande l’album solo de Dave Gahan avec les Soulsavers qui vient juste de sortir.

Vous êtes né en Haute Saône, je crois, avez étudié au Japon, et vivez désormais au Cameroun, mais en exerçant peu ou prou le même métier, depuis 25ans ou presque, les choses changent elles… …vraiment ?
Les fondamentaux de la relation client et du commerce datent de la préhistoire, c’est les paillettes autour qui ont changé le métier. Les années 2 000 ont apporté la majorité des évolutions technologiques qui ont cadré 95% des échanges téléconseiller-interlocuteur. Il reste quelques bribes à inventer, mais il n’y a pas de révolutions attendues à court ou moyen terme. Les choses ne changent plus vraiment.
Quand cela fait plus de 20 ans que l’on est dans ce métier, on cherche donc autre chose. Il faut trouver de l’appétit dans ce qu’on fait, sortir de ce que l’on maîtrise, se mettre en danger, prendre des risques. J’ai cherché quelque chose de frais dans les relations de travail, que j’ai trouvé au Cameroun. J’y exprime ma vision en m’appuyant sur mon expertise, ce que je sais faire parfaitement mais qui est purement mécanique pour moi. Je m’épanouis dans le plaisir que les collaborateurs ont à travailler avec et pour moi, dans leurs succès mérités, leurs ambitions. J’en suis heureux.

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