Le magazine indépendant et international du BPO, du CRM et de l'expérience client.

Jean Charpa, 78 ans et toujours au bout du fil (Convers)

Publié le 09 avril 2018 à 10:22 par Magazine En-Contact
Jean Charpa, 78 ans et toujours au bout du fil (Convers)

Parmi les images d’Epinal toujours vivaces, il y a celle des centres d’appels fortement recruteurs et consommateurs de jeunes diplômés ou d’intérimaires et qui quitteraient le métier après avoir été vite écœurés. On est loin désormais de cette image puisque 80% de la profession est en CDI et que c’est bien l’hétérogénéité des parcours et des profils qui prédomine. Jean Charpa, 78 ans, officiait encore il y a quelques semaines comme télévendeur chez Convers à Nice après une carrière internationale… dans le négoce des métaux.

Où et quand avez-vous démarré votre carrière ?
Je n’ai pas fait des études très poussées. Mais j’ai eu la chance de démarrer dans un secteur et à une époque où les besoins étaient énormes : j’ai en effet travaillé chez un négociant en acier auprès duquel j’ai tout appris ; pour lui il fallait faire ses preuves sur le terrain avant d’accéder à des responsabilités. Notre métier consistait à récupérer les rebuts de la sidérurgie, à les transformer et à les revendre. La demande d’acier au niveau mondial et la construction de l’Europe généraient des besoins très significatifs. J’ai gravi tous les échelons de l’entreprise, étant amené à gérer des comptes importants tels que Caterpillar, International Harvester ou Ford Travaux Publics. J’ai travaillé dans de très nombreux pays, y compris dans certains où j’ai débarqué sans maîtriser un seul mot de la langue, jusqu’à devenir assesseur du président. Mais l’entreprise, basée à Reims, à été rachetée par des Belges, puis par Usinor, puis par des Indiens, ce qui bien sûr entraîna le départ du fondateur et le mien, dans l’une des charettes. Déjà la mondialisation. Après être sorti de ce secteur, j’ai notamment œuvré dans l’informatique, pour le compte d’une start-up d’alors qui créait et fabriquait des grosses machines à l’époque où celles-ci n’étaient pas encore très courantes, mais très volumineuses. Mes clients étaient tous des grands comptes comme l’EDF, le CEA, etc.

Comment passe-t-on du négoce international de l’acier aux ordinateurs et à la télévente ?

Comme je le dis souvent, on n’est pas un bohémien impunément. Mon activité professionnelle m’a amené à effectuer de très nombreux voyages, à résider parfois très longtemps dans des pays éloignés. Et donc un jour, vous découvrez que votre vie familiale est partie à vau-l’eau. Comme beaucoup de gens, j’ai  rencontré des soucis familiaux qui m’ont amené à vouloir recentrer ma vie, sans pouvoir oublier ce qu’elle avait été : j’ai notamment deux pensions alimentaires à assurer. Et comme j’avais pris goût au soleil, je suis parti m’installer à Nice, plus proche de mon Dauphiné natal. J’ai eu besoin de travailler.

Et alors … ?
A plus de 60 ans en France, on vous considère comme une vieille machine, plus bonne à grand-chose.
J’ai continué à mener quelques missions à droite et à gauche, dans mon métier d’origine : on m’appelait pour aller débrouiller des dossiers compliqués, faciliter la négociation de gros contrats, mais rien de très régulier. Et donc un jour je suis tombé sur une annonce à laquelle j’ai répondu. Il s’agissait de Convers, un centre d’appels de la région qui recrutait. Et il s’est trouvé que le dirigeant de cette entreprise, Philippe de Gibon, était un homme plus ouvert et intelligent que d’autres, convaincu que dans son métier, les individus peuvent faire la différence. Ce n’était pas la fortune, mais cela m’assurait un train de vie correct et l’ambiance était bonne. J’ai donc travaillé comme télévendeur pendant plus de dix ans avec des résultats plus ou moins significatifs selon les missions sur lesquelles j’étais affecté.

Pourquoi ces résultats disparates ?

Il y a un truc ridicule dans ce métier qui est fait de dialogue et d’adaptation à l’autre, c’est cette exigence de passer par des scripts fermés, des discours formatés. Après 20 ou 30 ans d’expérience professionnelle, de pratique à tous niveaux de la négociation et des individus dans des univers culturels très variés, vous savez vous débrouiller. Pour faire du commerce et nouer des relations, pas besoin d’un discours formaté, de phrases prémâchées et encore moins de jeunes responsables qui débarquent à peine sortis de l’école et vous racontent qu’il faut rentrer dans le moule pour vendre un abonnement etc. De temps à autre, je leur proposais des alternatives qui me semblaient plus judicieuses… mais sans succès.  Avec l’expérience, on laisse faire car la condition de mon employeur, c’est d’être sous-traitant et de réaliser les missions dans le respect des consignes du client.

Vous êtes néanmoins resté, malgré ces frustrations ?
Oui et dans la même entreprise, pour trois raisons.
Malgré les contraintes que j’évoquais, l’équipe dirigeante de Convers palliait ceci par une organisation très respectueuse des individus, de leurs parcours, de leurs contraintes personnelles… Le temps de travail y est annualisé et on peut adapter ses horaires et ses jours de présence en fonction de ses contraintes personnelles, ce qui est un vrai confort. De temps à autre je prenais mon ULM et un petit séjour dans les airs vous lave la tête de tout ça.
En deuxième lieu, l’amertume ça ne sert à rien. J’ai toujours eu l’habitude de me bagarrer mais j’essaye de le faire pour des choses utiles ou lorsque l’enjeu me semble significatif : je me rappelle des rendez-vous organisés avec des clients dont je ne maîtrisais pas la langue, dans un pays lointain, et où l’enjeu de la réunion se chiffre en millions. Dans mes missions de télévendeur, l’enjeu c’était un abonnement de plus pour une grande organisation qui a déjà des millions de clients…
Et enfin, c’était le job, celui pour lequel j’étais payé, il faut bien le faire, et tant que possible, il faut le faire bien.
Que vous a appris la collaboration avec des télévendeurs plus jeunes que vous ?
Tout d’abord, qu’on ne fait souvent que se croiser sur les plateaux des outsourceurs. La diversité des missions, des parcours, des horaires, ne contribue pas toujours à créer une vraie histoire commune. La mère de famille qui a besoin d’un deuxième salaire, mais souhaite travailler à temps partagé peut cohabiter avec un étudiant ou un ancien, comme moi. Mis à part les échanges sur les difficultés de la vie quotidienne, il n’y a pas forcément de construction d’un projet commun, d’histoire commune avec des événements fondateurs.
Enfin et surtout, à Bac +2, +4 ou +5 aujourd’hui, les jeunes ne savent plus écrire ou rédiger un e-mail en français, correctement. Par leur rédaction, les rapports d’appels ou de mission étaient souvent assez cocasses.

Le téléphone a-t-il changé votre vie ?
Il y a une quinzaine d’années, atteint d’un cancer assez grave, je n’avais que dix-huit mois à vivre. Mais je suis encore là, avec une autre vision des choses. Tout ça, c’est donc du bonus – je prends ma retraite officielle dans quelques jours. Mais vous ne croyez pas si bien dire : un jour quelqu’un m’a appelé par erreur sur mon téléphone mobile. J’ai décroché, entamé une discussion, et… mon interlocutrice d’alors est devenue ma compagne.

Par Manuel Jacquinet
Photo tirée du film Opération 118 318, Sévices clients

 

A lire aussi

Profitez d'un accès illimité au magazine En-contact pour moins de 3 € par semaine.
Abonnez-vous maintenant
×