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L’outsourceur mauricien Infinity en grosses difficultés : fin de parcours pour Jean Suzanne ?

Publié le 23 février 2011 à 09:15 par Magazine En-Contact
L’outsourceur mauricien Infinity en grosses difficultés : fin de parcours pour Jean Suzanne ?

Que vont devenir Infinity, le plus gros outsourceur mauricien, son patron Jean Suzanne et leurs 478 employés ? Corruption, abus de biens sociaux, fraudes massives, vols, grève de la faim… l’affaire tient le petit monde de l’outsourcing mauricien – et leurs clients français – en haleine depuis plus d’un mois : chaque jour qui passe apporte son lot de révélations fracassantes et souvent rocambolesques. Le point au 23 février.

Rappel des faits : joint venture à 50-50 entre Jean Suzanne, entrepreneur d’origine mauricienne et fondateur d’Infinity, et Sir René Seeyave, président du deuxième groupe de l’île, Happy World, Infinity BPO démarre ses activités en 2004. La fine équipe est complétée par Gérald Bouillaud, directeur des opérations d’Infinity BPO et ancien responsable des centres d’appels de Noos si réputés à l’époque. En mars, Infinity devient le premier locataire de la cybertour d’Ebène, bâtiment ultramoderne au centre de l’île, l’image même de la politique de développement des activités de BPO sur place. Elle y occupe, dans un batiment ultra moderne plusieurs étages sur 4 800 m². Ladite tour finira même par s’appeler Infinity Tower. Au plus fort de sa croissance, la société emploie près de 600 télé conseillers, qui sont heureux de leur sort. Une « ancienne » de la maison raconte ainsi : « Nous avions la pêche et l’envie de bien faire. Il y avait aussi l’euphorie de se faire de nouveaux amis et côtoyer certains que nous connaissions déjà. Nous étions très motivés ».
Et puis … « les responsables ont accordé des promotions à des personnes qui ne le méritaient pas. L’attitude de ceux promus a changé du jour au lendemain ». Certains téléconseillers quittent le navire. Ceux qui restent constatent des anomalies de plus en plus singulières dans les fiches de paie… jusqu’à ne plus du tout recevoir leur salaire, dès novembre 2010. Une quarantaine de salariés commencent une grève de la faim pour obtenir leur dû – rappelons qu’un téléconseiller mauricien est payé entre 150 et 300 euros par mois.

Jean Suzanne a pourtant été bien aidé : en tout, près de 13 millions d’euros lui ont été octroyés par divers organismes publics, dès septembre 2009. L’entreprise a ainsi été le principal bénéficiaire du Training and placement scheme gouvernemental sur les 131 qui en ont bénéficié. Le leader du principal parti d’opposition n’oublie pas de relever que ces sommes … ont été accordées au groupe alors que Jean Suzanne était conseiller spécial pour les technologies informatiques auprès du Premier ministre.

Devant ses salariés désemparés, Jean Suzanne promet beaucoup, donne peu, et évoque une « fraude massive » au sein de l’entreprise… dont les auteurs ne seraient autres que ses anciens cadres. Qui se seraient servis des sommes détournées pour monter leur propre boutique, Transcontinental Outsourcing. L’histoire tourne ici au burlesque : Transcontinental porte plainte contre Jean Suzanne pour effraction – le dirigeant intrépide était en effet allé lui-même appareil photo en bandoulière sur les locaux de son concurrent, en pleine journée de travail, pour relever des preuves des « vols », non seulement de son matériel, mais aussi de ses clients et de son personnel !

Acculé, Jean Suzanne réunit toute la presse de l’île dans le bureau de son avocat pour faire un grand déballage : trous noirs comptables de plusieurs millions, fausses factures, rabattage du client vers un pays africain… C’est l’audit de Price Waterhouse Coopers, commandé par une grande banque parisienne qu’il avait appelée pour l’aider à redresser son entreprise en 2010, qui l’aurait alerté sur les fraudes de trois collaborateurs : son directeur général Gérald Bouillaud, l’assistante de ce dernier et son directeur marketing, qui auraient ponctionné plusieurs millions d’euros des comptes d’Infinity afin de subventionner l’ouverture d’un centre d’appels parallèle en Tunisie.

Encore plus fort : Jean Suzanne était, à le croire, tout à fait disposé à payer les retards de salaire de ses employés dès janvier, ainsi que ses arriérés de factures de télécom. Las, Jérôme Appavoo, son directeur financier qu’il avait envoyé retirer la somme concernée à la Barclays, aurait gardé l’enveloppe pour lui (grosse enveloppe quand même : plus de 100 000 euros rien que pour les salaires) – ainsi que le fichier des coordonnées de tous les clients internationaux d’Infinity.

Mais qu’à cela ne tienne, il ne suffisait selon lui qu’à quitter la cybertour, récupérer son dépôt de garantie et tout rentrerait dans l’ordre. Sauf que le lendemain, le gestionnaire du parc immobilier lui rappelait que sur les 192 400 euros escomptés avaient été tout naturellement prélevés plus de 70 000 euros au titre des factures d’électricité et des charges diverses. Jean Suzanne n’avait pas bien compris le mécanisme des charges : on est moins surpris par les difficultés d’Infinity.

Accusé d’avoir détourné les fonds par Jean Suzanne, Jérôme Appavoo accuse … Jean Suzanne d’être à l’origine de ces détournements, avec la complicité de Gérald Bouillaud, via plusieurs comptes au Luxembourg, dont un via un fonds très sérieusement nommé « Happy Family Trust ».

Gérald Bouillaud organise lui sa défense depuis la Tunisie où il s’est « réfugié » : il accuse Jean Suzanne de lui avoir refusé l’accès aux chiffres de l’entreprise depuis un an, et d’avoir effectué des virements au bénéfice de … Jérôme Appavoo, qu’il accuse d’avoir créé des sociétés fictives, notamment une qu’il aurait appelée… Vocalcom (rien à voir avec l’éditeur), afin de détourner l’argent d’Infinity à son profit et celui de Jean Suzanne.

Sauf qu’en transmettant à la presse un protocole d’accord signé entre Jean Suzanne, lui-même et un troisième actionnaire, Jocelyn Bertignon, le 2 septembre, à Paris, Gérald Bouillaud révèle, bien malgré lui que Jocelyn Bertignon reprochait déjà aux deux premiers, avec des termes très durs, de se sucrer sur le dos de l’entreprise.

Une sortie de piste définitive pour Jean Suzanne, qui a eu la peine de se voir obligé de revendre sa BMW X5 et sa Ducati , achetée le mois même où les employés ont commencé à ne plus recevoir leurs salaires ? Rassurez-vous, il a toujours son Aston Martin. Le parcours professionnel de celui-ci notamment avec ses déboires à Reims dans une précédente affaire de centres d’appels déposant le bilan avait déjà interpellé.

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