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François, Nicolas, Bertrand… et Xavier Niel. Retours sur l’ascension du patron de Free

Publié le 28 avril 2014 à 16:26 par Magazine En-Contact
François, Nicolas, Bertrand… et Xavier Niel. Retours sur l’ascension du patron de Free

Dans leur excellent article publié le 10/04/2014 sur l’Express, Emmanuel Paquette et Renaud Revel reviennent sur le parcours de celui que Nicolas Sarkozy, qui ne l’apprécie guère, appelle Xavier « Nil ». Admiratifs de la réussite de cet entrepreneur inclassable, les auteurs reviennent aussi sur sa part d’ombre. En-Contact vous en conseille la lecture d‘autant que nous avons, depuis des années, eu l’occasion de vérifier à quel point l’homme maîtrise la communication autour de son groupe.

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Xavier Niel, maître du monde?

Intronisé par les hommes politiques de tous bords, allié avec ses ennemis d’hier dans les télécoms, le milliardaire, patron de presse et fondateur de Free, a changé de dimension. Ce tycoon inclassable, aux allures de nomade high-tech, est devenu incontournable.

Quand il pénètre ce lundi 10 mars, à l’heure du café, dans l’une des salles à manger de l’Elysée, François Hollande marque un temps d’arrêt. Son regard balaie la petite dizaine d’entrepreneurs d’Internet présents autour de l’influent secrétaire général adjoint, Emmanuel Macron. Son attention se porte aussitôt sur le personnage en vogue du moment, Xavier Niel. L’ensemble des convives ne connaît que trop bien cette figure emblématique de l’univers des médias et du numérique.

L’idée de ce déjeuner n’émane pas du Château. C’est Niel en personne qui l’a soufflée à l’éminence grise du chef de l’Etat. Lui encore qui a dressé la liste des invités. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que François Hollande le rencontre. Tous deux se sont croisés en 2012, lors d’un dîner organisé au domicile de Macron.

Dix jours plus tard, au siège d’Iliad, maison mère de Free, on retrouve l’entrepreneur tout sourire, à l’annonce de la première surenchère que vient de rendre publique Martin Bouygues. Dans le bras de fer qui l’oppose au patron de Numericable, Patrick Drahi, pour la reprise de SFR, un nouvel épisode inattendu vient de débuter. Mis très tôt dans la confidence, l’entrepreneur biche. Car si Martin Bouygues réussit ce coup de poker, Free Mobile, son joyau, absorbera pour une bouchée de pain – 1,8 milliard d’euros – le réseau national de Bouygues Telecom. Sur son iPhone, où s’affiche en fond d’écran une photo de son bébé, les SMS arrivent à foison. Félicitations de patrons, questions de journalistes… Et qu’importe si cette manœuvre a finalement échoué. Impassible, le monsieur sait que le temps joue en sa faveur. Comme s’il pensait déjà au coup d’après. Avec la vie devant soi.

«Il a pris goût à la lumière»

En quelques années, «l’homme du peep-show», comme le surnommait Nicolas Sarkozy, ce «romanichel», sifflait Martin Bouygues, est passé du statut de flibustier des affaires à celui de figure de l’establishment. Par un retournement de situation improbable, les dirigeants d’Orange et de Bouygues, qui l’abhorraient, n’ont eu d’autre choix que de se lier à lui. La classe politique, qui l’a longtemps ignoré, le reconnaît aujourd’hui. Tous ceux qui ne toléraient pas sa présence sur la piste de danse ont fini par lui tendre la main. Et, aujourd’hui, c’est lui qui fixe le tempo.

Tout a changé depuis son entrée fracassante dans l’univers de la presse, avec le rachat du quotidien Le Monde et, celui, plus récent, du Nouvel Observateur, aux côtés du banquier Matthieu Pigasse et de Pierre Bergé. Un sésame dont il fait, sans l’avouer, un levier d’influence. Voilà du coup ce quadragénaire propulsé dans les hautes sphères du pouvoir. «L’homme est plus sûr de lui, plus ambitieux qu’hier. Il a pris goût à la lumière. Jusque-là, Free était la marque phare de son groupe, à présent, c’est son nom qui l’incarne», juge Jean-Louis Missika, l’un de ses compagnons de route chez Iliad, et directeur de campagne d’Anne Hidalgo. Cette proximité avec la candidate à la mairie de Paris a été exploitée par sa rivale, Nathalie Kosciusko-Morizet. En mars, la presse révèle que la socialiste a été invitée gracieusement par Niel dans son hôtel de luxe, l’Apogée, à Courchevel. Le patron de Free dément l’information et goûte peu la manœuvre. Ses bonnes relations avec NKM en pâtissent. Le voilà pris dans une lutte de pouvoir dont il se serait volontiers passé.

Soigner ses relations à gauche comme à droite

«Niel cultive son côté rebelle, jeans et cheveux longs, mais côtoie ministres et notables au coeur du pouvoir. Il est devenu fréquentable et courtisé», estime Stéphane Richard, PDG d’Orange. D’ordinaire timide et discret, le quadragénaire, toujours vêtu d’une chemise blanche, se défend d’avoir changé. Aucun responsable n’a jamais franchi le seuil de son domicile, jure-t-il. Certes. Mais c’est pourtant à sa demande qu’est organisée une rencontre à Matignon avec Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, par l’entremise de son homme lige, Maxime Lombardini. Lors de ce rendez-vous, il est question de télécoms, bien sûr, mais aussi du projet de la Halle Freyssinet placé sous la férule de l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Ce lieu permettra d’accueillir 1000 jeunes entreprises de croissance au cœur de Paris, dès 2016.

De la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, à Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, ou encore à Benoît Hamon, tous ont pris le temps de le recevoir, de le jauger. Et pourtant, il prend bien soin de rester inclassable, cultivant aussi ses relations à la droite de l’échiquier. Que ce soit avec François Fillon ou Xavier Bertrand, pour ne citer qu’eux. Toujours inscrit sur les listes électorales de Créteil (Val-de-Marne), la ville de ses parents, Niel jure ne s’être jamais rendu aux urnes. «Je suis sans étiquette politique et je ne vote jamais, même si je n’encourage personne à faire de même», confie-t-il. Une ligne de conduite tenue, y compris en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen était présent au second tour. Non sans une certaine crainte…

«Ce garçon est nulle part, souligne Alain Minc, à rebours du modèle français.» Cela n’empêche pas le milliardaire du Net de bien connaître le Château. Depuis l’époque de Jacques Chirac, il y a été convié maintes fois. Et, aujourd’hui, encore davantage que par le passé. Accompagné de ses complices Jacques-Antoine Granjon, PDG de Vente-privee.com, et Marc Simoncini, fondateur de Meetic, il en a même visité la fabuleuse cave en mai 2011, lorsque Nicolas Sarkozy était aux affaires. Lui-même, d’ailleurs, possède une collection impressionnante de grands crus, alors qu’il ne boit jamais d’alcool et préfère les bulles du Coca-Cola Light. «Lorsqu’il reçoit chez lui, il ouvre toujours de belles bouteilles, origine France, pour ses amis», lâche Granjon.

De cette époque, il a conservé des liens avec Nicolas Princen, le conseiller numérique de l’Elysée, naviguant désormais entre Paris et New-York pour monter sa propre start-up. Les deux hommes ont gardé le contact et se sont revus voilà peu. «En quarante-cinq minutes, explique Nicolas Princen, on apprend beaucoup avec lui. Il investit dans la nouvelle génération, non seulement en argent mais aussi en temps, c’est cela le plus précieux.»

En septembre 2013, Niel, pourtant peu porté sur le foot, recroise le chemin de Nicolas Sarkozy dans les travées du Parc des Princes. Passant devant le patron, l’ancien président le salue courtoisement, même s’il n’a jamais digéré l’attribution par François Fillon de la quatrième licence de téléphonie mobile à cet homme que vomissait alors son ami Martin Bouygues. Lors d’un récent déjeuner avec l’ancien président du groupe Louis-Dreyfus Jacques Veyrat, l’ex-locataire de l’Elysée demande à son invité s’il a des nouvelles de… «Xavier Nil». «Vous voulez dire, Xavier Niel, monsieur le Président», corrige l’homme d’affaires. «Je sais bien qu’il s’appelle Niel, coupe net Sarkozy, mais, à mon âge, on est en droit de s’offrir quelques menus plaisirs !»

Si le geek a changé de stature et de statut, il a encore «un solide compte à régler avec l’establishment», confie l’un de ses proches. Mis en examen et placé en détention provisoire, en mai 2004, pour proxénétisme aggravé et recel d’abus de biens sociaux, puis blanchi par le juge

Renaud Van Ruymbeke, l’inventeur de la box et des offres triple play (téléphone, Internet et télévision) n’a jamais pu vraiment gommer de sa mémoire les stigmates de cette affaire. Et ses bonnes relations avec le magistrat, devenu un ami, n’ont pas pansé ses plaies. Lui qui fit ses premiers pas dans le Minitel rose n’a jamais tout à fait admis, notamment, l’attitude de l’ancien ministre des Finances Thierry Breton à son égard.

S’il est, à l’image d’un François Pinault, un capitaine d’industrie parti de rien ou si peu, son destin reste singulier. «Ce parfait exemple de la méritocratie à la française est bien plus en phase avec son époque que l’ont été ses aînés avec la leur», complète Missika. Quand François Pinault acquiert la société de ventes aux enchères Christie’s, Niel, lui, met sur pied une école d’informatique entièrement gratuite dédiée à un millier de jeunes sans diplômes : un joli pied de nez à l’establishment. «L’école 42 est une initiative formidable», estime Granjon. Au lieu de verser son argent à des associations caritatives, le milliardaire place désormais ses deniers en priorité dans cet établissement auquel il consacre plus de 5 millions d’euros chaque année.

Il ne s’en tient pas là. Ses investissements dépassent largement les frontières. Avec Kima Ventures, créé conjointement avec Jérémie Berrebi en Israël, il a financé plus de 270 jeunes entreprises issues de 30 pays différents. En quatre ans, ce fonds, dont le nom fait référence à une araignée, mais signifie aussi «debout» en hébreu, a déjà investi plus de 30 millions de dollars. Tant de générosité n’est pas totalement désintéressée. Cela lui permet aussi de garder un œil sur les innovations de demain, un laboratoire de l’avenir à portée de main. Le quadragénaire se rend au moins une fois par an en Israël mais n’y reste guère plus d’une journée et ne croise que rarement Jérémie Berrebi.

Là-bas, il est également associé à son ancien directeur général devenu son fils spirituel, Michaël Boukobza. Celui qui fut longtemps le visage de Free en France dirige aujourd’hui l’opérateur mobile Golan Telecom. Et ce ne sont pas les deux seuls hommes de confiance gravitant dans son entourage. Dans son réseau figure également Olivier Rosenfeld. Son ancien directeur financier gère ses investissements dans certaines grosses entreprises au sein de la holding NJJ Capital. L’immobilier constitue une autre facette du milliardaire. Ses investissements dans la pierre sont nombreux et restent relativement méconnus : centres commerciaux, bureaux, ou encore le palais Rose à Paris.

Tous viennent gratter à sa porte

Pour autant, cet «anarcho-libéral» – la formule est du PDG du groupe Canal+, Bertrand Meheut- ne fréquente ni les dîners du Siècle ni les cénacles parisiens. Il fuit les mondanités même si on a pu l’apercevoir, aux côtés de Bernard Arnault, au défilé Dior lors de la dernière Fashion Week, en janvier. Cet homme aux réseaux illisibles et indéchiffrables est à l’image de l’univers immatériel d’Internet dans lequel il gravite. Nomade insaisissable, il s’entoure d’un petit cercle de confidents chez lesquels il picore informations et réflexions. Après celui qui fut son parrain dans le monde de la finance, le banquier Antoine Bernheim, disparu en juin 2012, on trouve pêle-mêle : le patron de NextRadioTV (BFM TV, RMC…), Alain Weill ; le PDG de chaînes et administrateur du Monde, Pascal Houzelot ; le directeur général de Lazard France, Matthieu Pigasse. Et encore Vincent Bolloré, ou l’ancienne dirigeante d’Axa Private Equity Dominique Senequier.

Des hommes et des femmes qu’il voit peu et avec lesquels il correspond le plus souvent par mail ou SMS. Blessé, Pierre Bergé se lamente ainsi de ne jamais avoir pu obtenir un dîner en tête à tête avec son partenaire en affaires, au Monde ou à L’Obs. L’entrepreneur semble n’en avoir cure. Il protège sa vie privée à la manière d’un bernard-l’hermite : à la seule évocation de sa proximité, publique et affichée, avec Delphine Arnault, la fille du milliardaire à la tête de LVMH, l’homme devient glacial. Attaché au respect de son intimité, il s’est récemment plaint d’un reportage diffusé sur France 2, dans Complément d’enquête, montrant son adresse personnelle. Lui qui ne fête jamais son anniversaire et évite de se rendre aux mariages de ses proches est entouré d’un cercle d’amis restreint.

A présent dixième fortune de France, il découvre la mélodie des doléances, le bal des courtisans, l’embouteillage des visiteurs du soir, sur les visages desquels bourgeonnent les sourires : tous viennent gratter à sa porte. Tantôt pour une audience, tantôt pour une obole. Ainsi, il n’est pas un dossier de reprise de journal qui ne lui ait été soumis : de ceux du Nouvel Observateur et de Marianne à celui de Libération – qu’il s’est promis de sauver du naufrage – ou du groupe Le Parisien, Aujourd’hui en France. Et pour cause, ce gestionnaire, pourtant connu pour gérer son entreprise au centime près, n’hésite pas à investir dans un secteur en crise et à la rentabilité hypothétique.

Le chantre de l’indépendance éditoriale, ce «bien le plus précieux», peut cependant montrer les dents lorsque des journalistes attaquent Free. Récemment encore, le rédacteur chargé de couvrir le secteur des télécoms du Parisien, dont les écrits avaient déplu, n’a pas pu l’interviewer. L’opérateur voulait qu’un autre journaliste du quotidien réalise l’entretien. N’obtenant pas satisfaction, il a finalement choisi de se tourner vers l’équipe du Journal du dimanche. Le site Rue89 et le magazine En-Contact aussi en ont fait les frais. Tous deux publient l’expérience d’un rédacteur embauché par Free Mobile, qui dépeint la dure réalité des coulisses du lancement de l’offre, ses ratés et les licenciements de salariés. L’opérateur porte alors plainte pour connaître la véritable identité de l’auteur et voilà les deux directeurs de publication convoqués par la police. D’autres procédures viennent tout juste de cesser. Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom, remet-il en question la couverture du réseau de Free Mobile dans les colonnes des Echos que le voilà attaqué en diffamation tout comme la journaliste à l’origine de l’article.

Derrière son allure d’entrepreneur cool, Xavier Niel le sanguin, soucieux de l’image de son entreprise, reste procédurier. Et pas seulement à l’égard de la presse. Ses joutes verbales, par médias interposés, avec Martin Bouygues ont donné lieu à de multiples guerres dans les prétoires. Jusqu’en février, où Bouygues Telecom a porté plainte en réclamant 28 millions d’euros à celui qui a dénigré ses services mobiles.

Pourtant, en l’espace de quelques semaines, Xavier et Martin ne se sont jamais tant parlé afin d’empêcher le câblo-opérateur Numericable de mettre la main sur SFR. La tentative fut vaine mais l’important est ailleurs. «Avec Martin Bouygues, nos relations se sont pacifiées», indique Niel. Les voilà donc devenus les meilleurs amis du monde. «Xavier se faufile dans les interstices», apprécie dans un sourire Matthieu Pigasse. Ironie du sort, en 2005, Patrick LeLay, alors directeur général de TF1, avait présenté Olivier Poupart-Lafarge, directeur financier de sa maison mère, Bouygues, au fondateur de Free. L’émissaire du groupe de BTP tente alors d’évaluer les possibilités d’un rapprochement entre les deux sociétés, sans succès. Neuf ans plus tard, Niel pourrait mettre la main sur le réseau de Bouygues. Si ce n’est aujourd’hui, sans doute demain. Sa société pèse près de 12 milliards d’euros en Bourse, soit 2 milliards de plus que la valeur totale du groupe de BTP. Et voilà le gamin de Créteil prêt à entrer dans le CAC 40, tout proche de croquer une part d’une icône historique du capitalisme français. Le monde à l’envers.

Emmanuel Paquette

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Photo : En-Contact
Rue d’Andigné en 2012, le palais rose en travaux, la nouvelle demeure du patron fondateur de Free.

 

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