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« En France – même l’expérience doit être validée par… un diplôme»

Publié le 02 septembre 2014 à 15:51 par Magazine En-Contact
« En France – même l’expérience doit être validée par… un diplôme»
Philippe Amiel - Dirigeant / Fondateur - Promel
Philippe Amiel – Dirigeant / Fondateur – Promel

Le sergent recruteur, c’est celui qui guette dans la taverne où il a ses habitudes les jeunes – ou moins jeunes – impétrants, pour leur mettre plein de rêves et d’horizons lointains dans les yeux*… Plus que n’importe qui d’autre, Philippe Amiel, directeur du cabinet de recrutement Promel, est ce sergent recruteur de la profession. En vingt ans de métier, il en a vu passer des professionnels de la relation client… Et comme sa « taverne » est désormais (très, très) proche de nos bureaux, nous allons désormais régulièrement recueillir ses points de vue, forcément originaux, sur l’actualité qui secoue le petit monde de la relation client.

Quel type de missions vous occupe actuellement, et que révèlent ces missions ?

Je travaille notamment pour la filiale française d’une start-up américaine, dans le créneau des places de marché, entre particuliers et professionnels. En l’occurrence, je dois leur proposer un directeur de la relation client – il s’agit d’une création de poste – et un responsable de la relation client – pour un remplacement.

Le précédent titulaire du poste n’arrivait pas à suivre le rythme de cette start-up, qui comme beaucoup d’autres, connaît une croissance très rapide, et exige donc de ses collaborateurs beaucoup de réactivité. Et comme il s’agit d’un groupe américain,  l’importance donnée au reporting chiffré  et à la formalisation suscite une injonction paradoxale : réactivité plus reporting et formalisation en simultané.

Ces entreprises ont compris que la relation client constitue un vrai enjeu pour elles, mais l’envisagent sous un jour très pragmatique : la relation client, pour elles, ce n’est pas un centre de coût, c’est un centre de profits via la fidélisation, et le périmètre commercial dans les directions de la relation client sont très étendus, déterminant jusqu’à 20% de la rémunération des cadres. La relation client est considérée par les start-ups comme une pépite, pour le marketing de l’offre et le développement commercial.

Par ailleurs, pour un client dans le secteur du tourisme et des loisirs, plus précisément dans le secteur des coffrets cadeaux, je dois sélectionner un collaborateur qui sera responsable pour structurer la relation avec plusieurs milliers de partenaires – il s’agit d’une création de poste. Cette échelle industrielle, les process qui vont avec, la structuration des relations, l’usage fréquent des enquêtes satisfaction… on retrouve les mêmes logiques que pour la relation client.

 

Quelles tendances du marché observez-vous ?

Je trouve le marché un peu plus dynamique que l’an dernier à la même période. Il y a plus de demandes, notamment sur les commerciaux, plus de créations de postes pour sociétés en croissance. Mais les packages de rémunération sont très serrés. Chez un grand distributeur, je gère une mission pour un poste de cadre dans sa filiale « service  client », dont les responsabilités couvrent les fonctions support  – contrôle de gestion, planification, comptabilité, services généraux…  Il y a une  quinzaine de personnes à encadrer et le salaire ne dépasse pas 50 000 euros par an. Je vois ça assez souvent, mais surtout chez les prestataires de service. C’est encore plus révélateur à l’offshore, où les contrats expatriés n’existent quasiment plus. 50 000 euros, nets de charges, ça peut paraître beaucoup dans un pays où le coût de la vie est a priori plus bas qu’en France, mais les candidats comprennent qu’il faudra payer  des inscriptions volontaires à toute une série d’assurances, leur sécurité, l’éducation de leurs enfants… bref, que les coûts cachés sont élevés. Le marché est dynamique, mais les packages sont serrés, et les équations complexes.

 

Ezra Suleiman, professeur de science politique à Princeton, déclarait récemment dans les Echos que la France souffre plus que d’autre pays d’une certaine cooptation des élites, qui aboutit à un gaspillage des talents. Est-ce aussi votre avis ?

Dans une certaine mesure. Notre secteur est plus ouvert que d’autres, et on peut y trouver des parcours très originaux – mais là aussi, seulement jusqu’à un certain niveau. Le plafond de verre, pour les sociétés d’une certaine taille, on le rencontre pour l’intégration du comité exécutif. Deux raisons à cela : je vois beaucoup de bac+2 faire carrière dans nos métiers jusqu’à des postes engageant une rémunération de 100 000 euros par an, mais après, quelques lacunes en formation initiale apparaissent. Parallèlement, les dirigeants estimeront que le cadre n’est pas tout à fait formaté, qu’il ne maîtrisera pas certains codes.

Parfois, le plafond est si bas qu’on doit se baisser pour passer. Dans certaines sociétés, on demande vraiment des diplômes bien précis, même pour des postes modestes. Et pas seulement dans les entreprises du CAC 40 : dans quantité de PME, les patrons veulent dupliquer ce qu’ils ont vécu, à tous les niveaux de la société.

 

Cette barrière est-elle implicite ou explicite ?

Et c’est parfois très expressément énoncé : un patron d’une société de e-commerce m’a demandé de lui trouver un jeune collaborateur ayant impérativement fait une école d’ingénieur faisant partie d’une liste de 15 établissements, après classes préparatoires, pour devenir responsable d’un service client payé 50 000 euros par an. Parfois, on arrive à la même conclusion quand on voit les autres critères : une « tête bien faite », « plutôt jeune », « dynamique » : c’est un jeune diplômé avec un bac +5.

Chez les opérateurs télécoms, même pour les postes à dominante chiffre ou projet, il y a eu beaucoup de promotion interne, y compris pour des salariés ayant un simple BTS Action Co. Mais ce parcours les bloque lorsqu’ils postulent à des fonctions équivalentes dans d’autres sociétés, où on demandera exclusivement quelqu’un ayant un DESS de maths ou de statistiques. On commence à peine à se rendre compte que le diplôme n’est pas forcément plus important que l’expérience. A l’étranger, l’expérience importe beaucoup plus. Et les employeurs se disent que de toute façon, si ça ne marche pas, c’est moins grave de se rater. A périmètre égal, pour des postes intermédiaires, le diplôme joue plus en France.

 

Etes-vous en position de faire évoluer ces comportement chez les recruteurs, et comment ?

Une fois sur cinq en moyenne, j’arrive à convaincre de la pertinence d’un profil qui s’écarte du moule défini. Je mets alors l’accent sur l’ « épaisseur managériale », la faculté de gérer toute une série de situations qu’on ne peut découvrir à l’école, de mener des hommes.

 

Quels conseils donneriez-vous aux candidats ou recruteurs qui nous lisent, pour la rentrée ?

Les entreprises qui ont des enjeux forts pour structurer le périmètre de la relation client ne doivent pas différer les créations de postes, car plus ils attendent, plus il sera dur de mettre de l’ordre dans le service client.

En ce qui concerne les candidats, il est certain qu’il y a dix ans, on était encore beaucoup plus ouvert aux autodidactes, aux opérationnels. La crise a accentué la tendance à privilégier le profil diplômé. Si vous êtes en situation de rechercher un poste, et que vous avez juste un Bac +2 ou un Bac +3, faire une VAE (validation des acquis de l’expérience), un master,  va aider. J’en reviens à votre question précédente : c’est comme ça, en France – même l’expérience doit être validée par… un diplôme.  Une VAE, c’est un moule qui prouve que vous avez réussi à être formaté, c’est utile pour ceux qui ont acquis leur expérience chez le même employeur.

Parmi les parcours particuliers en temps de crise, une diversité d’employeurs, mais sans papillonnage, ne sera pas mal vue sur un CV. Si ce CV reste bien présenté, sous un schéma réalisations/objectifs. La création d’entreprise, même si elle n’est pas succès, est un passage intéressant. Ce qui aide vraiment pour trouver un poste intéressant, c’est la mobilité géographique du candidat. Et sa capacité à comprendre qu’il y a d’autres postes que celui de responsable ou de directeur de la relation client, qui correspondent peut-être mieux au candidat.

 

*En lien avec cet exotisme, il est même une île où on trouve une table très réputée qui a donné son nom (désormais tronqué) à cette rubrique. Une île pas si éloignée puisqu’il s’agit de l’île Saint-Louis, en plein cœur de Paris.

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