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« Le plus difficile dans l’entrepreneuriat, ce n’est pas l’idée, ni de se lancer. C’est de persévérer »

Publié le 16 octobre 2013 à 13:41 par Magazine En-Contact
« Le plus difficile dans l’entrepreneuriat, ce n’est pas l’idée, ni de se lancer. C’est de persévérer »
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© Edouard Jacquinet

Comme beaucoup d’ingénieurs de formation, sa parole est rare mais précise ; mais ce qu’il aime, c’est écouter :
les paroles des clients, on devrait dire lire d’ailleurs puisque la start-up qu’il a confondée et dirige (ViaVoo) s’est spécialisée dans l’analyse des verbatim clients pour en dégager les messages et informations essentiels. Ceci afin de permettre aux directions générales et marketing de faire en suite bouger le “navire” qu’est souvent devenu leur entreprise.
C’est donc un quasi « psychanalyste » et « sémiologue » du web que nous sommes allés interviewer ce mois-ci et qui a accepté de donner son point de vue sur des sujets futiles, trendy ou plus sérieux !

 

Selon le Journal du Dimanche, l’arrivée de Free aura provoqué une perte de 8 000 emplois dans les centres d’appels ; le dimanche, lisez-vous le JDD ? Quel crédit accordez-vous généralement à ce type d’informations ?
Un chiffre jeté en pâture sans aucune mise en perspective : depuis un an, il y a près de 30 000 nouveaux demandeurs d’emploi chaque mois en France ; pour les centres d’appels, on parle de 8 000 suppressions d’emploi en deux ans… c’est un peu l’arbre qui cache la forêt cette histoire ! Et un coupable tout désigné… alors que l’arrivée de Free n’a fait qu’accélérer une évolution inéluctable dans la relation client : la montée en puissance du self-care, des plates-formes sociales de relation client, des plates-formes d’entraide communautaires, etc.

L’entreprise que vous dirigez a quasiment tous les opérateurs télécom comme clients et vient de signer avec Orange ; l’arrivée de Free Mobile leur a-t-elle effectivement , « se–coué les plumes » en les incitant à écouter leurs clients  ou certaines ont elle plus que d’autres le sens du service client ?
Quelques semaines après l’annonce de Free, je déjeunais avec un MVNO (opérateur de réseau mobile virtuel); sa réaction : « ça marchait tout seul, il a fallu qu’il [Free] vienne tout péter » et d’ajouter « en même temps, c’était trop beau pour que ça dure… ». No comment !
Si certains opérateurs pensaient que l’écoute client était un « nice-to-have », tous sont désormais convaincus que c’est un « must-have ». Non seulement l’écoute de leurs clients mais également celle des clients de leurs concurrents.

Si l’on en juge par les verbatims recueillis chez Viavoo sur ces mêmes opérateurs, que leur disent leurs clients ? vous souvenez-vous de verbatims particulièrement notables ?
Sur le web social, nous analysons plus de 50 000 verbatims par mois concernant une dizaine d’opérateurs. Cet été, un tiers des discussions portant sur l’expérience client tourne autour du lancement des offres très haut débit, la résiliation, le changement d’offre et le changement d’opérateur. L’expérience client est devenue un sujet très complexe car les offres elles-mêmes sont complexes. Je me souviens d’un verbatim d’un consommateur ayant souscrit une multitude d’options et qui à l’issue d’un déménagement, rencontrait de multiples problèmes pour retrouver un niveau de service normal. Son verbatim se terminait par « surtout qu’ils ne touchent pas à l’ADSL/internet, c’est la seule chose qui fonctionne ! ». Dans un autre registre, ça me rappelle les montres digitales des années 80, bourrées de fonctionnalités et au sujet desquelles on se disait : est-ce qu’au moins elle donne l’heure ?

Le « phoning » dans le dur, le télémarketing non sollicité risque d’être un jour interdit, peut-être très prochainement ; qu’en pensez-vous ? Comment vivez-vous ou votre famille ce type de sollicitations ?
Laissons au consommateur la liberté de s’inscrire ou non sur la LNNTE ! Cette manie qu’ont certains de vouloir imposer aux autres ce qu’ils croient bon pour eux… Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec l’interdiction d’ouvrir le dimanche, ou bien récemment l’interdiction pour certaines enseignes des Champs-Elysées d’ouvrir après 21h alors qu’elles font 20% de leur chiffre d’affaires en nocturne. En e-commerce, on peut commander 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Avec les contraintes imposées aux réseaux de magasins, il ne faut pas s’étonner si certaines formes de commerce disparais-
sent.

“Seuls 10% des tweets sont utiles pour analyser l’expérience client”

Pixmania a été cédé… pour pas cher, après avoir occupé le haut du pavé. Et on découvre que dans le e-commerce comme ailleurs, il va falloir faire des marges, s’occuper du client et livrer à l’heure… « back to basics » en somme. Quels e-marchands ou sites de e-commerce vous semblent particulièrement efficaces, innovants et voués à un bel avenir ?
Je ne donne pas de noms mais plutôt trois conditions que je pense nécessaires au succès : une expérience client irréprochable de bout en bout, une vision transversale du parcours client et une gestion décloisonnée du multicanal (la concurrence offline / online au sein d’un même groupe est très nuisible). Enfin je crois utile des espaces showroom physiques – à condition de repenser les lieux façon « Home Sweet Home ».
La valorisation de Twitter, ça vous inspire quoi ? Le destin compliqué de Blackberry ?
Valoriser dix fois le montant des recettes publicitaires ne me surprend pas, on a vu des valorisations plus fantasques… Twitter revendique 500 millions de tweets par jour et 200 millions d’utilisateurs actifs dans le monde. Par contre, il est assez rare de s’interroger sur la valeur du contenu informationnel. Dans notre cas, seuls 10% des tweets sont utiles pour analyser l’expérience client.
J’ai été utilisateur Blackberry : beaucoup de fonctionnalités présentes depuis des années dans cet OS sont encore absentes chez Apple et Google. Ce marché, oligopolistique, ne laisse malheureusement aucune chance à de très bons systèmes : c’est le cas pour Blackberry mais aussi pour WebOS par exemple, conçu par Palm (disparu).

Thierry Desforges_Fondateur&PDG_Viavoo_MG_5773_3000px

© Edouard Jacquinet

On parle d’une taxe sur l’EBE pour 2014 ; même si elle ne va pas concerner Viavoo, pensez-vous que François et les autres devraient faire un petit stage de création d’entreprise ? Qu’as-tu appris, toi-même en quittant une situation a priori confortable chez Logica pour créer une start-up, presque dans le garage ?
Les PME (moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires) seront épargnées par cette nouvelle taxe, et les géants du CAC 40, très internationalisés, pourraient en partie s’y soustraire. Donc, ce sont a priori les entreprises de taille intermédiaire, les ETI, qui seront les plus concernées. Etonnant, car j’entends par ailleurs et depuis des années que les ETI sont potentiellement le meilleur levier pour la croissance française, et qu’en l’état actuel des choses elles sont plutôt son talon d’Achille…
François paraissait bien inspiré avec son « choc de simplification » ; mais plutôt que de chercher à simplifier la vie des entreprises, il serait plus judicieux de commencer par simplifier le millefeuille fiscal, tant la stratification des dispositifs rend la cohérence des politiques publiques assez hasardeuse, voire impossible à maîtriser au niveau macro-économique. Au niveau micro-économique, l’Etat devrait intégrer le concept de « personnalisation », notamment en matière de droit du travail ; trop de dispositifs sont fonction de l’effectif, avec des paliers très bas qui placent la startup dans l’obligation de gérer les mêmes situations que la grande entreprise. Mais combien de start-up ont un DRH ?

Si certains opérateurs pensaient que l’écoute client était un « nice-to-have », tous sont désormais convaincus que c’est un « must-have »

Léa Seydoux à la une de pres–que tous les magazines ces dernières semaines, présentée comme la nouvelle star du cinéma français, et souvent dénudée, c’est :  normal /on s’en fout /c’est qui Léa Seydoux ?/je préfère Cate Blanchett ? Choisissez deux réponses…
C’est normal et
On s’en fout !

Everybody’s talking de Harry Nilsson, ça vous rappelle quoi ?
Le premier couplet* pourrait être le pitch sonore de V iavoo (sourires).

Si vous retournez à l’INT*, demain, pour faire le discours de fin d’année aux étudiants, et pendant 5 minutes ..vous vous prenez pour Steve Jobs, quel serait votre « stay hungry, stay foolish » ?
L’entrepreneuriat est à la mode mais le passage à l’acte sera d’autant plus difficile qu’il sera tardif, car il faut passer outre tout ce qui est fait pour vous en dissuader : le job à quitter, le salaire auquel renoncer, le temps-libre à oublier… Il faut donc de la détermination. Il faut avant tout une idée. On vous dira, et vous penserez, que c’est le plus difficile. Faux. Beaucoup de situations du quotidien, privées ou professionnelles, sont des occasions de créer quelque chose de nouveau, si on prend la peine de se poser deux questions : pourquoi sont-elles ainsi ? Comment devraient-elles être dans un monde idéal ? Car l’innovation procède souvent d’une remise en cause d’un exis­tant et de la recherche d’un idéal. En tout cas, c’est comme ça qu’est né Viavoo. Il faut donc de la curiosité. Mais le plus difficile, ce n’est pas l’idée, ni de se lancer. C’est de persévérer. Car c’est dur. Très dur. Au delà de tout ce que vous pourrez imaginer de pire. D’ailleurs, si c’était facile, tout le monde se lancerait. Car c’est exaltant. Très exaltant. Dur, exaltant, potentiellement lucratif, assurément risqué… dans des proportions imprévisibles. Et inacceptables pour qui n’est pas animé d’une irrésistible envie de réussir.

Propos recueillis
par M. Jacquinet

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