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Décrocher son téléphone ne suffit pas, mais ce serait un bon début

Publié le 23 août 2018 à 09:57 par Magazine En-Contact
Décrocher son téléphone ne suffit pas, mais ce serait un bon début

(Pour qu’il n’y ait pas d’autres Naomi Musenga…)

L’enquête publiée hier dans le magazine Le Point, sur les appels auxquels on répondrait de façon très limitée dans les centres 15, met encore plus sur l’établi de Mme Agnès Buzyn (la Ministre de la Santé) l’urgente nécessité de proposer un plan d’actions pour la gestion efficace des appels d’urgence dans les SAMU. Elle souligne aussi un manque de rigueur dans l’analyse des faits et chiffres, de la part de quantité d’acteurs impliqués dans l’analyse de cette affaire. Une carence qui augure mal de la résolution d’un problème qui provoque parfois, comme on l’a constaté malheureusement, des décès.

Les Samu répondent mal ou « décrochent » mal les appels, ou les deux ?

L’enquête du Point, rédigée par François Malye et Jérôme Vincent, démontre que dans une grande majorité, les structures de gestion des appels d’urgence laissent de côté plus de 14 % des appels présentés.

1/Ces chiffres proviennent de déclarations des acteurs de la santé et non des données issues des « standard » télécom dans les divers SAMU.
Pourquoi les statistiques, que n’importe quel PABX (standard de centres d’appels, type Avaya, feu Nortel, Lucent, Ipbx) fournissent en temps réel ne sont-elles pas disponibles et consolidées au niveau national, mises à disposition d’un patron de SAMU ? Pourquoi n’ont-elles pas été communiquées pour et dans l’enquête du Point ? Elles seraient incontestables, pertinentes pour comprendre sur quelle période de la journée les appels sont « refoulés », non décrochés parce que le temps d’attente est trop long.
N’importe quel acteur des télécom, de la fourniture d’énergie, un vendeur de pizzas en ligne même peut en disposer pour un abonnement modeste d’un coût de 30 euros par mois et l’on n’en disposerait pas afin de connaître exactement les flux, les typologies d’appels, les durées moyennes de conversation ? (average time of call)

2/Décrocher le téléphone et prendre 100 % des appels ne signifie pas qu’on ait fait et produit… de la qualité.
Un reportage très médiatisé sur le RSI (régime social des indépendants), diffusé il y a quelques années dans Zone Interdite, avait démontré que le prestataire retenu par le RSI parvenait à une performance de 98 % des appels décrochés mais laissait ensuite une grande partie des appelants parler dans le vide ; il suffisait de raccrocher ensuite pour parvenir à un taux de service et une durée moyenne de conversation très conformes aux exigences de l’appel d’offres et du contrat. Se focaliser sur le seul taux de décroché est nécessaire mais très réducteur.

3/Le déficit d’écoute et d’empathie tue… autant que la non réponse !
Dans le cas de Naomi Musenga, l’appel a été « présenté » traité mais de façon inadéquate. Des procédures de bonne gestion des appels existent, sont normalisées. Il faut donc former, enraciner les bons comportements, mettre les agents et ARM* dans de bonnes conditions de travail et les diriger. Sur tous ces sujets, et le rapport de l’Igas et les explications données par les patrons français des SAMU sont inabouties, incomplètes ou  carrément hors sujet : les enquêteurs de l’IGAS n’ont interrogé aucun expert des centres d’appels en France, alors que les champions du monde dans ce métier sont français  Teleperformance, Sitel, Webhelp, Comdata). Une seule visite sur un centre dans des villes telles que Amiens, Caen, Chalons-sur-Saône, Carmaux, Vitré, Gennevilliers, La Rochelle, etc, donnerait à voir, entendre et constater que des bons outils de prévision des flux, de planification des appels, de planification des ressources humaines, de gestion de la répartition nationale des appels vers les bonnes compétences, de pilotage de la qualité via des outils simples existent et sont utilisées avec succès.

Sur 36 experts et sachants sollicités et interrogés par l’IGAS, aucun spécialiste des centres d’appels, alors que ce rapport doit permettre d’identifier les pistes d’amélioration pour ce métier. Émettre une suggestion de recommandations susceptibles de sauver des vies en se privant de ceux qui peuvent vous aider grâce à leur expérience, savoir-faire… n’est-ce pas dommage ?

4/Aucune donnée technique sérieuse permettant un véritable diagnostic n’a été en réalité fournie ou collectée, ou très partiellement.
On ne sait toujours pas, à la fin août 2018 si un outil de prévision des flux est utilisé, prévu prochainement dans les SAMU, si les durées moyenne de conversation sont pilotées et analysées, pourquoi aucun outil de formation des ARM, fondé sur l’enregistrement et l’analyse des conversations réelles n’est utilisé… (ce qu’on appelle le Quality Monitoring et qui permet grâce à l’analyse des verbatims, des silences, des émotions identifiées, à un superviseur ou Quality Trainer, de prendre la main durant la conversation).
Dans le cas de Naomi Musenga, si cet appel avait été passé sur une plateforme téléphonique mise en place pour des clients tels que Netflix, Apple ou la Fnac, le superviseur n’aurait eu qu’un bouton à presser pour intervenir dans l’échange et rappeler en mode discret, sans être entendu de l’appelant, que la structure de l’entretien et sa tonalité formelle n’étaient pas respectées. On prendrait donc plus de soins d’un appelant pour un abonnement à un service de SVOD, une commande de sushis à livrer que pour un patient ? En 2018 ? Alors que des pages entières de magazines évoquent le deep learning et l’intelligence artificielle…

Nice Systems, Verint, Allo-Media, ASC technologies, a minima, sont 4 sociétés dans lesquelles je n’ai pas d’action ni de parts (les deux premières étant étrangères et la 3ème française), en mesure, Messieurs Berger, Braun, Lapostolle (dirigeants du SAMU) de vous deviser en 48h la mise en place d’un tel outil et de vous fournir, chacun, une liste de 40 clients qui les utilisent quotidiennement. Moins de colloques, moins de circonvolutions svp : on parle de personnes qu’on peut sauver, d’ambulances à envoyer ou non, de conversations qui doivent passer directement au niveau 2. Un ascensoriste s’en équipe, pour son service d’astreinte et les SAMU ne connaitraient pas ces outils ?
Certains d’entre vous, qui ont des intérêts dans des sociétés de télécommunications, des éditeurs d’applications aux vertus incroyables ou en font la promotion et qu’on va voir apparaître bientôt comme des solutions miracle… ?  DOIVENT décrocher leur téléphone pour s’informer et s’enquérir de ceci.

En lieu et place de ceci, du recueil de ces données et de leur rigoureuse analyse, donc, on lit : des balivernes, des choses sensationnelles, des pseudo enquêtes et études qui se donnent l’apparence de la rigueur scientifique, on entend des experts qui sont des médecins mais pas des professionnels des centres d’appels ou des plateformes téléphoniques.
Un exemple ?
Cette publication l’illustre parfaitement, qui tend à étayer l’idée que la corrélation existe entre les effectifs et la qualité de la gestion des appels d’urgence. Elle en est une condition nécessaire mais loin d’être suffisante. On comprend par contre que la défense est claire :  dire et clamer « il faut plus d’effectifs ».
Le Docteur Berger, trésorier et responsable technique du SAMU en France, n’a répondu à aucune de nos questions depuis 4 mois, sur toutes les questions simples et techniques que nous aurions apprécié de lui poser.
– L’IGAS est baladée et ne peut tout savoir de ce vaste sujet bien qu’elle comprenne des fonctionnaires de grand talent.
– Le cabinet de Mme la Ministre a décliné les propositions de rencontre qui lui ont été faites par le SP2C (syndicat professionnel des centres d’appels) pour « manque de disponibilité… ».
J’arrête là cette liste, qui pourrait se prolonger sur 3 pages.
Les dirigeants du SAMU préconisent de former, de créer un vrai métier d’assistant de régulation médicale, de superviseur. Tous ces diplômes existent déjà (j’ai participé à la création de ceux-ci en 2000)…

MAIS. Mais Naomi Musenga est décédée. Et Naomi Musenga n’est pas un nouveau chiffre dans le rapport de l’année de la Cour des Comptes.
Il est donc peut-être utile et nécessaire de se mettre autour de la table, entre hommes et femmes de bonne volonté. De cesser de croire et proclamer que plus d’effectifs d’ARM est la seule solution ; d’imaginer que l’on sait tout au motif qu’on a fait 8 ans d’étude ou plus (les dirigeants des SAMU en France) ou l’ENA (les hauts fonctionnaires de l’IGAS). Ou d’écrire qu’un palmarès peut se fonder sur un taux de décroché. D’investir dans des outils de quality monitoring, de planification des agents (work force management). Afin de décrocher les appels, de bien les traiter. D’identifier les appels polluants, leur nombre. Les petits malins qui sont susceptibles d’appeler des structures d’urgence pour des motifs fallacieux seront informés et identifiés. Une structure moins débordée d’appels pourra ainsi prendre, en débordement, un appel venant de l’autre bout du territoire. Et c’est un médecin régulateur qui pourra ainsi faire son travail, soulageant ainsi ses collègues**. On partira ainsi sur des bonnes bases, pas sur des chiffres au doigt mouillé qui arrangent beaucoup de monde, masquent sous le tapis. On démarre quand ?

Par Manuel Jacquinet

* Assistant de régulation médicale.
** C’est par exemple ce qui se pratique quotidiennement au service client de Free, Orange ou Bouygues Telecom et ailleurs : l’ACD (automatic call distribution) sait, en temps réel, où un agent disposant de la compétence X ou Y est disponible, sur quel plateau du monde et il lui route ainsi l’appel. Il est même en mesure de savoir à quel stade de la conversation celui-ci se situe en comparant une durée moyenne de conversation et celle en cours. Il va donc arbitrer entre un temps d’attente supportable et celui pertinent au regard de l’appel et de son motif. C’est pour ces raisons par exemple qu’un client chez Booking ou Amazon en phase d’achat potentiel est routé sur le plateau téléphonique ouvert et adapté. C’est ainsi que Amazon vend des livres ou des coques pour smartphone… et Booking des chambres d’hôtels. Pour cela, il convient d’analyser des durées moyennes de conversations et les performances moyennes des agents. Un agent qui débute en call center sur une hotline de niveau 1 se situe en moyenne à une performance moyenne de 55% de la performance qu’il atteindra au terme de 3 mois de formation. Tout ça est écrit dans des livres, qui ont déjà été écrits. On ne chronomètre pas que les pauses pipi dans les centres d’appels si tant est qu’on l’ait jamais fait ?
Le chapitre 3 dans ces livres est consacré à la planification des appels, aux lois d’Erlang et à d’autres choses utiles. Comment bien manager un plateau même lorsqu’il y a du stress, lié au métier.


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