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Carrefour banque et son partenaire Affinion international risquent des dizaines de millions d’euros d’amende

Publié le 15 octobre 2015 à 11:45 par Magazine En-Contact
Carrefour banque et son partenaire Affinion international risquent des dizaines de millions d’euros d’amende

Les clients de Carrefour Banque porteurs de la carte Pass qui ont payé 3,75 euros par mois pour une assurance non sollicitée ne sont pas forcément des « cas isolés ».

Révélée hier sur France info à la suite d’une plainte d’une cliente de Carrefour Banque, la pratique qui consiste à placer des assurances affinitaires à des millions de clients qui ne les ont pas expressément demandées ou acceptées expose le distributeur, sa filiale bancaire et son prestataire à de très, très lourdes amendes. Rappelons que la Carte Pass Carrefour est aujourd’hui détenue par plus de trois millions de clients.
 Affinion International, le prestataire de Carrefour Banque mis en cause, a en effet été appelé ce mois d’Août, au Royaume-Uni, à indemniser plus de 2 millions de clients d’au moins onze grandes banques, dont celle du distributeur Tesco. La spécialiste du marketing affinitaire Affinion avait vendu au nom de ces banques une assurance inutile et non sollicitée, pour 25 livres (34 euros) par an. Si la Financial Control Authority n’a pas encore communiqué le montant total du préjudice, certains clients ont reçu plus de 275 livres de compensation.

Un « cas isolé », vraiment ?

Contactée par la rédaction d’En-Contact, la direction de la communication de Carrefour a affirmé qu’il s’agissait d’un « cas isolé ». Problème : outre le cas britannique précité où de telles pratiques ont été avérées, plusieurs clients français se sont plaints dans des forums spécialisés qu’Affinion vendait pour le compte de Carrefour Banque des assurances non sollicitées depuis… plus de quatre ans.

Un exemple datant du 15 février 2013, publié sur http://droit-finances.commentcamarche.net/ :
« Je reçois un coup de fil d’une télé-prospectrice pour cette assurance, elle m’explique les clauses… remboursement des utilisations frauduleuses de ma carte, pertes de papiers ou de clés, refabrication des papiers, des cartes bleues…pour 3.70 euros/mois. Je lui réponds que je n’adhère pas mais qu’elle peut m’envoyer la documentation. Dans la foulée je reçois un e-mail de confirmation de souscription ! En fait cette assurance c’est Carrefour sans être Carrefour, car Carrefour propose la même assurance pour 0,95 €/mois. Je téléphone à cette assurance et on me dit que le fait de demander la documentation entraine l’adhésion. »

Un autre du 26 septembre 2012 sur le site de 60 millions de consommateurs
« par un simple appel téléphonique, Carrefour Banque vous fait adhérer d’office à son nouveau produit PROTECT PAIEMENT. Vous recevez un courrier 2 mois après pour compléter et signer le contrat et pour pouvoir vous rétracter. La cotisation a déjà été débitée. Ce n’est pas de la vente forcée ça »

Pourquoi les distributeurs (Le Printemps, Carrefour, les Galeries Lafayette) banquiers et opérateurs mobiles s’intéressent ils à l’assurance affinitaire ?

L’assurance affinitaire est un produit à coût mensuel modique dont les cibles sont ultra-précises, couvrant toutes sortes de problématiques du quotidien. Très souvent, ces assurances sont comprises ou optionnelles dans des cartes de crédit ou de services, parfois pour permettre de récompenser les « meilleurs » clients, parfois pour leur vendre une protection complètement superfétatoire.
Il s’agit d’un des relais de croissance les plus significatifs du marché de l’assurance(plus de d’un milliards de primes collectées l’an passé en France) et qui permet à des distributeurs ,commerçants , de retrouver des marges et du chiffre d’affaires – en échange de gros fichiers clients. Une alternative à la guerre des prix et à l’économie du low cost dénoncées récemment dans une interview pour les Echos de Georges Plassat, PDG de Carrefour.

Euro Crm - L'un des prestataires qui collabore ave Affinion
Euro Crm – L’un des prestataires qui collabore ave Affinion

L’opération est peu coûteuse, puisque la vente de telles assurances est complètement sous-traitée : la banque ou le distributeur confie son fichier clients à un spécialiste du marketing affinitaire, qui va lui-même s’appuyer sur des prestataires en télévente spécialisés – centres d’appels – pour convaincre le client et réaliser des ventes par téléphone. Ces prestataires spécialisés en télévente d’assurances – comme Euro CRM, Teleperformance, Filiassur – acceptent souvent, compte tenu de l’état du marché actuel, d’être rémunérés à la performance. En revanche, le revenu, soit le total des primes d’assurance encaissées, compte tenu du faible taux de résiliation des assurés se chiffre en millions d’euros. Les courtiers spécialisés, qui disposent d’un fichier d’assurés acquis grâce à ces techniques les revendent pour des sommes considérables. C’est toute une économie qui se développe autour de l’assurance affinitaire – protection de moyens de paiements, frais de santé des animaux, perte ou vol du mobile, etc. Tout repose sur une commercialisation honnête.

Comment et pourquoi de telles ventes forcées arrivent elles ?

C’est là que le bât blesse : il arrive que cette commercialisation soit réalisée de façon trop agressive, pour respecter les règles qui l’encadrent.
L’une des techniques très utilisées depuis deux ans consiste à faire appeler les clients ou détenteurs des cartes ou présents dans les fichiers par des équipes de télévendeurs spécialisées en acquisition de clients, qui argumentent par téléphone sur l’intérêt et l’utilité du service et proposent l’assurance concernée.
Jusque là, rien que de très normal. Les technologies peuvent aider à gagner en efficacité puisque la vente peut être conclue par téléphone, avec un simple recueil de l’accord verbal du client, enregistré et qui sera réécouté ensuite par des équipes qualité afin de valider que le consentement a été explicitement donné.
Mais dans certains cas, parce que la rémunération du prestataire est uniquement variable, parce que la concurrence est très vive, les consignes sont oubliées, les accords peu explicites sont considérés comme réels. Parfois, l’accord n’est même pas demandé explicitement : sous couvert d’étude de marché, le vendeur propose et… pré-coche des cases, en renvoyant à des conditions de vente ou générales écrites en tout petit.
Autre technique : le vendeur propose de mettre en place une protection contre le vol, la perte du mobile à titre gracieux, un abonnement à un magazine, pendant une période de test. Au terme de celle-ci, le client omet de signifier qu’il ne veut plus bénéficier du service et se retrouve abonné, assuré. Uni-Editions, la filiale du Crédit Agricole, a été il y a quelques années, a été rappelée à l’ordre parce que les clients de la banque qui ouvraient un compte se voyaient proposer des abonnements à des magazines, qui devenaient payants au terme d’une période de gratuité.

Quelle est la responsabilité de Carrefour Banque et des marques ou entreprises dans ce cas ?

Elle est réelle et incontestable puisque le contrat – toujours disponible sur le site de Carrefour Banque, contrairement à ce que déclare Carrefour aujourd’hui – est bien émis par la filiale d’assurances conjointement créée par le distributeur et ses partenaires : Affinion International et Carma, assureur du groupe Carrefour. Pour autant, dans une affaire similaire au Royaume-Uni, l’assureur affinitaire CPP avait été condamné à 10,5 millions de livres d’amende.

Quel est l’intérêt d’Affinion International ?

Une telle entreprise fonctionne en général avec des équipes réduites, est adossée à de grands assureurs, et sous-traite l’acquisition de clients : dans tous les cas de figure, l’activité est très rentable, au point que le fonds Apollo (162 milliards de dollars d’actifs gérés) a acheté Affinion International en 2006. Le spécialiste du marketing affinitaire déclare travailler avec 5500 partenaires dans le monde.

Que peut-on faire si l’on est concerné par cette facturation indue ?

Essayer de se remémorer si on n’a pas donné, d’une façon ou une autre, un accord, un jour après une telle sollicitation. Chercher sur ses relevés une référence à « Protect Paiement ».
Faire savoir à son assureur qu’on ne désire pas ou plus cette option, et demander un remboursement – en s’armant de patience, Carrefour Banque (0826827827) n’ayant répondu à notre appel test qu’après sept minutes d’attente.

Manuel Jacquinet

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