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A Quezon City (Philippines), la communauté prospère des LGBT dispose de toilettes dédiées, parfois

Publié le 16 octobre 2020 à 04:00 par Magazine En-Contact
A Quezon City (Philippines), la communauté prospère des LGBT dispose de toilettes dédiées, parfois

Si, directeur des opérations de support ou de modération, vous visitez demain dans le cadre d’une RFQ (un appel d’offres) les call centers de Telus International, Sitel ou IBM, à Quezon City ou Manila, vous découvrirez des toilettes d’un troisième type : les Gendar Neutral Bathroom. En clair, des lieux d’aisance destinés à la communauté LGBT, très présente aux Philippines. Celle-ci y prospère, à la recherche de liberté, de moyens de subsistance et, dans certaines compagnies de BPO, d’une reconnaissance pas encore complètement acquise.

La communauté LGBT est-elle un atout pour les centres d’appels philippins, pour les fabricants de sèche-mains, heureux d’installer dans plus d’endroits encore leurs machines parfois onéreuses ? E. David, chercheur en études de genre à l’université Boulder du Colorado, a étudié la question, et découvert qu’en réalité, la relation entre l’industrie et cette catégorie de travailleurs est plus subtile. En-Contact s’est de son côté intéressé aux nouveaux acronymes qu’il convient de maitriser dans la nation Numéro un pour l’accueil des centres de BPO. Qu’est-ce en effet qu’un Non Voice Customer Representative ?

Sitel Palawan – © Edouard Jacquinet

Quelques rappels

Les Philippines sont devenues depuis quelques années le principal port d’attache mondial des centres d’appels, prenant le dessus sur les concurrents indiens. Pourquoi ? Les entreprises états-uniennes qui délocalisent leurs centres d’appels ont une prédilection pour l’anglais américanisé parlé à Manille, plutôt que pour l’anglais trop British à leurs oreilles de Mumbai ou New Delhi. C’est donc à des interlocuteurs de Manila, Cebu et Angeles City que les consommateurs américains mécontents parlent quand ils ont un mot, souvent désagréable, à dire à une grande société qui leur dispense des services, comme Accenture ou IBM.

Mais pourquoi faudrait-il, de plus, que dans ce pays de culture majoritairement catholique, leurs interlocuteurs appartiennent à la communauté LGBTQ ? Le chercheur Emmanuel David, d’ascendant philippin, quoi que vivant aux Etats-Unis, est allé rencontrer sur place à plusieurs reprises des membres de la communauté, principalement des personnes transgenres, pour comprendre ce qui a rapproché l’industrie de ce groupe particulier, un peu en marge.

Revenons à l’essentiel

Si les géants des telecom ATT& T ou Verizon ont déplacé leurs centres d’appels par-delà le Pacifique, c’est pour des questions de coûts. Les 1,4 millions d’employés des centres d’appels aux Philippines gagnent de 10 000 à 35 000 pesos, 230 à 810 dollars mensuels, en moyenne 465 dollars. Cela constitue une relative aubaine dans un pays où la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Les centre d’appels connaissent néanmoins une forte rotation des postes, les employés étant souvent tentés d’aller voir ailleurs.

D’après les syndicats, les compagnies gérant ces centres d’appels et de BPO (on y effectue également des tâches de support ou de gestion de dossiers, de la modération, ce qu’on appelle désormais du BPO) favorisent cette mobilité, en surchargeant leurs employés de tâches multiples, dépassant ce pour quoi ils ou elles ont initialement été embauché(e)s. Du support technique, ils passeront au service consommateurs, au recouvrement ou à la vente, pour laquelle ils ont des quotas à tenir. Il en résulte souvent que six mois dans une entreprise sont une durée courante avant d’être remercié ou d’être tenté de repartir ailleurs, à zéro.
Se syndiquer devient à un moment la seule issue possible pour les travailleurs philippins, estime Sara Prestorza, présidente d’UEA, l’organisation représentant les salariés des centres d’appels
Et là, recourir à la communauté LGBT devient une option intéressante pour les employeurs, parce que ces employés, conscients de leur singularité, évitent de se coaliser dans l’entreprise.

Sur les plateaux, pas de discrimination. Et des toilettes dédiées

Emmanuel David a constaté la discrimination dont sont victimes ailleurs dans la société ces personnes, particulièrement les femmes transgenres. Leur spécificité les cantonne à des activités comme la coiffure, le divertissement, le maquillage et l’industrie du sexe. Mais les centres d’appels sont une nouvelle option de carrière qui les séduit, depuis une bonne dizaine d’années déjà. Les dirigeants des sociétés de business outsourcing (services délocalisés) ont le sentiment qu’employer des personnes transgenre ou LGBTQ diminue les tensions dans leurs centres, accroit le moral des employé(e)s et augmente la productivité. « Dans nos groupes, nous sommes les bien aimées, nous mettons l’ambiance, en faisant oublier aux agents la répétitivité des appels », atteste l’une d’elles. Dans la revue Gender & Society, E. David développe. « Purple is the new pink », résume-t-il. Autrement dit, ces personnes à la croisée des sexes sont devenues les nouvelles petites mains du secteur des services.

Les transgenre interrogé(e)s en attestent, ils ou elles sont séparé(e)s au sein des centres d’appels, mais la communauté LGBTQ y est devenue très présente. Les entreprises ont joué le jeu, en cherchant à attirer ce type de profils. Les centres d’appels utilisent tout un système de récompenses, primes et responsabilités spécifiques, visant en particulier la communauté LGBT. Ils ou elles ont une place à part dans les journées des familles des entreprises, une forme de reconnaissance de leur rôle, les assimilant à la société, tout en les distinguant du reste du groupe.

Le site de Sitel aux Philippines- © Edouard Jacquinet

 

Comme le signale un article du Journal of Lesbian & Gay studies, chez Duke University Press, les employés des centres d’appels ont été présentés par la présidente Corazon Aquino en 2012 comme de « nouveaux héros » du peuple, aptes à retenir au pays des diplômés tout en faisant rentrer des devises comme auparavant les Philippins exilés. Les salariés LGBT constituent un atout, dans un univers où une touche d’érotisme peut en sus dénouer une vente. Un travailleur de la voix explique qu’en fonction de l’interlocuteur, il prend un patronyme féminin ou masculin, Jesse ou Jayson, pour mieux interagir avec son interlocuteur au-delà des mers.
Le chercheur a eu les mêmes échos auprès de superviseurs : les transgenres, gays, travestis – l’interviewé ne les distingue pas – sont doués pour ce type de métier jouant sur l’émotion. « Travailler en centre d’appels leur permet d’incarner un rôle de femme, un avatar qui leur plait », dit également un psychologue d’entreprise, cité par E. David.
Les compagnies font des efforts pour capter ces communautés spécifiques, comme le montre un film promotionnel de Convergys Philippines (désormais Concentrix), une entreprise basée à Cincinatti (Ohio). Ce spot publicitaire de 8 mn présente un superviseur LGBT (identifié comme « gay ») qui « fait la différence » dans son métier, parlant anglais, tout en fréquentant à ses heures de loisirs les salons de coiffure élégants (au lieu d’y travailler). On le voit découvrir l’entreprise, qui va lui donner du pouvoir, sans questionner son origine ni son orientation sexuelle. Une ascension sociale de la campagne à la ville, et du monde souterrain vers les classes plus aisées, grâce aux centres d’appels.

Pour découvrir la totalité de ce reportage, qui sera publié dans le N°117 du magazine En-Contact, mettez à jour ou renouvelez votre abonnement, ici.

Vous y découvrirez, ainsi et aussi, pourquoi :
• Le besoin de créer un sentiment d’appartenance et d’attachement à l’entreprise a conduit le directeur des opérations de Sitel Asie à négocier en direct avec le fabricant de sèche-cheveux, avant le rééquipement de ses toilettes transgenre. Voir notre reportage consacré à Sitel Philippines.
• Comment Telus International a mis en place des dispositifs spécifiques pour accueillir les salariés transgenres.
• Et si, oui ou non, le leader mondial du secteur, Teleperformance, a fait dormir ses collaborateurs sur des matelas, aux Philippines, durant le confinement.
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Par Xavier Olry et la rédaction d’En-Contact

Sources : David, E. (2015). Purple-Collar Labor: Transgender Workers and Queer Value at Global Call Centers in the Philippines. Gender & Society, 29(2), 169–194.
David, E (2016). Outsourced Heroes and Queer Incorporations: Labor Brokerage and the Politics of Inclusion in the Philippine Call Center Industry. GLQ, 22 (3) : 381–408.

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