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Le 15 juin, se rendre à Viva Technology ou regarder Arte (Meeting Snowden) ?

Publié le 29 mai 2017 à 15:48 par Magazine En-Contact
Le 15 juin, se rendre à Viva Technology ou regarder Arte (Meeting Snowden) ?

On a tellement glosé, péroré et lu de choses négatives ces derniers mois sur l’influence des médias et « l’incompétence » des journalistes pour ne pas célébrer les tentatives réussies de celles et ceux qui s’attaquent à raconter le réel, surtout si c’est en donnant directement la parole à ceux que l’on n’entend pas ou peu. Leurs récits, qu’ils prennent la forme d’un livre ou d’un documentaire méritent que vous abandonniez temporairement On n’est pas couchés, Touche pas à mon poste ou les bouquins d’auto-promo type Option B, le dernier opus de Sheryl Sandberg*
On a lu et aimé Dans quelle France on vit d’Anne Nivat, et vu en avant-première Meeting Snowden de Flore Vasseur (produit par Zadig Production), qui sera diffusé sur Arte les 10 et 15 juin. Et questionné deux femmes qui sont allées rencontrer les Français, Edward Snowden, et d’autres.

Anne Nivat © Hannah Assouline

Dans quelle France on vit, Anne Nivat (Editions Fayard)

En-Contact : Le titre de votre livre aurait pu se formuler sous forme de question, « Dans quelle France vit-on ? », mais il s’appelle Dans quelle France on vit, est-ce volontaire ?
Anne Nivat : Oui, sinon il y aurait eu un point d’interrogation. Il n’y en a pas, et j’ai choisi pertinemment une formule qui rappelle le langage parlé.

 L’ouvrage est long (plus de 400 pages), vous ne craignez pas d’effrayer les gens qui sont habitués à ce que tout soit court ?
Non, c’était nécessaire, et si j’en juge par le nombre de ventes à ce jour (elles dépassent les 30 000 exemplaires), il intéresse des gens.

Dans chacune des villes où vous êtes passée et avez séjourné, vous vous attachez à une thématique. De toutes ces rencontres, ces explorations, laquelle vous a le plus étonné ?
Aucune, mon métier et ce qui fonde mon travail de journaliste et de reporter de guerre, depuis que j’ai démarré ma carrière, c’est de n’avoir aucune idée préconçue sur rien. Je veux découvrir et raconter ce que j’ai vu, ce qui est l’essence du journalisme d’investigation.

Croyez-vous que celui-ci ait de l’avenir ?
Oui, s’il est pratiqué avec talent et opiniâtreté. J’interviens souvent dans des écoles de journalisme et raconte aux étudiants qu’il y a un véritable avenir pour les enquêtes au long cours, le journalisme de terrain. Mais que sa pratique est difficile, qu’il faut du talent et travailler beaucoup.

Vous passez à la télévision, et notamment dans des émissions telles que C à Vous (animée par Anne-Sophie Lapix). Comment peut-on résumer et donner envie de lire un ouvrage comme le vôtre, très éloignée, a priori, des considérations badines de ce type d’émission ? Est-ce nécessaire d’y passer ?
 Oui, c’est vital car la télévision est le seul média aujourd’hui qui fasse vendre des livres. La presse écrite n’y parvient plus beaucoup. Il faut y aller, même si c’est parfois réducteur, et tenter de faire passer le message avec les contraintes de forme de la télévision.

Résumé du livre : A Evreux, Laon, Montluçon, Laval, Ajaccio, Lons-le-Saunier, la journaliste est allée vivre et partager le quotidien de Français de tous bords, et raconte ce qu’elle a vu et entendu, en s’attachant dans chaque ville à une thématique précise (le sentiment de déclassement ou d’insécurité, le poids du chômage ou le malaise des jeunes…).

Pourquoi on a aimé ? Le récit est documenté, bienveillant et dresse un portrait de la France bien plus riche et divers que les portraits à l’emporte-pièce et les analyses réductrices véhiculées par les sondages et les experts auto-proclamés de telle ou telle thématique. L’auteur donne à voir, sans intervenir mais en s’attachant aux détails et aux propos. A l’époque ou le big data fait florès sans qu’on n’ait pas encore vu quoi que ce soit de concret, Anne Nivat fait œuvre de small data dans un pays qui s’appelle la France. On ressort de la lecture de ce livre enthousiaste sur les capacités de ses habitants, interloqué parfois par leurs paradoxes, heureux qu’il y ait encore des journalistes capables d’aller passer leur temps loin de la Rotonde. Les propos des Tchétchènes qui travaillent dans la sécurité à Evreux ou ceux de Samuel Tual (chef d’entreprise et notable de la ville de Laval), tous rencontrés par Anne Nivat, justifient les 400 pages du livre : en 140 signes, on ne raconte pas la France. On a rééprouvé le même sentiment que celui que nous avait laissé il y a sept ans l’exposition et le travail de Raymond Depardon, parti photographier les ronds-points en France.

 

Flore Vasseur © Hannah Assouline

Meeting Snowden, Flore Vasseur (diffusion sur Arte les 10 et 15 juin) 

En-Contact : De quoi parle ce documentaire ?
Flore Vasseur : De qui gouverne, de qui tient le grand stylo et des raisons pour lesquelles on a renoncé à la démocratie. A l’époque des fake news, des algorithmes, de la toute-puissance de certains médias.

Pourquoi filmer de nouveau Edward Snowden dans une chambre, alors que Citizen Four est déjà sorti et a connu un grand succès ?
Dans Citizen Four, c’était le thème de la surveillance généralisée qui était évoqué. Dans Meeting Snowden, le sujet est la rencontre avec un certain nombre de personnalités qui n’ont pas abandonné face au déclin de la démocratie, et qui chacun dans leur coin mènent le combat. Ils parlent de leurs échecs, de leurs joies, et de la nécessité pour d’autres de le poursuivre.

Y a-t’il une issue à ce déclin de la démocratie selon ces témoins ?
Ils peuvent apparaître déprimés, notamment parce que beaucoup d’entre eux ont été cornerisés et qu’aux yeux des tiers, ils peuvent apparaître comme des losers. Mais dans le même temps, Snowden propose à la fin un message positif : il est persuadé que d’autres pourront apporter leur brique à l’édifice qu’il a commencé à bâtir.

Pourquoi ces questions ne sont-elles pas plus débattues dans les médias ? Et n’est-ce pas à HEC, notamment, qu’il faudrait aller montrer ce film ?
(Elle sourit). Je ne paye plus ma cotisation depuis longtemps, donc ils ne vont certainement pas m’inviter. HEC fabrique les produits dont les entreprises ont besoin. Quant aux médias, je crois malheureusement qu’entre la nécessité de faire des profits et la logique du tout gratuit, ils sont très mal en point, partout. Beaucoup de mes contacts et relations dans les médias souffrent de n’être plus que des machines à reprendre des dépêches AFP.

En France, considérez-vous, comme on l’a beaucoup évoqué, que les médias et les élites ne sont plus en contact avec le réel ? Et qu’elles ont encore envie et les moyens de le raconter ?
Je m’intéresse à un indicateur, celui de Reporters sans Frontières, qui publie chaque année un classement par pays relatif à la liberté et à l’indépendance des médias. On est la 6e puissance mondiale, mais on apparaît à la 39e place dans le classement. Pourtant, partout je rencontre des gens qui s’engagent en politique, essayent dans les associations, dans leur domaine (comme l’agriculture), de résister à ces évolutions qu’on veut nous imposer. Le bilan est contrasté, mais pas sans espoir.

Image tirée du film Meeting Snowden- © ARTE/ZADIG

Résumé : A Moscou en décembre 2016, trois leaders mondiaux de la défense de la citoyenneté, et de l’internet libre sont réunis pour la première fois et en toute discrétion dans une chambre d’hôtel : Edward Snowden*, Lawrence Lessig*, Birgitta Jonsdottir*. Ils débattent d’une question vitale et pourtant désertée : comment sauver la démocratie ?

Pourquoi on a aimé ? Malgré l’économie des moyens (tout se passe dans une chambre d’hôtel dans laquelle trois personnes discutent avec mesure et sans punchlines), le propos et les témoignages des trois intervenants fait froid dans le dos. En même temps, ce n’est pas sans espoir : la caméra de Flore Vasseur reste discrète, et la fin du documentaire s’achève volontairement sur une juxtaposition d’images tirées de manifestations de communautés qui se révoltent et réclament la démocratie, dans le monde entier. Le travail de Flore Vasseur depuis ses trois premiers livres suit un fil directeur passionnant : de sujets glaçants, elle parvient à faire des œuvres distrayantes et fortes.

Le 15 juin, on peut aller à Viva Technology voir des peoples des start-up et beaucoup de conférences sponsorisées sur l’expérience client ou le Big Data. Il faut pour cela être invité ou débourser 390 euros, et c’est à la Porte de Versailles. On peut également le même soir regarder Meeting Snowden, et lire cet été Dans quelle France on vit : 52 minutes de votre temps pour le documentaire et 22 euros pour le livre. Chacun fait c’qui lui plaît, plaît, plaît…

Par la rédaction d’En-Contact

 

*Sheryl Sandberg : On n’a pas encore lu et dégusté Option B, de Sheryl Sandberg, qui sera certainement bientôt édité en France, mais on avait lu son premier ouvrage, lui aussi encensé. On découvre en général dans ce type d’ouvrages que certaines femmes et hommes parviennent à mener de front carrière professionnelle à 2 000 à l’heure, 850 tweets et mails traités par jour, vie conjugale heureuse malgré les obstacles, enfants bien éduqués… Reste un curieux sentiment : celui de ne pas vivre dans le même monde… Mais c’est la magie des Américains, s’emparer de tout pour faire du big money : la vie, les échecs, les data, etc. Chacun fait c’qui lui plaît, plaît, plaît…

“Option B is the single wisest book about grief I have ever found … I have tried to think of anyone who would not find Option B invaluable at some point in their life, and I can’t.” (Decca Aitkenhead Guardian)
“Remarkable, generous, honest, [and] almost unbearably poignant … This is a book that will be quietly passed from hand to hand, and it will surely offer great comfort to its intended readers.” (New York Times)

*Lawrence Lessig : Spécialiste de droit constitutionnel et de droit de la propriété intellectuelle, il est un défenseur réputé de la liberté sur Internet. Un temps candidat à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine, il est professeur de droit au Harvard Law School

*Birgitta Jonsdottir : Femme politique islandaise et militante pour la liberté de la presse. En 2016, elle tente de devenir Premier Ministre, sous les couleurs du Parti Pirate


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